Devoir de Philosophie

MARX: Aliénation et Production

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

marx
« L'aliénation n'apparaît pas seulement dans le résultat, mais aussi dans l'acte même de la production, à l'intérieur de l'activité productive elle-même. Comment l'ouvrier ne serait-il pas étranger au produit de son activité si, dans l'acte même de la production, il ne devenait étranger à lui-même? D'abord, le travail est extérieur au travailleur, il n'appartient pas à son être : dans son travail, l'ouvrier ne s'affirme pas, mais il se nie ; il ne s'y sent pas à l'aise, mais malheureux ; il n'y déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. En conséquence, l'ouvrier se sent auprès de soi-même seulement en dehors du travail ; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. Il est lui-même quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas dans son propre élément. Son tra-vail n'est pas volontaire, mais contraint, travail forcé. Il n'est donc pas la satisfaction d'un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. Le travail extériorisé, le travail dans lequel l'homme devient extérieur à lui-même est sacrifice de soi, mortification. » Marx.
marx

« apparaît dans le maniement d'un certain nombre d'abstractions («étranger à son être»: «l'homme devient extérieur àsoi-même », etc.).

Ces abstractions rendent possible une critique de la réalité en instituant un domaine deréférence (l'homme non aliéné) au nom duquel une situation concrète est jugée, évaluée, dénoncée.

En ce sens, laproblématique qui anime le texte semble encore très proche des problématiques traditionnelles, qui posent uneessence humaine indépendante de l'histoire.

L'extrait proposé est d'ailleurs tiré des Manuscrits de 1844, œuvre dejeunesse de Marx, où l'influence du philosophe Feuerbach est encore très fortement présente : l'homme y est pensé,indépendamment de ses conditions concrètes d'existence individuelle, comme un « être générique », c'est-à-diresaisi sous l'angle de déterminations universelles, appartenant au «genre».

(Cf.

Manuscrits de 1844, premiermanuscrit, Éditions sociales, page 61.) Or, c'est le contenu précis de ces déterminations qui fait problème, dès qu'onse refuse à aborder la réalité sans « idées préconçues », (cf.

Marx, L'idéologie allemande, première partie).L'essence de l'homme est-elle prédéfinie, et opposable de ce fait à l'existence concrète ? Si l'on répond par lanégative, le concept même de travail aliéné perd sa substance philosophique.

Pour définir ce qui est «étranger»(alienus), il faut avoir au préalable la notion de ce qui est « propre », inhérent à l'identité d'un être.

Or cette notionreste, pour la réalité humaine, une donnée hypothétique.

Cette difficulté n'échappe pas à Marx, qui définit dans lesManuscrits de 1844 l'essence de l'homme comme une « activité vitale » et non comme un ensemble d'attributsprécis.

L'aliénation n'est pas autre chose que l'inversion caractérisée par laquelle l'essence devient simple moyen del'existence (travailler pour survivre) au lieu de se déployer en une libre manifestation d'elle-même.

(Cf.

Manuscrits de1844, édition citée, page 63 : «Le travail aliéné renverse le rapport de telle façon que l'homme, du fait qu'il est unêtre conscient, ne fait précisément de son activité vitale, de son essence, qu'un moyen de son existence ».) Unetelle problématique assujettit l'explication de la réalité à une abstraction, et elle sera abandonnée deux ans plus tardpar Marx, qui écrira notamment, dans la sixième Thèse sur Feuerbach déjà citée (cf.

plus haut la rubrique Nature etculture) : « L'essence humaine n'est pas une abstraction inhérente à l'individu isolé.

Dans sa réalité, elle estl'ensemble des rapports sociaux.

» Outre le fait qu'elle est tributaire d'une problématique que Marx lui-même remettra en question et abandonnera,l'analyse proposée par le texte semble très générale.

Ce que Marx vise en fait, c'est le rapport d'exploitation quiconduit à l'antinomie du travail (appropriation effective de la matière brute) et des rapports de propriété,socialement définis, au sein desquels s'organise la production.

Mais il faut attendre la conceptualisation du Capitalpour élucider l'exploitation sur le plan de son fonctionnement économique, de ses conditions effectives.

Lathématique de l'aliénation cédera alors la place à une étude méthodique de l'achat de la force de travail de l'ouvrier,et de la production de plus-value dans le cadre des rapports d'exploitation qui sont rendus possibles par unecertaine distribution initiale des biens et des richesses (« l'homme aux écus », c'est-à-dire le capitaliste détenteurdes moyens de production, et le «prolétaire», qui n'a que ses bras pour travailler, constituant les deux termesfondamentaux de «l'échange» initial).

Il reste que le texte proposé pourrait, du point de vue de la sociologiemoderne, recevoir un certain nombre d'approfondissements, concernant plus précisément la caractérisation dutravail dans le cadre du développement des techniques de production.

Depuis l'avènement du Taylorisme et dutravail à la chaîne, les sociologues ont fait porter leurs analyses sur ce qu'on appelle habituellement la«déshumanisation du travail ».

Morcelé, coupé de toute saisie d'ensemble de l'activité productive, le travail enmiettes que décrit Friedmann est lourd de conséquences pour le producteur lui-même (cf.

Chariot, Les tempsmodernes).

La lutte des travailleurs pour une émancipation sociale ne semble plus séparable des revendications«qualitatives» concernant la nature même de l'activité productrice.

Le rêve collectif d'une économie d'abondance oùtoutes les tâches pénibles seraient automatisées, transférées de l'homme à la machine, ne résorbe pas le problèmedes finalités de la production et du mode de développement économique; il ne peut de plus exprimer qu'unetendance, une aspiration, dont la réalisation totale reste une échéance lointaine.

Pas plus que l'impossible recherched'une libération individuelle dans une adhésion « provisoire » à la logique infernale du salariat (cf.

le roman de RogerVailland: 325 000 francs), le stakhanovisme comme apologie du travail « socialiste » ne représente un « moyen »effectif d'émancipation.

Dans un cas comme dans l'autre, le moyen posé pour la suppression de l'aliénation est lerenforcement de celle-ci ; singulier paradoxe qui asservit le présent à l'avenir, tout en supposant que le « prixhumain » payé laissera l'être intact, en pleine possession de lui-même.

Le héros de Vailland finit mutilé; Stakhanovse désiste pour l'avenir, et son volontarisme le fait vivre par procuration.

La problématique de l'aliénation a cecid'important qu'elle souligne les conséquences humaines, immédiates de l'exploitation, qu'elle en fait une donnéeirréductible, dénonçant par avance toutes les mythologies du sacrifice ou du « renoncement provisoire », dont onsait ce qu'elles peuvent recouvrir dans certaines circonstances historiques.

En fin de compte, alléger le travail, luiredonner un sens et un intérêt, bref, «l'humaniser», relèvent semble-t-il d'une triple condition : un développementmaîtrisé des sciences et des techniques, une régulation socialement juste de l'économie, et une définition appropriéedu mode de développement.

Ces trois aspects s'impliquent réciproquement et signifient tout simplement que letravail restera « aliéné » tant qu'il sera assujetti au productivisme anarchique des «sociétés de consommation», àl'inégalité génératrice d'exploitation, à la logique effrénée du profit capitaliste. • Conclusion. Le texte proposé est très représentatif d'une certaine critique philosophique.

A bien des égards, il peut ouvrir unchamp de réflexion sur le problème toujours actuel de la maîtrise de l'économie et de ses finalités sociales.

Lessociologues du vingtième siècle ne s'y sont pas trompés, qui ont conservé pour une bonne part la thématique del'aliénation, l'appliquant d'ailleurs à d'autres domaines de la vie sociale.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles