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Note de lecture: Le propre et le sale. L'hygiène du corps depuis le Moyen-Age, - Georges Vigarello

Publié le 31/07/2010

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Partie I 

Georges Vigarello est un spécialiste de l'histoire de l'hygiène, de la santé, des pratiques corporelles et des représentations du corps. Né le 16 juin 1946 à Monaco, il est diplômé en éducation physique (Capeps) et agrégé en philosophie. Ce « sociologue-historien « cumule les responsabilités : il est aujourd’hui professeur à l’Université de Paris-V mais aussi directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (HESS), co-Directeur du Centre d’Etudes Transdisciplinaires, Sociologie, Anthropologie, Histoire (CETSAH), membre de l’institut universitaire de France et Président du Conseil scientifique de la Bibliothèque nationale de France. En 1997 il a obtenu le Prix Scritture d'aqua (Arts et sciences de la ville de Parme, Italie) et l’année suivante le Prix Malesherbes (histoire de la justice). Georges Vigarello est aussi connu d’un large public, à travers ses ouvrages centrés sur l’histoire des représentations du corps (histoire des pratiques corporelles, histoire de l’hygiène et des pratiques de santé, histoire de la violence physique, histoire des normes et des pratiques d’apparence physique). Ses préoccupations principales sont le corps, ses normes et les pratiques destinées à l’entretenir ainsi que l’évolution des représentations du corps, des pratiques physiques et de l’hygiène. C’est à cette dernière que nous allons nous intéresser en étudiant l’ouvrage Le propre et le sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen-Age paru en 1985 aux éditions du Seuil. Dans cet ouvrage, l’auteur veut montrer comment les pratiques de l’hygiène du corps ont évoluées depuis le Moyen-Age. L’objet est de faire prendre conscience du fait que nos pratiques ne vont pas de soit et de montrer les étapes qu’il a fallu traverser avant d’arriver à la propreté et l’hygiène contemporaines. Mais l’auteur ne se limite pas au récit de l’histoire corporelle, il veut aussi montrer comment se mêlent à l’hygiène des préoccupations qui la débordent, et notamment les enjeux psychologiques, moraux, culturels et sociaux qui y sont liés. L’auteur se donne donc pour mission de relater l’histoire de la propreté corporelle dans sa globalité, à partir du Moyen-Age, en s’appuyant sur les étapes successives du déplacement des pratiques. Sa démarche n’est ainsi pas une volonté de prouver ou de changer quoi que ce soit mais d’éclairer par l’Histoire les antécédents d’une pratique sociale aujourd’hui banalisée dans nos sociétés occidentalisées, relevant d’un ensemble de conventions reconnues et corporellement mémorisées. Partie II Tout d’abord, pour montrer les évolutions de l’hygiène du corps, l’auteur utilise une certaine méthodologie. Celle-ci est guidée par une volonté pédagogique. En effet, le propos est clair et organisé, le vocabulaire précis mais accessible à tous. Ce souci pédagogique est illustré par les nombreuses reformulations, reprises des passages essentiels et résumés (notamment en fin de chaque grande partie et dans la conclusion). Enfin, pour permettre une meilleure appréhension des déplacements des pratiques, les éléments sont remis dans leur contexte historique et l’approche chronologique permet de percevoir les ruptures et continuités au travers d’exemples concrets et précis. Tout est ainsi fait pour faciliter à la fois la lecture, la compréhension et la mémorisation de l’ouvrage. La méthodologie de l’auteur réside aussi dans les sources qu’il utilise. En s’adaptant aux documents existants et disponibles selon les époques, Georges Vigarello tente d’exploiter le maximum de sources pertinentes. Ainsi, des illustrations d’une très grande diversité et richesse accompagnent son propos, illustrations extraites aussi bien d’inventaires d’époque que de Mémoires, manuels de bienséance, encyclopédies, romans, journaux ou essais. La démarche est ici presque scientifique puisque fondée sur des recherches empiriques et un souci constant de véridicité. Cette méthodologie laisse donc apparaître un réel souci du lecteur, afin de mieux transmettre une connaissance, d’apprendre et d’expliquer la construction historique et sociale de l’hygiène. En ce qui concerne le contenu de sa démarche, Georges Vigarello aborde l’histoire de la propreté corporelle en montrant que l’évolution des conduites d’hygiène peut être perçue au travers de l’évolution des représentations de l’eau et du corps ainsi que de la place de l’intime. En effet, son ouvrage est structuré autour de l’utilisation de l’eau, pivot des déplacements des pratiques. Ainsi, jusqu’au XVIIIème siècle la propreté ne passe pas par une utilisation de l’eau mais par celle du du linge qui permet de « purifier « le corps : c’est ce que l’auteur désigne par « les pratiques sèches «. Etre propre du Moyen-Age jusqu’au XVIIème siècle c’est utiliser des poudres, des parfums mais surtout c’est avoir du linge blanc, de bonne qualité et en changer relativement régulièrement. C’est une « propreté du visible « uniquement : le « paraître « guide le sens du mot « propreté «. La saleté du corps est donc tolérée socialement du XVème au XVIIème siècle. A partir du XVIIIème siècle les pratiques évoluent vers une « propreté du dessous « puis vers une propreté de la peau qui cette fois se fait par le lavage. Le lien entre perception du propre et utilisation de l’eau apparaît donc très clairement. De plus, l’auteur montre que cette représentation de l’eau est corrélative au statut de l’intime et à sa place dans les pratiques. Par exemple, les pratiques sèches ont lieu dans une société de cour où la théâtralisation est extrême et donc où l’espace intime est restreint (ce qui est notamment perceptible dans l’agencement des espaces : au XVIIème siècle aucune dépendance n’est prévue spécialement pour la toilette dans les appartements). Inversement, plus l’utilisation de l’eau tend à se banaliser, plus l’espace intime s’accroît, la propreté devient plus secrète. Un lieu se creuse d’ailleurs comme le nettoiement s’amplifie : dès le XVIIIème siècle on observe l’apparition d’espaces spécialisées tels que cabinets de toilette et bidets. La place de l’eau et celle de l’intime sont ainsi présentées comme étant à la base et au cœur des étapes de l’hygiène corporelle, laquelle repose sur des représentations, un imaginaire du corps. Enfin, pour rendre compte du « processus de civilisation «, l’auteur souligne en permanence le lien entre l’évolution des conduites d’hygiène et l’évolution des normes et valeurs, en montrant que les représentations reposent sur des significations sociales. Ainsi, au XVIIème siècle, l’attention dans la notion de propreté accordée au visible correspond à une orchestration subtile des distinctions sociales où le traitement des étoffes, la gradation des tissus (fins ou épais), la différenciation entre le dessus et le dessous, sont autant de signes du rang social. Etre propre n’a rien à voir avec des préoccupations d’hygiène corporelle, la propreté est morale et sociale. De même, si aux XVIIIème et XIXème siècles la pratique du lavage se développe, c’est que les valeurs sociales ont évoluées. En effet, l’importance croissante de la bourgeoisie dans la société à cette période entraîne une propagation des valeurs bourgeoises de l’ascétisme, de la frugalité, de la santé et de l’énergie contre la décadence, le luxe et la mollesse attribués à l’aristocratie. L’eau n’apparaît plus comme un « venin insaisissable, envahissant et contagieux «, c’est-à-dire comme un risque, mais au contraire comme un bienfait, un facteur d’énergie, de vigueur, de durcissement et de santé. Ainsi, la propreté de la peau devient un gage de moralité, de vertu mais aussi d’ordre. Ces représentations sont aussi sous-tendues par la domination du modèle médical et en particulier avec le développement entre 1870 et 1880 de la microbiologie pasteurienne. Ces progrès de la médecine viennent légitimer la propreté de la peau prônée par la bourgeoisie, et ainsi favoriser une tactique sociale de conviction pour asseoir des pratiques. On voit donc bien, et c’est ce que veut montrer l’auteur, comment les représentations sont exploitées par les classes sociales. Conclusion : Par rapport à sa problématique de départ, l’auteur apporte un éclairage sur les pratiques actuelles : celles-ci sont le résultat d’un long processus qui a consisté principalement en un élargissement progressif de la sphère individuelle, de l’espace intime, et donc d’un éloignement du regard d’autrui. La propreté aujourd’hui est loin du seul utilitarisme hygiénique, elle est aussi une affirmation d’un hédonisme, d’un certain mieux-vivre obtenu par des soins de soi à soi. La psychologie est au centre des pratiques. Ce constat s’intègre dans une mouvance plus large : celles des études sociologiques centrées autour de la perception et de la gestion du corps. Cet ouvrage de Vigarello alimente ainsi les réflexions sociologiques dans ce domaine et en particulier les analyses sur le corporéisme : le développement d’une culture sensualiste et intimiste focalisée sur le corps.

 

 

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