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lui avions dit pourquoi nous étions à Striy ce jour-là, plusieurs grandes cartes anciennes de la ville ; et c'était d'une masse importante de papiers récents qu'il avait sorti un échange de lettres qui, disait-il, nous amuserait.

Publié le 06/01/2014

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lui avions dit pourquoi nous étions à Striy ce jour-là, plusieurs grandes cartes anciennes de la ville ; et c'était d'une masse importante de papiers récents qu'il avait sorti un échange de lettres qui, disait-il, nous amuserait. Il avait écrit, a-t-il dit, au gouvernement allemand, il y avait peu de temps, pour les engager à ériger un mémorial sur le site de la grande Aktion dans la forêt de Holobutow, à la périphérie de la ville, où avaient été emmenés et abattus mille Juifs en 1941. Le site, disait-il dans sa lettre, était en friches, mais on pouvait voir des os surgir du sol. Tout en nous racontant cette histoire, Feuer avait sorti une copie de la lettre qu'il avait écrite en allemand et envoyée à Berlin. Puis il en a sorti une autre, marquée de ce qui ressemblait à un tampon officiel du gouvernement. Les Allemands, a-t-il dit, avaient répondu avec un grand empressement et proposé la chose suivante : si M. Feuer et les autres membres de la communauté juive de Striy pouvaient lever quelques fonds pour la conception du site de la forêt de Holobutow et la construction du mémorial, le gouvernement allemand serait tout à fait prêt à apporter une contribution du même montant.   Arrivé à ce point de son récit, Feuer a brandi une autre feuille de papier : sa réponse à la proposition allemande. Il est diffîcile, aujourd'hui, de se souvenir de l'essentiel, dans la mesure où l'ouverture de sa lettre captait toute l'attention. Elle disait : Monsieur, tous les autres membres de la communauté juive de Stryj sont dans la forêt de Holobutow. Ce fait, dont nous n'avons pas de raison de douter de l'exactitude, est certainement ce qui a conduit cet homme délicat, à l'allure d'érudit, à se tourner vers nous, alors qu'il descendait les escaliers de son immeuble après notre entretien, pour dire à Matt, qui prenait cette photo à cet instant-là, Dites-leur que je suis le Dernier des Mohicans...   ... C'est donc la carte de Josef Feuer que nous avons utilisée pour essayer de déterminer où se trouvait la rue du Trois-Mai. Dans la rue qui semblait être la candidate la plus probable, Alex a arrêté une femme très âgée qui portait un foulard sur la tête. Il a commencé à expliquer en ukrainien ce que nous cherchions et puis, avec une grimace gênée sur son grand visage aimable, il s'est interrompu et tourné vers moi. Le nom de votre amie à New York, c'est comment déjà ? Begley, ai-je répondu, avant de secouer la tête et de corriger : Begleiter. Ah, Doktor Begleiter ! s'est exclamée la femme, avant même qu'Alex ait pu traduire. Elle a fait un grand sourire et lui a dit quelque chose rapidement en ukrainien. Il s'est alors tourné vers nous pour dire, Elle dit que c'était un docteur très important ici. Soixante ans, me suis-je dit, des milliers de kilomètres, et nous avons réussi à tomber sur cette femme dans la rue, qui se souvenait soudain de ce fait, de ce que nous étions venus chercher. Pourtant, l'objet concret, la maison où avait vécu le docteur très important, était impossible à retrouver. Pendant près d'une heure, nous avons arpenté cette longue avenue ; à un moment donné, nous avons filmé une maison qui portait le numéro 5, même si nous avons appris immédiatement après que cette portion de la rue ne faisait pas partie de la rue du Trois-Mai avant la guerre. Au bout d'un moment, mes frères et ma soeur se sont mis à ronchonner, et plutôt que de continuer à chercher, je me suis mis à prendre des photos de chaque maison dans la rue qui avait été, on nous l'a assuré, la rue du Trois-Mai. Lorsque j'ai timidement montré ces photos à Mme Begley, juste après notre retour d'Ukraine à New York, elle a fait la grimace et secoué la tête avec lassitude. Achhb, c'est très décevant, a-t-elle dit pendant que nous mangions le déjeuner qu'elle avait préparé pour célébrer mon retour. Elle avait regardé les diapositives que j'avais faites et elle n'avait cessé de répéter, Je vous le dis, ce n'était pas ma rue. Pourtant, elle avait scruté avidement chaque photo, chaque diapositive, chaque minute de la vidéo que nous avions faites dans les rues de Striy, y compris les images désolées de l'ancienne grande synagogue de la ville, désormais en ruine, des arbres immenses surgissant de l'intérieur et exposés aux rayons du soleil puisque le toit avait disparu. Regardez, a dit Mme Begley, alors que nous étions, elle, Ella et moi, perchés assez inconfortablement sur le bord de son lit, face à la télévision. Elle avait pointé le doigt et disait, C'était ma vie. Une fois la vidéo terminée, nous sommes allés dans la salle à manger, où Mme Begley a regardé de nouveau les diapositives et secoué la tête encore une fois, tandis qu'Ella apportait une énorme soupière. J'ai fait ça moimême ! a dit Mme Begley. Puis, elle m'a offert du chou farci et m'a dit que j'étais trop mince.   Nous avons passé la journée qui a suivi la vaine recherche de la maison de Mme Begley à visiter L'viv. Ce soir-là, notre dernier en Ukraine, Alex et sa femme, Natalie, un médecin, nous ont reçus chez eux pour un somptueux dîner. Les Ukrainiens étaient les pires, nous avait toujours dit mon grand-père. Des cannibales, allait siffler entre ses dents cette dame à Sydney. Ils ont été gentils avec vous uniquement parce que vous êtes américains, parce que, pour eux, vous êtes plus américain que juif, devait me dire en Israël quelqu'un que j'allais bien connaître, quand je lui décrirais combien les Ukrainiens avaient été généreux, gracieux et gentils envers nous pendant notre voyage de six jours dans le Pays d'Autrefois, pendant nos deux jours à Bolechow. Sachant ce que je savais à présent - une partie minuscule de ce que j'allais finir par apprendre - et ayant vu ce que j'avais vu, la fosse commune à Bolechow, la synagogue sans toit à Striy, il était tentant de les croire. Mais je savais d'autres choses et j'avais vu d'autres choses. Bien sûr, il y avait eu de terribles trahisons ; mais il y avait eu aussi des actes de sauvetage, des actes risqués d'une gentillesse inimaginable. Comment savoir, après tout, comment les gens vont se comporter ? Le lendemain, un mercredi, nous avons tous pris l'avion pour New York. Le vol était long, nous étions épuisés, mais nous avions fait et vu beaucoup de choses au bout du compte, et nous avions le sentiment d'avoir appris quelque chose. Une fois l'avion atterri, nous nous sommes entassés dans un taxi et nous avons foncé vers Manhattan. Andrew allait passer la nuit à New York avant de s'envoler pour la Californie le lendemain, mais Matt et Jen, qui vivaient tous les deux à Washington, voulaient essayer d'attraper le train de onze heures du soir pour rentrer chez eux. Pour une raison quelconque, il y avait beaucoup de circulation en direction de la ville depuis JFK, et nous nous sommes arrêtés devant Penn Station, une minute environ avant que le train parte. Je ne peux pas dire si c'est à cause du soulagement d'être arrivé à temps ou d'autre chose, mais Matt, alors qu'il courait déjà vers la gare, s'est soudain retourne pour crier, Salut, je t'aime !, en direction de mon taxi qui repartait. Et puis ils ont disparu dans la nuit.   Il se trouve que c'est seulement des mois après notre retour d'Ukraine que nous avons commencé à apprendre enfin les détails de ce qui était arrivé à Shmiel Jäger et à sa famille. Par une froide nuit de février 2002, j'étais assis dans mon appartement à New York. J'avais pris le thé, ce jour-là, chez Mme Begley, qui refusait toujours de m'appeler autrement que Monsieur Mendelsohn ; je lui avais montré une nouvelle série de photos de notre voyage qui m'étaient revenues du laboratoire le jour même. Aussi, lorsque le téléphone a sonné ce soir-là, trois heures à peine après mon retour chez moi, et qu'une voix profonde d'Europe centrale a dit, Monsieur Mendelsohn ? j'ai répliqué du tac au tac, Madame Begley ? Une nouvelle fois, la voix a dit, Monsieur Mendelsohn ? et je me suis rendu compte que ce n'était pas elle. Agité et légèrement agacé - j'étais gêné -, j'ai demandé qui c'était. Mon nom est Jack Greene, a dit la voix, et je vous appelle de Sydney, en Australie. La rumeur a rapporté à mes oreilles que vous recherchiez des gens qui avaient connu la famille Jäger à Bolechow ? La ligne sifflait légèrement. Les immenses distances. Oou-ou-i-ii ? ai-je répondu, la voix paralysée, pendant que je cherchais fébrilement un stylo et à   bolechow. rumeur ? ? ? sur une feuille que je me mettais à écrire green(e ?). Australie de papier. Hé bien, disait cette voix venue de l'autre bout de la planète, avec un accent affecté qui était du pur polonais mélangé aux consonnes et aux voyelles caractéristiques du yiddish, vous devriez savoir que je suis sorti avec une des filles de Shmiel Jäger et que je serais heureux de vous en parler. Et c'est ainsi que nous avons commencé, enfin, à les retrouver. Pas pendant le voyage ; mais, d'une certaine façon, du fait d'avoir fait le voyage. Lorsque nous sommes rentrés de Bolechow, nous avons fait des copies des vidéos que nous avions filmées là-bas, qui incluaient les vidéos de nos interviews avec Nina, Maria et Olga, et nous avons envoyé ces copies aux cousins Jäger, dont Elkana en Israël. C'est comme ça que la rumeur a commencé à prendre forme : Elkana avait invité quelques-uns des anciens habitants de Bolechow à venir voir la vidéo. Un de ces survivants, Shlomo Adler, était le chef de la communauté des anciens de Bolechow en Israël, qui nous a dit bien plus tard, dans un tourbillon d'e-mails, de ne pas croire Pyotr qui s'était peut-être convaincu lui-même (écrivait Adler) d'avoir essayé d'aider les Juifs, mais c'était très improbable, et nous a dit de ne pas nous essayer à faire ériger un mémorial pour les morts de la fosse commune, parce que les pierres seraient vandalisées et les matériaux de construction volés, et il nous a aussi demandé si nous avions remarqué qu'il n'y avait aucune référence aux Juifs dans le petit musée de Bolechow. Plus important encore, c'était lui qui avait signalé notre voyage à Jack Greene, qui était né Grünschlag et vivait désormais à Sydney, près de son jeune frère, les deux ayant miraculeusement survécu à la guerre ; il était sorti avec une des filles Jäger et il les connaissait, et il était le premier de ce qui allait se révéler être les douze derniers Juifs de Bolechow qui nous raconteraient, en temps voulu, ce qui s'était passé. Lorsque Jack Greene a dit, Je suis sorti avec une des filles de Shmiel Jäger, j'ai eu la même impression vertigineuse que celle que j'avais eue à Bolechow quand Olga avait dit, Znayu,

« Achhb, c'est très décevant, a-t-elledit pendant que nous mangions ledéjeuner qu'elleavait préparé pourcélébrer monretour.

Elleavait regardé lesdiapositives quej'avais faitesetelle n'avait cesséderépéter, Jevous ledis, cen'était pasmarue. Pourtant, elleavait scruté avidement chaquephoto,chaque diapositive, chaqueminutedela vidéo quenous avions faitesdanslesrues deStriy, ycompris lesimages désolées del'ancienne grande synagogue delaville, désormais enruine, desarbres immenses surgissantdel'intérieur et exposés auxrayons dusoleil puisque letoit avait disparu.

Regardez, a dit Mme Begley, alors que nous étions, elle,Ellaetmoi, perchés assezinconfortablement surlebord deson lit,face à la télévision.

Elleavait pointé le doigt et disait, C'était mavie.

Une foislavidéo terminée, nous sommes allésdans lasalle àmanger, oùMme Begley aregardé denouveau lesdiapositives et secoué latête encore unefois, tandis qu'Ella apportait uneénorme soupière.

J'aifait çamoi- même ! adit Mme Begley.

Puis,ellem'a offert duchou farcietm'a ditque j'étais tropmince.

  Nous avons passé lajournée quiasuivi lavaine recherche delamaison deMme Begley à visiter L'viv.Cesoir-là, notredernier enUkraine, Alexetsa femme, Natalie,unmédecin, nous ont reçus chezeuxpour unsomptueux dîner.

Les Ukrainiens étaientlespires , nous avait toujours ditmon grand-père.

Des cannibales, allait siffler entresesdents cettedame àSydney.

Ils ont étégentils avecvous uniquement parcequevous êtesaméricains, parceque,pour eux, vous êtesplusaméricain quejuif, devait medire enIsraël quelqu'un quej'allais bienconnaître, quand jelui décrirais combien lesUkrainiens avaientétégénéreux, gracieuxetgentils envers nous pendant notrevoyage desix jours danslePays d'Autrefois, pendantnosdeux jours à Bolechow.

Sachantceque jesavais àprésent – unepartie minuscule deceque j'allais finirpar apprendre – etayant vuceque j'avais vu,lafosse commune àBolechow, lasynagogue sanstoit à Striy, ilétait tentant deles croire.

Maisjesavais d'autres chosesetj'avais vud'autres choses. Bien sûr,ilyavait eudeterribles trahisons ;mais ilyavait euaussi desactes desauvetage, des actes risqués d'unegentillesse inimaginable.

Commentsavoir,aprèstout,comment lesgens vont secomporter ? Le lendemain, unmercredi, nousavons tousprisl'avion pourNewYork.

Levol était long, nous étions épuisés, maisnous avions faitetvu beaucoup dechoses aubout ducompte, etnous avions lesentiment d'avoirapprisquelque chose.Unefoisl'avion atterri, nousnoussommes entassés dansuntaxi etnous avons foncéversManhattan.

Andrewallaitpasser lanuit àNew York avant des'envoler pourlaCalifornie lelendemain, maisMatt etJen, quivivaient tousles deux àWashington, voulaientessayerd'attraper letrain deonze heures dusoir pour rentrer chez eux.Pour uneraison quelconque, ilyavait beaucoup decirculation endirection delaville depuis JFK,etnous noussommes arrêtésdevantPennStation, uneminute environ avantquele train parte.

Jene peux pasdire sic'est àcause dusoulagement d'êtrearrivéàtemps oud'autre chose, maisMatt, alorsqu'ilcourait déjàverslagare, s'estsoudain retourne pourcrier, Salut, je t'aime !, endirection demon taxiquirepartait.

Etpuis ilsont disparu danslanuit.. »

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