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Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, II, Avant propos

Publié le 06/04/2014

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« Tous les hommes louent le passé, blâment le présent, et souvent sans raison. Voici, je pense, les principales causes de leur prévention. La première, c’est qu’on ne connaît jamais la vérité tout entière du passé. On cache, le plus souvent, celles qui déshonoreraient un siècle ; et quant à celles qui sont faites pour l’honorer, on les amplifie, on les rend en termes pompeux et emphatiques. La plupart des écrivains obéissent tellement à la fortune des vainqueurs que, pour rendre leurs triomphes plus éclatants, non seulement ils exagèrent leurs succès, mais jusqu’à la défense des ennemis vaincus ; en sorte que les descendants des uns et des autres ne peuvent s’empêcher d’admirer les hommes qui ont figuré d’une manière aussi brillante, de les vanter et de s’y attacher. La seconde raison, c’est que les hommes n’éprouvent aucun sentiment de haine qui ne soit fondé ou sur la crainte naturelle ou sur l'envie. Ces deux puissants motifs n’existant plus dans le passé par rapport à nous, nous n’y trouvons ni qui nous pouvions redouter, ni qui nous devions envier. Mais il n’en est pas ainsi des événements où nous sommes nous-mêmes acteurs, ou qui se passent sous nos yeux : la connaissance que nous en avons est entière et complète ; rien ne nous en est dérobé. Ce que nous y apercevons de bien est tellement mêlé de choses qui nous déplaisent que nous sommes forcés d’en porter un jugement moins avantageux que du passé, quoique souvent le présent mérite réellement plus de louanges et d’admiration. « 

 

 Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, II, Avant propos, La Pléiade, p. 509.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           

 

 

            

À maintes reprises Machiavel répètent que l’histoire est fondamentale non seulement pour comprendre le présent mais aussi pour assurer un fondement à l’art de gouverner. En effet, le secrétaire de Florence propose la virtù des Anciens comme un modèle non à imiter au sens strict mais dont les gouvernants doivent s’inspirer. Sans compter que par contraste avec le passé, Machiavel n’hésite pas à porter un jugement moral sur ses contemporains se tenant dans l’incapacité d’une autre attitude autre que ludique à l’égard de la connaissance du passé, et de surcroît, de dénoncer la décadence de ceux de son temps. Or en affirmant que « Tous les hommes louent le passé et blâment le présent, et ajoute-t-il, souvent sans raison «, Machiavel ne prend-t-il pas le risque de tomber sous le coup de sa propre accusation ? En effet, n’entre-t-il pas et notamment dans son commentaire de la première décade de Tite-Live, en contradiction avec lui-même ? Relevons que Machiavel prend acte de cet étrange paradoxe : « J’ignore si je mériterai pas d’être mis au nombre de ceux qui se trompent, en élevant si haut dans ces discours les temps des anciens romains, et en censurant ceux où nous vivons « (Discours, L. II). Cette justification lave Machiavel d’une grossière contradiction, il n’ajoute pas ni de renforce le passéisme ou l’amour du passé pour le passé lui-même, au contraire, il lutte contre l’idée commune selon laquelle le passé est toujours meilleur que le présent. Ce n’est donc pas sans raison qu’il se disculpe puisqu’il établit une franche distinction entre l’appréciation du passé en vue de mieux comprendre le présent et le lien passionnel et imaginaire que les vieillards entretiennent avec le passé pour condamner le présent.

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« À maintes reprises Machiavel répètent que l’histoire est fondamentale non seulement pour comprendre le présent mais aussi pour assurer un fondement à l’art de gouverner.

En effet, le secrétaire de Florence propose la virtù des Anciens comme un modèle non à imiter au sens strict mais dont les gouvernants doivent s’inspirer.

Sans compter que par contraste avec le passé, Machiavel n’hésite pas à porter un jugement moral sur ses contemporains se tenant dans l’incapacité d’une autre attitude autre que ludique à l’égard de la connaissance du passé, et de surcroît, de dénoncer la décadence de ceux de s on temps.

Or en affirmant que « Tous les hommes louent le passé et blâment le présent, et ajoute -t- il, souvent sans raison », Machiavel ne prend -t- il pas le risque de tomber sous le coup de sa propre accusation ? En effet, n’entre -t- il pas et notamment dans son commentaire de la première décade de Tite- Live, en contradiction avec lui -même ? Relevons que Machiavel prend acte de cet étrange paradoxe : « J’ignore si je mé riterai pas d’être mis au nombre de ceux qui se trompent, en élevant si haut dans ces discours les temps des anciens romains, et en censurant ceux où nous vivons » ( Discour s, L.

II).

Cette justification lave M achiavel d’une grossière contradiction, il n’ajoute pas ni de renforce le passéisme ou l’amour du passé pour le passé lui -mê me, au contraire, il lutte contre l’idée commune selon laquelle le passé est toujours meilleur que le présent.

Ce n’est donc pas sans raison qu’il se disculpe puisqu’il établi t une franche distinction entre l’appréciation du passé en vue de mieux comprendre le présent et le lien passionnel et imaginaire que les v ieillards entretiennent avec le passé pour condamner le présent.

Le projet programmatique du Florentin est d’emblée d’év acuer les illusions que nous nourrissons à l’égard des temps passés.

Certes, Machiavel n’est pas un historien professionnel, il n’est pas davantage un érudit de l’histoire, mais il fustige sans appel toux ceux qui se comp laisent dans le fétichisme du pa ssé, ceux qui y trouvent refuge en occultant le présent, les a mateurs de récits historiques suppos és édifiants.

D’où sa c ritique acerbe et mordante de la représentation fallacieus e et quelque peu laudative du passé.

Il n’y a pas d’autre s moyen s pour dissiper une illusion que d’en démonter le mécani sme dont sont les victimes les am ants du passé.

Sa critique repose sur une consta tation qui mérite d’être relevée : « On ne connaît jamais la vérité to ut entière sur le passé ».

De facto, le savoir des événeme nts passés est inévitablement médié par toute approche historique que lques soi ent les formes méthodologiques.

L’histoire narrative, l’histoire chro nologique, l’histoire événement ielle n’est qu’un récit si non fantasmé du moins jamais innocent.

Bien souvent, t rop souvent la connaissance du passé dem eure inst rumentalisée à des fins autre que la seule vérité historique.

Pour Machiavel, il ne fait pas de doute que l’histoire est un moy en de domination, non seulement parce qu’ elle est écrite par les vainque urs, mais aussi parce qu’ell e est une arme au service des gouvernants.

En tant que secrétaire de la deuxième chancellerie de Florence, il était bien placé pour connaître l’usage que les dominants font de l’histoire.

Les ancillaires apologétiques ne répugnent pas à taire ce qui risque de perturber les G rands et a contrario de monter en épingle les hauts faits qui favorisent les puissants.

Mach iavel est donc clair et lucide sur ce point : la vérité historique n’est autre qu’une construction, pour ne pas dire une création de toutes pi èces pour magnifier ou occulter certains événements.

Les qualités de l’esprit historique — la probité, l’objectivité — sont tout simplement bafouées ou purement ignorées.

Il faut donc se méfier des récits historiques puisque les faits historiques ne sont pas des données pures, mais des faits qui sont faits et souvent refaits.

Au mieux, les événements sont tronqués innocemment par défaut des qualités requises ; au pire, ils sont déformés soit par complais ance aux puissants , soit par comm ande.

Bien évidemment, dans cette perspective, se pose im manquablement la question du stat ut de la vérité en histoire dans un ouvrage trop peu lu de notre auteur : Histoires de Florence.

Quoi qu’il en soit, la sagacité de M achiavel est de souligner que les victoires politiques ou militaires s ont glorifiées en mettant en ex ergue les mérites et les prouesses des vainqueurs, parfois en am plifiant la résistance des vaincus.

Dans les Discours (L.

I, cha o.

X), il dénonce la gl orification de la dictature de C ésar.

Les écr ivains ont honteusement célébré la puissance de l’homme d’État sous la crainte,. »

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