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Le système colonial français : quels intérêts, quelles limites ?

Publié le 01/03/2011

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Le système colonial français : quels intérêts, quelles limites ?

 

 

 

Le XIXème siècle aura vu le visage de l'Europe changer de manière spectaculaire sous l'effet d'une Révolution industrielle qui, à partir de 1850, investira le continent d'une outrageante supériorité technologique, scientifique, mais surtout économique (vers 1900, l'Europe à elle seule représente 42% de la richesse mondiale) et démographique (environ un quart de la population mondiale à la même époque). De cette écrasante suprématie va naître la tentation d'étendre sa présence et son influence à d'autres continents – voir à la planète entière.

La France, grande puissance européenne et donc mondiale, n'aura pas échappé à cet appétit de conquête et comptera parmi les premiers pays à s'engouffrer dans cette nouvelle dynamique de colonisation. Quelle était, à l'époque, la nature des intérêts représentés par ce système expansionniste ? Quels motifs justifiaient une telle politique et une telle ampleur dans sa mise en application ? Enfin, quelles limites l'histoire nous a-t-elle amenés à lui découvrir ?

A travers les différentes parties de cette réponse organisée et en nous appuyant sur l'exemple de la politique française du XIXème siècle, nous nous attacherons, en premier lieu, à cerner les avantages occasionnés en son temps par l'aventure coloniale. La réponse à cette première problématique exigera d'analyser les trois grands ordres d'idées évoqués à son sujet par Jules Ferry dans son discours du 28 juillet 1885 : à savoir l'idée économique, l'idée de civilisation et l'idée d'affirmation politique. La deuxième partie de cette réponse consistera en une étude sur l'évolution à long terme de notre politique de colonisation. A travers les différentes révoltes et contestations qu'elle a soulevées au fil des années (tout d'abord en France métropolitaine, chez les intellectuels, les religieux et les politiques, puis, plus tard, au sein même des colonies), nous tâcherons d'en mettre les limites en évidence.

 

1. La colonisation, ses intérêts pour la France et les pays européens

 

 

Des origines économiques et financières

 

 

L'ambition économique a probablement été l'un des principaux moteurs de la colonisation. En effet, au XIXème siècle, dans un contexte de concurrence effrénée entre les puissances industrielles, la conquête de nouveaux territoires est, entre autres, synonyme de nombreux avantages pécuniaires pour le pays colonisateur. Hormis les bénéfices financiers que représentent les colonies (tout y est à construire et le moindre investissement s'y révèle évidemment bien plus rentable qu'ailleurs), on peut évoquer l'enjeu représenté par la promesse de nouvelles mines à exploiter, de nouvelles richesses souterraines à s'accaparer, de nouvelles matières premières et de nouvelles denrées exotiques à importer. Plus encore, coloniser, à l'époque, revient à écouler un surplus de produits manufacturés dans de tous nouveaux marchés, à signer de tous nouveaux traités de commerce, à transformer des populations indigènes en une toute nouvelle clientèle.

 

 

Une idéologie civilisatrice

 

 

Ce n'est pourtant pas en des termes de \"clientèle\" que les Français, dans leur dynamique d'expédition et de conquête, envisagent essentiellement les populations locales. Mélange de vieux réflexes évangélistes et de certitudes quant à la suprématie raciale de l'Homme blanc (la plus parfaite des races), une idéologie civilisatrice se répand chez les partisans de l'aventure coloniale. Convaincus de leur supériorité – et au nom de celle-ci –, les Européens se sont assignés la mission de civiliser les \"races inférieures\". Qu'il parte d'un sentiment paternaliste vis-à-vis de \"mineurs\" à éduquer ou d'un désir impérialiste d'imposer ses \"bonnes\" normes européennes, ce racisme bien-pensant, alors très largement répandu chez les Français et les Occidentaux en général, présente l'indéniable avantage de légitimer l'invasion et l'assujettissement des peuples indigènes.

 

 

L'impérialisme, ou l'affirmation à l'internationale de sa propre puissance nationale

 

 

C'est donc au nom de la civilisation et en toute bonne conscience que les Français et les autres Européens s'empressent de se partager le monde – plus particulièrement les continents asiatique et africain. Naturellement, cette frénésie colonialiste, lorsqu'elle est commune à plusieurs grandes puissances occidentales, ne tarde pas à exacerber entre celles-ci un sentiment de compétition déjà omniprésent. Dans un contexte d'intense patriotisme au sein de tous les pays d'Europe, comment, à l'internationale, mieux affirmer sa puissance nationale que par l'élargissement de son empire ? L'annexion de nouveaux territoires devient l'aune à laquelle les pays mesurent leur prestige, leur rayonnement politique par rapport à ceux de leurs rivaux. Il s'agit là d'une entente tacite entre les grandes puissances industrielles, si bien qu'il devient impossible de se tenir à l'écart de cette course à la colonie si l'on entend conserver la moindre crédibilité politique – qu'elle soit à échelle internationale ou française, comme en témoigne l'engouement des Français pour les expositions coloniales destinées à flatter leur goût pour l'exotisme, pour la puissance, et ainsi, de la part des gouvernements, à s'attirer leurs bonnes grâces.

 

 

2. La colonisation, ses limites

 

 

Au sein des métropoles, un ordre de plus en plus contesté

 

 

La course à la colonisation, malgré ses multiples sources d'avantages pour les pays occupants, n'aura pas exclusivement servi les intérêts de ces derniers, pas plus qu'elle n'aura fait l'unanimité auprès de ses habitants. Au sein même des métropoles, des voix s'élèvent régulièrement contre l'idée d'une suprématie raciale qui justifierait l'envahissement et les pillages. En juillet 1885, des députés s'expriment contre un Jules Ferry ouvertement pro-colonial et Clémenceau, deux jours plus tard, en réponse à son discours en faveur de la colonisation, déclare qu'il \"n'y a pas de droit des races dites supérieures contre les nations dites inférieures [...].\" Considérations éthiques mises à part, d'autres protestations se font entendre contre la priorité donnée, budgétairement, aux multiples expéditions qu'on accuse de capter l'argent public. Dans des contextes de Grande Dépression (1873-1896), puis de Première Guerre Mondiale (1914-1918), nombreuses sont les voix (notamment au sein des partis de la gauche française et plus particulièrement chez les socialistes et les communistes, réputés depuis toujours pour leurs opinions anti-impérialistes) prêtes à dénoncer une politique qui, loin de privilégier les investissements en France, s'obstine à mettre l'accent sur des campagnes à l'autre bout du monde. En dehors des sphères diplomatiques, des scientifiques comme Albert Einstein, des intellectuels comme André Gides (avec son virulent \"Voyage au Congo\" de 1927) et de puissants hommes d'Église (notamment le pape Benoit XV, qui, en 1919, dans son encyclopédie Maxima Illud, déplore l'oubli de valeurs comme celle de l'universalisme chrétien au profit d'une obsession pour l'intérêt patriotique) se détachent des politiques coloniales.

 

 

Dans les colonies, résistance et émergence de mouvements libéralistes

 

 

Si l'anti-colonialisme gronde en métropole, les personnalités le prônent, à l'instar du célèbre Indien le Mahatma Gandhi, ne sont pas en reste au sein des pays occupés. Ironiquement, les concepts et les valeurs que les pionniers européens ont amenés dans leurs valises – notamment les Droits de l'homme et celui, récemment réaffirmé par le président américain Wilson, des peuples à disposer d'eux-mêmes – seront les armes intellectuelles d'une élite locale dont les colons ont involontairement favorisé l'émergence. Si, jusqu'alors, les nombreux soulèvements indigènes ont été violemment réprimés par l'envahisseur, cette nouvelle génération, plus instruite et donc mieux armée que la précédente, commence à gagner du terrain dans le rapport de force qui l'oppose à l'occupant européen. Un début de conscience nationale anime, localement, une minorité européanisée qui, tirant parti de l'affaiblissement que la Première Guerre Mondiale a occasionné chez l'adversaire, parvient de mieux en mieux à s'organiser pour détruire, comme l'ont fait les Indiens avec leur Parti du Congrès, le mythe civilisateur de l'homme blanc. Plusieurs mouvements nationalistes dans les pays annexés vont ainsi voir progressivement le jour, parmi lesquels, un peu avant les années 20, le Destour tunisien et le Parti National indonésien, puis, à partir des années 30, le Parti Communiste des Indochinois et le Parti Populaire Algérien (avec, à sa tête, le célèbre Messali Hadj). Si les métropoles, pendant l'entre-deux-guerres, raidissent considérablement leurs positions à l'égard des colonies insurgées, on n'assistera pas moins, après la Seconde Guerre Mondiale, à l'émergence de deux superpuissances (officiellement) anti-coloniales : les USA et l'URSS. Les pays d'Europe, alors abattus par la guerre, ne peuvent que s'écraser et laisser le basculement s'opérer en faveur des peuples qu'ils s'étaient si longtemps appliqués à réprimer.

 

 

L'aventure coloniale française aura été au cœur de près d'un siècle de notre histoire et de celles des pays que nous avons occupés. De ce passé commun sont nées des relations profondes et compliquées entre anciennes nations colonisatrices et anciennes nations colonisées ; il aura également eu une incroyable influence sur notre culture, nos connaissances, nos mœurs. Si beaucoup des agissements européens pendant cette période apparaissent aujourd'hui comme discutables, voir comme ouvertement inadmissibles, le temps des colonies n'en demeure pas moins un chapitre marquant de notre parcours – un chapitre dont, malgré la noirceur et, souvent, la barbarie, il serait à la fois impossible, lâche et dramatique de renier l'héritage et les apprentissages. Loin de céder à la tentation d'en faire un sujet honteux et tabou, et en l'honneur des anciennes victimes de cette politique, il convient, aujourd'hui, d'en perpétuer la mémoire et d'en tirer les leçons pour rendre impossible tout risque de récidive. Quels visages auraient eu nos quotidiens et nos relations avec le monde sans ce passage de notre histoire ?

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