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L'école (Maurice Carême, Prince en poésie)

Publié le 22/02/2011

Extrait du document

L'école était au bord du monde,

L'école était au bord du temps.

Au dedans, c'était plein de rondes ;

Au dehors, plein de pigeons blancs.

On y racontait des histoires

Si merveilleuses qu'aujourd'hui,

Dès que je commence à y croire,

Je ne sais plus bien où j'en suis.

Des fleurs y grimpaient aux fenêtres

Comme on n'en trouve nulle part,

Et, dans la cour gonflée de hêtres,

Il pleuvait de l'or en miroirs.

Sur les tableaux d'un noir profond,

Voguaient de grandes majuscules

Où, de l'aube au soir, nous glissions

Vers de nouvelles péninsules. L'école était au bord du monde,

L'école était au bord du temps.

Ah ! que ne suis-je encor' dedans

Pour voir, au dehors, les colombes !

Maurice Carême, Prince en poésie.

Dans un commentaire composé, vous montrerez comment le rythme des vers, les images, les comparaisons contribuent à transfigurer l'atmosphère de cette école d'autrefois en y introduisant le rêve, la poésie, et le regret d'un paradis perdu.

« Tout ce qui se trouve dans l'école est négatif.

Dans le poème de Maurice Carême, on ne peut pas parler d'opposition: les rondes (danses ou caractères — ce terme est volontairement ambigu) sont aussi charmantes que les pigeonsblancs.

Le noir des tableaux n'a rien de triste.

Il engendre le rêve, le rêve de colombes ! Ainsi s'établit unecorrespondance entre l'intérieur et l'extérieur.

Ajoutons que l'expression «au bord» isole l'école, mais sans rupture.Un contact est conservé.

L'élève peut alors se demander comment le passage de l'un à l'autre est possible.

Le rêve permet cettetransfiguration.

Ici encore, la comparaison avec le poème de Prévert est fructueuse.

L'évasion permise par le rêvedétruit le cadre scolaire dans le texte de Prévert : «le porte-plume redevient oiseau».

Rien de tel pour MauriceCarême.

L'école subsiste; c'est elle qui éveille l'imagination : les grandes majuscules entraînent vers les péninsules.Ainsi l'éducation ne délimite pas un lieu fermé sur lui-même.

Elle ouvre au contraire sur le mouvement «voguaient»,«glissions».

Ces verbes évoquent une lente dérivation, le cheminement progressif de la rêverie.

L'adjectif«nouvelles» doit intriguer le lecteur.

Comment le comprendre? Le cadre décrit est tout à fait traditionnel ; sansdoute le « par cœur » et la récitation y trouvaient leur place.

Et pourtant cette atmosphère familière suscite lanouveauté, l'imprévu.

Le libellé du sujet parle de « paradis perdu ».

Compte tenu de ce qui vient d'être dit, nous voyons en effet quel'école représente un lieu privilégié.

Mais il serait bon de rechercher les images qui soulignent cette impression.

Laclasse se trouve «au bord du monde», c'est dire qu'elle est a priori protégée de ses atteintes.

Surtout, elle échappeau temps.

Un des attributs du paradis est de ne pas être soumis à la fuite des heures.

La couleur blanche despigeons et des colombes accentue encore cette impression.

La vision est pure.

Ici il faudrait sans doute montrer comment la mentalité enfantine rejaillit sur le poème.

La simplicité du premierquatrain fournirait un bon exemple : les répétitions sont nombreuses, le verbe peu recherché : « était ».Le poème décrit le monde féerique de l'enfance : les histoires «merveilleuses» préparent au rêve.

Le jeu sur l'adjectif«profond» permet d'étudier ce monde magique.

Il évoque en effet l'intensité du noir, une certaine qualité.

Mais ildésigne aussi la profondeur par opposition à la platitude.

La surface du tableau se métamorphose en abîme, devientmer, océan et entraîne toutes les images de navigation qui suivent.

Ainsi se trouve constitué un monde merveilleux :les fleurs sont irréelles « comme on n'en trouve nulle part ».Après la simplicité du début éclatent des images féeriques : «la cour gonflée de hêtres ».

Le participe suggère lavie, comme si l'école était nourrie de la sève des arbres.«Il pleuvait de l'or en miroirs» : expression mystérieuse et rayonnante.

Que ce soit les éclats du soleil, les refletsdes fenêtres, peu importe.

Ce qui compte c'est l'impression de lumière et de richesse qui en résulte.

Enfin le sujet parle de « regret ».

Il est évident que les deux derniers vers doivent être étudiés pour illustrer cepropos.

Mais le deuxième quatrain emploie aussi le présent.

Il faut donc le prendre en considération.Le jeu des temps est en effet intéressant.

Le poème est, dans son ensemble, écrit au passé.

Il évoque dessouvenirs.

Mais le deuxième quatrain montre l'influence que ces souvenirs ont sur le présent.

Il faut d'ailleursremarquer que la phrase se fait plus complexe.

L'enjambement, les subordonnées traduisent ce désarroi, enopposition à la pure simplicité du premier quatrain.Comment expliquer la réaction du poète? L'intrusion du merveilleux, du rêve détruit les certitudes rationnelles del'adulte.La structure des rimes confirme le désir d'un retour au passé : toutes les strophes comportent des rimes croisées,sauf la dernière aux rimes embrassées.

Cette dernière répartition présente une structure close qui correspond ausens général du poème.

En outre la première et la dernière strophe sont sensiblement semblables ; là encore lemouvement est clos.Les deux derniers vers expriment le regret.

L'exclamation en renforce la vivacité, les allitérations en « r » lanostalgie.

Le regret porte curieusement sur le désir de se trouver dans la classe afin de regarder dehors.

Le poèmeprend alors tout son sens. Maurice Carême regrette l'école non pour elle-même, mais pour la vision du monde qu'elle donnait.

On peut établiralors une distinction dans la notion du monde : l'école est bien au bord du monde et du temps, hors des adultes.

Ettout ce qui nous semblait extérieur, pigeons et colombes, fleurs et hêtres, n'était que le monde rêvé.

On comprendmieux alors la correspondance établie plus haut entre l'intérieur et l'extérieur.

L'originalité de Maurice Carême est dedire qu'il faut se situer dans l'école, dans l'enfance pour avoir cette vision merveilleuse.

Loin de détruire le rêve,l'école en est le support.

C'est ce rêve, désormais inaccessible, que regrette l'auteur.. »

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