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Megawati Sukarnoputri, ou « la fille des cieux tourmentés »

Publié le 17/01/2022

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1er juin 2001 « Orang biasa ini » (« C'est une personne comme les autres »), disent les gens. Dans ses Mémoires, feu Sukarno a raconté qu'elle est née le 23 janvier 1947 à Yogyakarta à l'heure de l'orage, d'où son prénom, Megawati, « la fille des cieux tourmentés ». Une bonne partie de l' establishment djakartanais et de la presse anglo- américaine en a brossé un portrait peu flatteur : une femme d'intérieur, sans talent pour l'intrigue et dont l'atout essentiel est d'être la fille du fondateur de l'Indonésie, Sukarno, dont le culte revit trente ans après sa mort. Megawati Sukarnoputri n'en est pas moins adulée et le phénomène dépasse largement les îles de Java et de Bali, où elle a ses racines. Même à Timor-Oriental, où elle était pourtant allée plaider en 1999 le maintien du territoire dans le giron de la République indonésienne, les foules étaient au rendez-vous. « Mega est notre mère », expliquaient des gens qui n'en ont pas moins massivement voté, dans la foulée, pour leur indépendance. Mega, ainsi que tout le monde l'appelle, semble bien davantage qu'une princesse héritière et son silence proverbial n'est pas qu'une affaire de tempérament ou de manière javanaise. En juin 1999, lors des premières élections libres depuis quatre décennies, son parti, le Parti démocrate indonésien de lutte (PDIP), remporte le tiers des suffrages et devance largement le Golkar, une formation qui s'appuie sur l'administration encore en place et qui a été, pendant un quart de siècle, le relais politique de l'autocratique Suharto. Mega se voit déjà présidente. Quatre mois plus tard, un collège électoral présidentiel, manipulé notamment par de petits partis musulmans, lui vole sa victoire en élisant à la présidence son « grand frère », Abdurrahman Wahid. Les formations musulmanes ne veulent, disent- elles, ni d'une femme ni de la représentante d'un mouvement séculier. Wahid, un ouléma modéré, a sauté sur l'occasion de leur servir de rempart. Mega éprouve alors du mal à retenir ses larmes et doit se contenter de la vice-présidence. Toutefois, dans son discours d'investiture au Parlement, elle ne manque pas d'en appeler aux Indonésiens. « Votre mère est de nouveau parmi vous », prononce-t-elle. La formation de ce tandem est, sur le moment, accueillie avec un grand soulagement. Wahid, surnommé Gus Dur, « le frère aîné », démocrate et tolérant, vient de diriger, pendant quinze ans, le Nahdlatul Ulama (NU), organisation musulmane fondée par son grand-père et forte de millions de membres. Comme Megawati, il est partisan d'un régime séculier. En outre, la présence de Mega à ses côtés l'assure d'une majorité au sein du Parlement. Les islamistes sont donc tenus à bonne distance. Pourtant, le duo ne fonctionnera pas. Handicapé par une cécité quasi totale, Gus Dur, docteur en théologie musulmane, est piètre gestionnaire et incapable de déléguer. Au fil des mois, la vice- présidente prend de façon croissante ses distances. La fille aînée de Sukarno n'a pas toujours eu la vie facile. Après une enfance insouciante dans les palais présidentiels, son univers se défait quand l'armée se retourne contre son père en 1965. Elle a alors dix-huit ans et, tout en poursuivant des études, s'occupe de Sukarno, exilé à Bogor (Java), où il sera placé en résidence surveillée jusqu'à sa mort en 1970. Les années suivantes ne sont guère plus heureuses. Son premier mari, un pilote de l'armée de l'air, se tue dans un accident d'avion en 1970 après lui avoir donné deux enfants. Sa deuxième union, avec un diplomate égyptien, est annulée. En 1973, elle épouse Taufik Kiemas, son époux actuel, homme d'affaires originaire de Sumatra, dont elle aura un troisième enfant. LA RÉSISTANCE À SUHARTO Beaucoup plus tard, en 1987 seulement, elle accepte de figurer au Parlement à l'appel de Sujardi, président du PDI, l'un des trois partis autorisés par Suharto. Mais elle ne s'engagera vraiment qu'en 1993, quand Suharto tente de se débarrasser de Sujardi, jugé trop indépendant. Le PDI se rebelle alors contre les candidats du gouvernement et la porte à sa présidence. Suharto est le premier à se rendre compte du danger. Il fait prendre d'assaut, le 27 juillet 1996, le siège du PDI à Djakarta au prix de cinq morts, de plus de cent blessés et de vingt-trois disparus. Mega devient le symbole de la résistance à un autocrate vieillissant. Légaliste, s'opposant à toute violence, refusant de laisser ses fidèles descendre dans la rue, Mega n'a plus qu'à attendre son heure. Tandis que d'autres occupent le devant de la scène, elle se contente, en janvier 1998, soit cinq mois avant le limogeage de Suharto, de condamner sèchement le régime, ses déviations et le pillage des ressources du pays par la famille régnante. Elle attendra d'avoir emporté les élections de juin 1999 pour prononcer son discours- programme. Au côté de Gus Dur, une place qui ne lui convient guère, elle éprouve du mal à trouver ses marques. Aux prises avec l'administration et l'armée héritées de Suharto et qu'il ne contrôle pas, le président Wahid se coupe progressivement d'un Parlement envahissant. Mega prend de moins en moins parti pour le président. Mais, parce qu'elle rejette comme lui un système parlementaire, elle ne veut pas affaiblir l'institution présidentielle. Elle ne peut pas, en outre, avoir oublié le sort humiliant réservé à son père par l'armée. Elle se méfie également des partis politiques musulmans, qui lui ont barré la route de la présidence. Enfin, ferme partisan, comme elle, d'un état laïc, Gus Dur est un ami d'enfance dont le propre père avait été ministre du temps de Sukarno. Mais, d'un autre côté, l'Indonésie implose, ce qui peut mettre en cause une unité dont Megawati s'est toujours faite l'avocat. Pour cette raison, et parce que les relations avec un président favorable à la décentralisation et tenté par le dialogue avec les séparatistes se dégradent vite, des généraux se rapprochent de la vice-présidente. Même les partis musulmans, qui n'ont aucune prise sur Gus Dur, finissent par accepter qu'elle assure la succession. Elle est, enfin, découragée par le président Wahid, dont la gestion est de plus en plus erratique et qui ne fait rien, même en public, pour la ménager. PARALYSIE DES INSTITUTIONS Face à la paralysie croissante des institutions et du gouvernement, Megawati est toutefois contrainte de sortir de sa tanière. Sans jamais monter en première ligne, elle décide en mai 2001 de tenter d'organiser la suite sans attendre la fin en 2004 du mandat de Gus Dur. Mais elle agit avec d'autant plus de circonspection qu'elle ne veut pas créer de précédent : Gus Dur est le premier président élu de l'Indonésie. Une fois sa décision prise, elle n'envisage plus aucune concession. Megawati et son époux, Taufik, dont le poids politique est indéniable, auraient pu vivre une existence paisible. Leur fortune déclarée s'élève, en avril 2001, à quelque 40 millions de francs (6 millions d'euros) et comprend huit stations d'essence, quatorze propriétés ou terrains, douze voitures, dont la VW Beetle bleu foncé que Mega conduit elle-même. Si l'Histoire l'a rattrapée, cette femme de principe, plutôt conservatrice, dont la fermeté a souvent été sous-estimée, n'en est pas moins présente au rendez-vous. JEAN-CLAUDE POMONTI Le Monde du 24 juillet 2001

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