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Nietzsche: L'art pour l'art

Publié le 21/04/2005

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nietzsche
L'art pour l'art - La lutte contre la fin en l'art est toujours une lutte contre les tendances moralisatrices dans l'art, contre la subordination de l'art à la morale. L'art pour l'art veut dire : « Que le diable emporte la morale ! » - Mais cette inimitié même dénonce encore la puissance prépondérante du préjugé. Lorsque l'on a exclu de l'art le but de moraliser et d'améliorer les hommes, il ne s'ensuit pas encore que l'art doive être absolument sans fin, sans but et dépourvu de sens, en un mot, l'art pour l'art - un serpent qui se mord la queue. "Être plutôt sans but, que d'avoir un but moral!" : ainsi parle la passion pure. Un psychologue demande au contraire: que fait toute espèce d'art ? Ne loue-t-elle point ? Ne glorifie-t-elle point ? N'isole-t-elle point ? Avec tout cela l'art fortifie ou affaiblit certaines évaluations... N'est-ce là qu'un accessoire, un hasard? Quelque chose à quoi l'instinct de l'artiste ne participerait pas du tout ? Ou bien la faculté de pouvoir de l'artiste n'est-elle pas la condition première de l'art ? L'instinct le plus profond de l'artiste va-t-il à l'art, ou bien n'est-ce pas plutôt au sens de l'art, à la vie, à un désir de vie ? - L'art est le grand stimulant de la vie: comment pourrait-on l'appeler sans fin, sans but, comment pourrait-on l'appeler l'art pour l'art ? Nietzsche

Nietzsche s'est toujours intéressé aux questions de l'art: aussi bien dans son interrogation sur la « Naissance de la tragédie « (1872) que sur l'oeuvre musicale de Wagner qui l'a tant fasciné et dont il a tant de mal, dans Le Crépuscule des idoles (1889) à se déprendre.  En fait, la tournure aphoristique de ses œuvres lui fait rencontrer sans cesse, sous forme de notations brèves et souvent provocantes la question de l'art, quitte à se reprendre d'un texte à l'autre, et pourquoi pas à se contredire. De toute façon, il excelle à épouser la thèse de son adversaire imaginaire, puis à se retourner brusquement, et à en montrer l'inanité. C'est le cas de ce texte où il se montre d'abord partisan de la notion de l'art pour l'art, pour montrer par la suite que l'art est toujours l'expression du désir.

nietzsche

« 1.

La notion d'« art pour l'art » est posée d'emblée par Nietzsche comme thème de sa « considération ».C'est un thème qui renvoie à l'actualité des débats de l'histoire littéraire de son temps qui oppose dans lalittérature les tenants du réalisme à la Zola, aux partisans de l'art pour l'art, Comme Mallarmé. Mais, plus que témoin, Nietzsche dégage la signification d'une telle théorie, comme prise de position contre:affirmer « l'art pour l'art », c'est non seulement dire que l'art a sa fin en lui-même, c'est encore plus soutenirqu'il n'y a pas de finalité moralisatrice de l'art.

Nietzsche le fait en soulignant fortement la présence de luttesdans le champ des théories artistiques: une théorie n'est pas seulement une affirmation, elle est aussinégation, une pièce de guerre contre « la lutte contre la fin de l'art », « la lutte contre les tendancesmoralisatrices ». Cette revendication de « l'art pour l'art » est donc, selon Nietzsche, positive.

A double titre: commepurificatrice par rapport à des orientations extérieures à l'art (« les tendances moralisatrices », où l'ordresocial tente d'instrumentaliser l'art); comme libératrice par rapport à une soumission (« une subordination del'art à la morale »).La force du propos de Nietzsche est de traduire l'expression relativement neutre de « l'art pour l'art » en unmot d'ordre relativement violent: «Que le diable emporte la morale ! » Ce qui lie, sans presque le dire, lamorale à l'approche religieuse, comme s'il y avait quelque chose de diabolique dans le rejet de la morale. 2.

La justesse de l'analyse de Nietzsche tient à sa capacité de ne pas prendre pour argent comptant ladéclaration de l'art pour l'art».

La revendication de l'art pour l'art est forte: cela témoigne de la force dupréjugé de l'art moralisateur.

La violence (récente) du conflit entre l'art pour l'art et l'art moralisateur nemarque pas pour autant le triomphe de la thèse nouvelle.

C'est parce que le préjugé de l'art moralisateurreste puissant que la position de l'art pour l'art se formule de manière outrancière (« Que le diable emporte...»). Certes, on ne peut un seul instant soupçonner que Nietzsche soit favorable à l'idée (et à la pratique) d'unart moralisateur.

On connaît bien ses prises de position constantes - et souvent violentes - contre lemoralisme (chrétien ou autre).

Mais à combattre le moralisme en art, il n'est pas, pour autant, favorable à l'«idée de l'art pour l'art » (« il ne s'ensuit pas encore que l'art doive être absolument sans fin »).

Visualisantcette expression, qui débute et s'achève par le mot « art », et avec le goût journalistique de la pointe, ildésigne l'expression par l'image de l'ourobouros, « un serpent qui se mord la queue ».

Autrement dit, àn'affirmer que cela, on n'affirme pas grand-chose...Ayant réglé son compte à l'élucidation du sens de l'expression « l'art pour l'art » (comme réaction à l'artmoralisateur), Nietzsche prend position, non pas immédiatement sur le contenu (cela ne se révélera qu'à lafin du texte) mais en examinant les présupposés des positions.Deux positions sont possibles : celle de la passion pure (« Être plutôt sans but, que d'avoir un but moral! »)et celle du psychologue (« Que fait toute espèce d'art ? »).Le texte témoigne d'une progression de la pensée, à condition de passer de la position de la passion à celledu psychologue.

Mais cette progression n'est pas linéaire, elle ne peut se faire que grâce à unrenversement.Premier temps: l'art auquel on ajoute un but (qui n'est pas le sien): moraliser.Deuxième temps, qui est celui de la passion: retrancher ce but, et laisser alors l'art, seulement comme art.C'est « l'art pour l'art ».Troisième temps, qui est celui du psychologue (nous dirions plus volontiers du philosophe, et c'est lavéritable position de Nietzsche): comprendre l'art lui-même comme expression de quelque chose qui lui estantérieur.Le renversement, c'est ce passage du postérieur (le but ajouté: la morale) à l'antérieur, la découverte d'unefonction latente de l'art.Il serait difficile de parler de fonction manifeste.

Que l'art « fasse quelque chose » autre que directement del'art, est justement quelque chose qui ne se voit pas tout d'abord.

L'art c'est d'abord un tableau, un ballet,une pièce de théâtre, un morceau de musique.

Autrement dit, l'art a un contenu, un sujet, un argument quipeuvent se décrire, du point de vue du spectateur, du critique et pourquoi pas du point de vue du créateur..Mais le psychologue (ou plutôt le philosophe), lui, n'est ni spectateur, ni critique, ni créateur ; il estobservateur, non des contenus, des sujets, des arguments, mais de l'art lui-même.

Et c'est parce qu'il a cerecul que le psychologue (le philosophe) peut penser le rapport de l'art en général (« toute espèce d'art »)avec sa société.S'ouvre ainsi un éventail de réponses à la question générale des effets de l'art : « Que fait toute espèced'art ? » dans son rapport avec la société.

Nietzsche suggère pêle-mêle des pistes, qui pourraient chacunefaire l'objet d'une investigation spécifique: l'art comme laudateur, glorificateur, ce qui suggère un effet del'art comme moyen de célébrer un grand homme, une action d'éclat, comme un après-coup d'une activitésignificative.

Mais, pour Nietzsche, l'art aurait peut-être un effet d'isolement (« N'isole-t-elle point ? »).

Onpense dès lors à un effet psychologique de l'art sur l'artiste, conçu comme un être à part, vivant à part dela société dans son ensemble (cf.

Baudelaire : « Ses ailes de géant l'empêchent de marcher »). 3.

Mais, toujours bondissant, Nietzsche abandonne aussitôt ces pistes, pour dégager d'autres perspectives.L'évaluation de l'art qu'il mène le conduit (semble-t-il soudain) à penser que l'art lui-même a une fonctionévaluatrice.

L'art (au lieu de la morale) devient source de valeurs, en fortifiant, en affaiblissant les valeurs. »

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