Devoir de Philosophie

L'empire de la mode

Publié le 08/08/2014

Extrait du document

Gilles Lipovetsky

L'EMPIRE DE L'ÉPHÉMÈRE, 1987 (COLLECTION FOLIO/ESSAIS, ÉDITIONS GALLIMARD)

L'empire de la mode

Aucune cohésion sociale n'étant possible sans communauté de croyances, sans similitude de coeur et d'esprit, il faut, pour que ne soit pas rompue la chaîne des générations et que les enfants ne deviennent pas étrangers à leurs pères, que se maintienne le respect des croyances

5 anciennes. Via l'imitation des mêmes modèles du passé, les générations continuent de se ressembler et forment une société une. La prééminence de la tradition est une constante sociétale, un impératif catégorique du lien de société et ce, quels que soient les bouleversements et les crises de mode.

10                           Analyse sans doute justifiée à la fin du xixe siècle, au moment où écri‑ vait G. de Tarde', lorsque la mode n'avait pas encore pris toute son exten­sion et laissait subsister de larges pans de la vie collective sous le joug de la tradition et de l'autorité du passé, mais qu'on ne peut reconduire telle quelle dans un temps où l'économie, la culture, le sens, l'existence quoti‑

15 dienne se trouvent régulés par l'éphémère et la séduction. Avec la mode achevée s'est opérée une mutation capitale dans l'axe du temps social, un retournement dans la composition des forces entre mode et coutume : pour la première fois, l'esprit de mode l'emporte à peu près partout sur la tradition, la modernité sur l'héritage. A mesure que la mode englobe des

20 sphères de plus en plus larges de la vie collective, le règne de la tradition s'éclipse, il ne représente plus qu'un « bien faible torrent « comparé au «grand fleuve « de la mode. Voilà le nouveau historique : nos sociétés fonctionnent en dehors de la puissance régulatrice et intégratrice du passé, l'axe du présent est devenu une temporalité socialement prévalente.

25 Partout se développent les phénomènes d'engouement et la logique de l'inconstance, partout se manifestent le goût et la valeur du Nouveau, ce sont des normes fluctuantes, sans cesse réactualisées, qui nous socialisent et guident nos comportements. L'empire de la mode désigne cette immense inversion de la temporalité sociale consacrant la prééminence du

30 présent sur le passé, l'avènement d'un espace social arc-bouté sur le pré­sent, le temps même de la mode. Si la mode nous gouverne, c'est que le passé n'est plus le pôle ordonnant le détail de nos actions, de nos goûts, de nos croyances ; les décrets anciens sont largement disqualifiés pour orien­ter les comportements, les exemples que nous suivons sont pris de plus en

35 plus autour de nous dans un environnement précaire. Que ce soit en matière d'éducation, de savoir, d'hygiène, de consommation, de sport, de relations humaines, de loisirs, c'est ici et maintenant que nous trouvons nos modèles, non derrière nous. Le legs ancestral ne structure plus, pour l'essentiel, les comportements et les opinions, l'imitation des aïeux s'est

œ effacée devant celle des modernes, l'esprit coutumier a cédé le pas à l'esprit de nouveauté. La mode est aux commandes parce que le passé législateur n'est plus régulateur, parce que l'amour des nouveautés est devenu général, régulier, sans limites, « la curiosité est devenue une pas­sion fatale, irrésistible «, écrivait Baudelaire. Dans la plupart des

t5 domaines, les individus recherchent passionnément les nouveautés, à la vénération du passé immuable se sont substitués les folies et les engoue­ments de mode, plus que jamais domine la devise « tout nouveau, tout beau «.

La mode est notre loi parce que toute notre culture sacralise le

50 Nouveau et consacre la dignité du présent. Non seulement dans les tech­niques, l'art ou le savoir, mais dans le mode de vie lui-même réagencé par les valeurs hédonistes2. Légitimité du bien-être et des jouissances maté­rielles, sexualité libre et déculpabilisée, invitation à vivre plus, à satisfaire ses désirs, à « profiter de la vie «, la culture hédoniste2 oriente les êtres

 

55 vers le présent existentiel, elle exacerbe les phénomènes d'engouement et la recherche du salut individuel dans les nouveautés comme autant de sti­mulations et de sensations propices à une vie riche et accomplie. Le règne du passé n'est pas aboli, il est neutralisé, assujetti qu'il est à l'impératif incontesté de la satisfaction privée des individus.

Pensez-vous, comme G. Lipovetsky, que les modèles du passé sont actuellement délaissés, et que la vie de l'homme moderne, dans ses aspects tant matériels que socioculturels, est réglée par la mode (manière passagère de vivre et de penser) ?

« nos croyances ; les décrets anciens sont largement disqualifiés pour orien­ ter les comportements, les exemples que nous suivons sont pris de plus en 35i plus autour de nous dans un environnement précaire.

Que ce soit en matière d'éducation, de savoir, d'hygiène, de consommation, de sport, de relations humaines, de loisirs, c'est ici et maintenant que nous trouvons nos modèles, non derrière nous.

Le legs ancestral ne structure plus, pour l'essentiel, les comportements et les opinions, l'imitation des aïeux s'est io effacée devant celle des modernes, l'esprit coutumier a cédé le pas à l'esprit de nouveauté.

La mode est aux commandes parce que le passé législateur n'est plus régulateur, parce que l'amour des nouveautés est devenu général, régulier, sans limites, « la curiosité est devenue une pas­ sion fatale, irrésistible », écrivait Baudelaire.

Dans la plupart des is domaines, les individus recherchent passionnément les nouveautés, à la vénération du passé immuable se sont substitués les folies et les engoue­ ments de mode, plus que jamais domine la devise « tout nouveau, tout beau».

La mode est notre loi parce que toute notre culture sacralise le ;o Nouveau et consacre la dignité du présent.

Non seulement dans les tech­ niques, l'art ou le savoir, mais dans le mode de vie lui-même réagencé par les valeurs hédonistes 2 • Légitimité du bien-être et des jouissances maté­ rielles, sexualité libre et déculpabilisée, invitation à vivre plus, à satisfaire ses désirs, à « profiter de la vie », la culture hédoniste 2 oriente les êtres ;5 vers le présent existentiel, elle exacerbe les phénomènes d'engouement et la recherche du salut individuel dans les nouveautés comme autant de sti­ mulations et de sensations propices à une vie riche et accomplie.

Le règne du passé n'est pas aboli, il est neutralisé, assujetti qu'il est à l'impératif incontesté de la satisfaction privée des individus.

1.

«Gabriel de Tarde, le premier à avoir réussi à théoriser la mode au-delà des appa­ rences frivoles ...

Le premier à avoir vu dans la mode une forme générale de socialité " (G.

Lipovetsky).

G.

de Tarde est né en 1843, et mort en 1904.

2.

Hédonisme : terme de philosophie.

Système qui fait du plaisir le but de la vie.

Doctrine qui affirme que le plaisir, notamment le plaisir physique, est le souverain bien et la condition de tous les autres : intellectuel, spirituel, etc.

(Sources : Dictionnaires Littré et Bordas.) •Questions 1.

Résumé (8 points) Vous résumerez ce texte en 175 mots (un écart de plus ou moins 10 % est toléré).

Vous indiquerez sur votre copie le nombre de mots que vous aurez employés.

28. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles