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L'homme libre est-il un homme seul ?

Publié le 26/01/2005

Extrait du document

Pas plus que la main n'existe réellement sans le corps, l'individu humain n'existe sans la cité. C'est d'elle qu'il reçoit son humanité, son développement, son statut moral.« Mais l'homme qui est dans l'incapacité d'être membre d'une communauté, ou qui n'en éprouve nullement le besoin, parce qu'il se suffit à lui-même, ne fait en rien partie de la cité et par conséquent est ou une brute, ou un dieu »Ne pas appartenir à la « polis », lei d'humanité, c'est être soit infra-humain, soit supra-humain.L'exposé d'Aristote reprend la conception classique de la cité au sens grec. La cité n'est pas un Etat (forme barbare pour les Grecs), elle n'est pas liée à un territoire (comme aujourd'hui où la citoyenneté se définit d'abord par référence au sol, à la « patrie »). La cité est une communauté d'hommes, vivant sous les mêmes mois et adorant les mêmes dieux. L'idéal grec est celui d'un groupe d'hommes pouvant tous se connaître personnellement. L'idéal politique est donc celui d'une communauté d'hommes libres (non asservis par le travail et les nécessités vitales, disposant de loisirs) et unis par la « philia ».Quand les contemporains parlent « d'animal social », ou quand Marx déclare que l'homme est « animal politique », ce 'est pas au même sens que les Grecs. La polis n'est pas une communauté économique, au contraire : elle naît quand on peut s'affranchir de la contrainte économique et disposer de loisirs.

« « ceci ou cela ».

Mais cette définition reste toujours ouverte.

Je suis donc fondamentalement libre « projet », invention perpétuelle demon avenir.

Et je suis celui qui ne peut pas être objet pour moi-même, celui qui ne peut même pas concevoir pour soi l'existence sousforme d'objet : « Ceci non à cause d'un manque de recul ou d'une prévention intellectuelle ou d'une limite imposée à ma connaissance,mais parce que l'objectivité réclame une négation explicite : l'objet, c'est ce que je me fais ne pas être...

»Or je suis, moi, celui que je me fais être.

Et c'est précisément parce que je ne suis que pure subjectivité et liberté, que le simplesurgissement d'autrui est une violence fondamentale.

Peu importe qu'il m'aime, me haïsse ou soit indifférent à mon égard.

Il est là, jele vois et je découvre que je ne suis plus centre du monde, sujet absolu.

Il me voit, et avec son regard s'opère une métamorphosedans mon être profond : je me vois parce qu'il me voit, je m'appréhende comme objet devant une transcendance et une liberté.Si chaque conscience est une liberté qui rêve d'être absolu, elle ne peut que chercher à transformer la liberté de l'autre en chosepassive.

Sartre illustre d'abord ce conflit à travers l'expérience du regard.

Qu'est-ce qui, en effet, me dévoile l'existence d'autrui, sinonle regard ? Si je regarde autrui, ce dernier me regarde aussi.

C'est la raison pour laquelle Sartre envisage les deux moments.Dans un premier moment, je vois autrui.

Imaginons : « Je suis dans un jardin public.

Non loin de moi, voici une pelouse et, le long decette pelouse, des chaises.

»Situation paisible.

Le décor est neutre, la trame est inexistante : « Un homme passe près des chaises.

Je vois cet homme...

»Finie la quiétude ! Pourquoi ? Tout simplement parce que je ne le saisis pas seulement comme un objet, mais aussi et en même tempscomme un homme.

Si je pouvais penser qu'il n'est rien d'autre qu'un objet, un automate, par exemple, je le saisirais « comme étant «à côté » des chaises, à 2,20 m de la pelouse, comme exerçant une certaine pression sur le sol, etc.

».

Autrement dit ce ne serait pourmoi qu'un objet comme les autres, qui s'ajouterait aux autres : « Cela signifie que je pourrais le faire disparaître sans que les relationsdes autres objets entre eux soient notablement modifiées.

En un mot, aucune relation neuve n'apparaîtrait par lui entre ces choses demon univers...

»Le saisir comme homme, qu'est-ce que cela signifie, sinon saisir une « relation non additive » des objets à lui, une nouvelleorganisation des choses de mon univers autour de cet objet privilégié ? Autrement dit, avec l'apparition d'autrui dans mon champ devision, une spatialité se déploie qui n'est pas ma spatialité, un autre centre du monde apparaît et du même coup un autre sens dumonde.

Les relations que j'appréhendais entre les objets de mon univers se désintègrent : « L'apparition d'autrui dans le mondecorrespond donc à un glissement figé de tout l'univers, à une décentration du monde qui mine par en dessous la centralisation quej'opère dans le même temps.

»Cette décentration du monde fait de moi un sujet glissant.

La désagrégation « gagne de proche en proche » tout mon univers.

Autruitend à me « voler le monde ».

Si autrui n'existait que sur le mode d' « être-vu-par-moi », je pourrais, en m'efforçant de le saisirseulement comme objet, le réintégrer dans ma propre vision du monde.

Mais autrui me voit.

J'existe sur le mode d' « être-vu-par-autrui ».Second moment : être vu.« Imaginons que j'en sois venu à coller mon oreille contre une porte, à regarder par le trou d'une serrure.

Je suis seul et sur le plan dela conscience non-thétique de moi.

»Je suis seul & j'existe sur le plan de la conscience non-thétique ou immédiate de moi, cela signifie que mon attitude n'a aucun « dehors», que je n'ai pas conscience de « moi » comme objet et qu'il n'y a donc rien à quoi je puisse rapporter mes actes pour les qualifier ,les juger.

Je suis mes actes et « ils portent en eux-mêmes leur totale justification ». « Or voici que j'ai entendu des pas dans le corridor : on me regarde.

»Qu'est-ce que cela signifie , sinon que le regard d'autrui me fige.

J'étais liberté pure, conscience allégée de toute image, me voicidevenu quelqu'un, un objet du regard.

Je me vois parce qu'on me voit : mon « moi » fait irruption.

En même temps j'en viens à existersur le même plan que les objets.

Je suis objet d'un regard.

Autrui surgit et j'ai un « dehors », une apparence externe.

J'ai une naturequi ne m'appartient pas.

Ce que je suis pour autrui (vicieux, jaloux...), je ne suis plus libre de l'être.

Je suis engagé dans un autre être.Plus jamais je ne pourrai échapper à l'image qu'autrui me tend de moi-même.

Autrement dit, j'existe sur le mode d' « être-pour-autrui». « Ma chute originelle, c'est l'existence d'autrui...

» Cela signifie donc que tout se passe comme si autrui me faisait m'écrouler au milieudes choses.

C'est ce que je découvre dans la honte qui n'est, au fond, que « l'appréhension de moi-même comme nature ».

Chuteoriginelle qui fait songer au péché originel.

Je suis découvert, presque nu devant le regard tout-puissant de l'Autre, regard qui medépouille de ma transcendance.Face à autrui, je ne peux plus qu'être « projet de récupération de mon être ».

Si autrui me regarde, je le regarde aussi.

S'il tend à mechosifier, je peux faire de même.

Mon projet de récupérer mon être ne peut se réaliser que si je m'empare de cette liberté d'autrui etque je la réduis à être liberté soumise à ma liberté.

Et, en effet, tout est combat, même l'amour.

Quel est, en effet, le désir de tout êtreamoureux ? N'est-ce pas d'abord de posséder l'être aimé, d'en faire sa chose ? Le combat se poursuit même dans les moments lesplus doux, jusque dans le désir, la caresse.

Le désir est une tentative pour déshabiller le corps de ses mouvements comme de sesvêtements et le faire exister comme pure chair.

Le désir, cette tentative d'incarnation d'autrui, s'exprime par la caresse : « Encaressant autrui, je fais naître sa chair, par ma caresse, sous mes doigts.

La caresse est l'ensemble des cérémonies qui incarnentAutrui.

»Qu'est-ce que cela veut dire, sinon que la caresse, ce n'est pas le simple « contact de deux épidermes », mais une façon, pour moi,d'empâter l'être désiré dans sa chair : « Mon but est de le faire s'incarner à ses propres yeux comme chair, il faut que je l'entraîne surle terrain de la facticité pure, il faut qu'il se résume pour lui-même à n'être que chair...

»Devenu corps, chair, présence offerte, sous mes doigts, par ma caresse, autrui ne me transcende plus.

Je suis rassuré : autrui est machose, il ne sera plus que ceci, cad chair. Si Sartre nous fait sentir toute cette « part du diable » qu'il peut y avoir dans nos rapports avec autrui – qui, comme sa pièce dethéâtre « Huis clos » tend à montrer, sont souvent « tordus » - notons cependant que la vision sartrienne n'est pas entièrementnégative.

Sartre, à la suite de Hegel, reconnaît que j'ai besoin de la médiation d'autrui pour obtenir quelque vérité sur moi.

Dessentiments comme la honte ou la pudeur ne me découvrent-ils pas des aspects essentiels de mon être que j'ignorais sans autrui ?Avoir honte, n'est-ce pas reconnaître que je suis tel qu'autrui me voit ? Que cette image qu'autrui me tend de moi-même n'est pas unevaine image ? Autrui est, ainsi, un médiateur indispensable entre moi & moi-même.

Il me fait passer d'une « conscience non-positionnelle de soi » à « une conscience réflexive ».

Autrement dit il me fait accéder à une véritable conscience de moi-même.

D'où laformule : « Je suis un être Pour-soi, qui n'est Pour-soi que par un autre.

» Enfin si la relation à autrui est conflictuelle, c'est parce que le projet originel de tout être humain, c'est d'être cause de soi, de coïncidertotalement avec lui-même, tel Dieu.

Or, ce projet d'être Dieu est, comme le dit Sartre, une passion inutile.

La peinture du vécu concretde l'altérité dans « L'être & le néant » ne peut, sans doute, se comprendre qu'en référence à ce projet de l'homme.

Si l'homme pouvaitrenoncer à cela, peut-être pourrait-il alors accéder à une vie plus authentique en assumant sa liberté et en reconnaissant la libertéd'autrui comme autre.. »

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