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Le procès de Pétain, Philippe, Maréchal de France

Publié le 22/02/2012

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Mémoire 1945 - Il fait très chaud le 23 juillet 1945 à 13 heures dans la salle de la première chambre de la cour d'appel de Paris. La canicule, certes, mais aussi l'entassement. Le tribunal, ses trois magistrats et ses vingt-quatre jurés, d'innombrables journalistes, des photographes, se serrent dans le prétoire où des privilégiés ont pris place derrière la cour Le barreau est confiné entre l'entrée de la salle et les bancs des témoins. Les galeries du public ont été garnies la veille de gradins de bois. Devant le banc de la défense, un fauteuil vide. La Haute Cour de justice, présidée par M. Mongibaux, premier président de la Cour de cassation, va juger Philippe Pétain, maréchal de France, ancien chef de " l'Etat français ". La guerre à l'Ouest est terminée depuis deux mois et demi. Avant même qu'elle se fût achevée, le maréchal est rentré de son propre chef d'Allemagne, où il se considérait comme prisonnier au château de Sigmaringen. Apprenant que le gouvernement provisoire avait décidé de le faire passer en jugement, il avait écrit à Hitler le 5 avril : " C'est en France seulement que je peux répondre de mes actes ". Le 20, devant l'avance alliée, les Allemands, après une course erratique sous les bombardements, l'avaient conduit à Bregenz, à la frontière suisse. Il l'avait franchie le 24 avril, jour de son quatre-vingt-neuvième anniversaire. Les Suisses l'avaient accueilli avec des fleurs et du chocolat. Le 26, à Vallorbe, le général Koenig, envoyé par de Gaulle, le mettait en état d'arrestation ainsi que Mme Pétain et les membres de leur suite. Un train fortement protégé les avait amenés près de Paris ils avaient été incarcérés au fort de Montrouge. Cette arrivée n'avait pas suscité une excessive satisfaction rue Saint-Dominique, où siégeait le général de Gaulle, Pétain était encombrant. Son âge excitait la sympathie à l'étranger. La presse se déchaînait contre " Pétain-Bazaine " et la plupart des journaux, issus de la Résistance, réclamaient à grands cris la mort du " traître ". Le pouvoir s'interrogeait. Il était encore fragile, et le maréchal avait compté bien des partisans. Sa présence n'allait-elle pas provoquer un mouvement en sa faveur, un réveil des vichystes écrasés ? Il faut faire vite. Commence alors, sous la présidence de M. Bouchardon, qui avait instruit les grands procès de trahison de la première guerre mondiale, une instruction accélérée. En quelques semaines, les magistrats s'efforcèrent de consulter des masses de documents, classés ou non. Bien des témoins sont à peine rentrés des camps de prisonniers, du travail forcé ou des camps de concentration. D'anciens responsables de Vichy ou de la collaboration sont en fuite. Les interrogatoires d'un inculpé affaibli par l'âge, affligé d'une surdité intermittente mais réelle, et dont les trous de mémoire, les moments de confusion mentale sont nombreux, sont décevants. Philippe Pétain a choisi pour avocat un spécialiste des affaires civiles, le bâtonnier Payen, qui s'est fait assister par Me Jacques Isorni, lequel vient de défendre l'écrivain Robert Brasillach, et par Me Jean Lemaire. Ils ont refusé le plus possible de parlementaires communistes. Pas de femmes : Mme Lucie Aubrac a été jugée trop passionnée. L'homme de marbre Et voici Pétain qui s'avance dans une salle où, écrit Joseph Kessel, " on distingue mal les avocats des témoins, les témoins des policiers, les policiers du public, le public des journalistes, les journalistes des jurés ". Il est là, avec son teint de marbre, ses yeux bleus. En uniforme, bien entendu, avec ses sept étoiles sur les manches, sa médaille militaire, son képi à trois rangs de feuilles de chêne, ses gants blancs. C'est le même Pétain qui, en août précédent, régnait encore sans gouverner, lentement abandonné par un Vichy expirant. Le même qu'à l'automne 1940 et jusqu'après 1942 les foules vénéraient, le héros, le saint, le père dont le portrait était dans toutes les vitrines et sur tous les timbres celui que les enfants chantaient dans les écoles. L'homme le plus adulé de France, que les Parisiens, le 26 avril 1944, étaient venus acclamer sur la place de l'Hôtel-de-Ville parce qu'il était pour eux, tant bien que mal, une fenêtre ouverte dans la nuit. Aimé comme un symbole, haï comme un symbole. Le symbole de la défaite acceptée, d'une collaboration qu'il a lui-même entamée, de la législation antijuive qu'il a promulguée sans même y être poussé par les nazis, d'une répression sanglante accomplie sous son nom. Il est là, impavide, lisse et droit, surprenant de tant ressembler à ses portraits. Il ne joue pas sa tête. Elle est jouée. Le sait-il ? A Montrouge, pendant l'instruction, la bataille a commencé entre ses avocats. Me Payen veut plaider les services rendus en 1914-1918 et l'affaiblissement des facultés mentales. " Il est gâteux ", dit-il sans ambages. Me Isorni s'est pris d'une affection filiale pour ce client hors série. Pour lui, pas de question : Pétain doit assumer pleinement son règne à Vichy. Il a été le rempart des Français face à Hitler et doit le proclamer hautement. Le jeune avocat-il a trente-quatre ans-remonte pièce à pièce le vieillard au bord de l'écroulement. Il le redresse, lui donne une voix, une plume. -Accusé, veuillez vous lever. Quels sont vos nom, prénom, âge et qualité ? -Pétain, Philippe, maréchal de France ... La pièce est commencée. Comme il était prévisible, le bâtonnier Payen dépose des conclusions d'incompétence. Elles sont vite rejetées. Pétain lit alors d'une voix claire une déclaration rédigée par Jacques Isorni. C'est, dit-il, " au peuple français qu'il est venu rendre des comptes ", et non à une Haute Cour qui ne le représente pas. " Pendant quatre années, par mon action, j'ai maintenu la France ! ... Je n'ai pensé qu'à l'union et à la réconciliation des Français... Pendant que le général de Gaulle, hors des frontières, poursuivait la lutte, j'ai préparé les voies à la Libération en conservant une France douloureuse, mais vivante. " Il demande que sa condamnation, s'il est condamné, soit la dernière et que ceux qui l'ont servi soient épargnés. Mais il est innocent, et " un maréchal de France ne demande grâce à personne ". Il s'en remet " au jugement de Dieu et à celui de la postérité ". Au demeurant, a-t-il dit d'entrée de jeu, " je ne ferai pas d'autres déclarations. Je ne répondrai à aucune question ". Il se tait au milieu d'un silence glacial. Les six députés socialistes, les deux radicaux-socialistes, le député communiste, les trois sénateurs ( deux radicaux-socialistes, un Gauche démocratique) et les douze jurés " non parlementaires " issus de la Résistance ne peuvent guère apprécier pareil discours qui gomme tant d'erreurs et, de l'avis de la plupart, tant de crimes. Le public, dès le début, montre qu'il n'est pas seulement composé de partisans du nouveau pouvoir. Le procureur général Mornet, personnage d'allure diabolique, montrera tout au long du procès un acharnement souvent maladroit. Ce vieillard harcelant un autre vieillard offre un assez déplaisant spectacle. Défend-il les magistrats qui, membres de la Cour compris, ont naguère prêté à l'accusé un serment qui n'a , dit-il, aucune valeur que du fond de la salle les protestations fusent. " J'invite la cinquième colonne à plus de discrétion ", tempête Mornet. Le président Mongibaux, qui aura d'autres occasions, au cours de vingt audiences, d'imposer silence aux amis de l'accusé comme de calmer la fureur vengeresse de certains jurés, menace de faire évacuer la salle. Le défilé des témoins commence. En tête, dressé de toute sa petite taille, Paul Reynaud, dernier président du conseil de la IIIe République avant Philippe Pétain. Il prononce un réquisitoire qui est aussi une justification de son attitude dans le débat de juin 1940 sur l'armistice. Sur ce point, de vifs incidents l'opposeront plus tard au général Weygand. Le ton en tout cas est donné. Les derniers grands notables de la IIIe république-Edouard Daladier et Edouard Herriot, le président Albert Lebrun-prononcent de longs exposés de style parlementaire. Léon Blum est émouvant dans sa modération frémissante : " Je ne connais pas le maréchal. Il y a en lui un mystère. " Puis le procès progresse en zigzag. Témoins de l'accusation, témoins supposés " neutres " et témoins de la défense se succèdent dans un étonnant désordre. Après Marcel Paul, syndicaliste, communiste et le bâtonnier Arrighi, arrêté par la milice, tous deux déportés, vient le général Weygand, qui, après sa défense de l'armistice, accable Pierre Laval. D'autres généraux viennent plaider longuement pour leur ancien chef. Celui-ci, sorti de sa torpeur apparente et de son silence volontaire coupe l'un deux : " Assez de tactique " Laval, l'ange noir On s'endormait. Coup de théâtre : l'ange noir de Vichy, l'homme que les principaux témoins de l'accusation et surtout de la défense ont chargé de tous les maux, Pierre Laval, a été livré la veille par Franco à la France et au poteau d'exécution. On l'amène. Le teint plus jaune que jamais, amaigri, dans un costume froissé, il paraît sans ressort. Il se ressaisit vite et fait face aux questions que lui pose notamment M. Pierre Bloch, juré parlementaire socialiste. Il n'accable pas Pétain, mais il note que celui-ci est allé à Montoire jeter avec Hitler les bases de la collaboration il l'a fait de lui-même: " je ne l'ai pas emmené de force. " Et il se défend : " je n'accepte pas qu'on m'impute d'avoir été je ne sais quel mauvais génie pour une politique qui aurait été faite contrairement à l'intérêt de la France ". Puis on retombe dans le train-train. Courageusement, le général André Lafargue, résistant et toujours en activité-il sera mis à la retraite-, vient défendre le " Vercingétorix " de la " nouvelle Alésia ". Anciens ministres, hauts fonctionnaires du Vichy de Pétain, membres de son entourage, les fidèles se succèdent. Deux moutons noirs : Fernand de Brinon, qui fut ambassadeur de Vichy à Paris et tenta de former en Allemagne un gouvernement collaborateur en exil, Joseph Darnand, fondateur et chef de la milice, qui a prêté serment à Pétain, puis à Hitler. Ils louvoient. La défense n'insiste pas. On se perd à nouveau dans un dossier que personne ne maîtrise. Ce que le président Mongibaux a appelé " l'un des plus grand procès de l'histoire " apparaît bâclé, faute d'une instruction suffisante et d'une stricte discipline des débats. Le 11 août, M. Mornet prononce un assez bref réquisitoire. Le virulent procureur général reconnaît qu'on ne peut établir que Pétain, dès avant guerre, ait comploté contre la République. Mais, depuis 1940, il a trahi : il a accepté et fait accepter la défaite, il a humilié la France et pris le vainqueur pour modèle, il a voulu déshonorer la France en violant ses engagements envers ses alliés et les a combattus. Et l'on plaide. Me Payen ouvre le feu par deux longs exposés. Me Lemaire est bref et incisif. Jaques Isorni prononce la plaidoirie de sa vie. Il conclut : " Magistrats de la Haute Cour... vous tenez dans vos mains le destin de la France. " Le bâtonnier ne veut pas laisser le dernier mot à son collaborateur. Il prend une troisième fois la parole et conclut par un " Vive la France ! ", applaudi par les fidèles du fond de la salle. L'accusé à qui, selon le rite, le président donne la parole, lit une déclaration. " J'ai dit-il, voulu rester sur le sol de France pour tenter de protéger et d'atténuer les souffrances (du peuple français) "... " Ma vie et ma liberté sont entre vos mains. Mais mon honneur, c'est à la patrie que je le confie... " Pas un mot ni d'hommage ni bien sûr de regret pour les victimes, les combattants, les résistants, les torturés, les déportés, les fusillés. Il est 21 h 5, le 14 août. La cour se retire pour délibérer. Le palais de justice et la Sainte-Chapelle restent éclairés. Le préfet de police Luizet dirige un service d'ordre fortement armé. L'attente dure jusqu'à 4 heures du matin. Pétain, pâle de fatigue, est ramené des locaux du quai des Orfèvres, où il est logé et où il a assisté à la messe. Il regagne son fauteuil. Le président Mongibaux donne lecture de l'arrêt. Le vieillard n'en saisit que des bribes. Il se tourne vers le bâtonnier Payen : " Qu'y a-t-il ? Qu'est-ce qui se passe? " Il renonce à suivre et se renfonce dans son fauteuil. Il ne réagit pas à l'annonce de sa condamnation à mort, à l'indignité nationale et à la confiscation de ses biens. Il n'entend pas non plus le président ajouter : " Tenant compte du grand âge de l'accusé, la Haute Cour de justice émet le voeu que la condamnation à mort ne soit pas exécutée. " De Gaulle n'eut qu'à exaucer le voeu de la Cour. Pétain, aussitôt transféré au fort du Portalet, entrait dans le long crépuscule qui s'acheva six ans plus tard à l'île d'Yeu. Son véritable procès dure encore.

« Il est là, impavide, lisse et droit, surprenant de tant ressembler à ses portraits.

Il ne joue pas sa tête.

Elle est jouée.

Le sait-il ? A Montrouge, pendant l'instruction, la bataille a commencé entre ses avocats.

Me Payen veut plaider les services rendus en1914-1918 et l'affaiblissement des facultés mentales.

" Il est gâteux ", dit-il sans ambages.

Me Isorni s'est pris d'une affectionfiliale pour ce client hors série. Pour lui, pas de question : Pétain doit assumer pleinement son règne à Vichy.

Il a été le rempart des Français face à Hitler etdoit le proclamer hautement.

Le jeune avocat-il a trente-quatre ans-remonte pièce à pièce le vieillard au bord de l'écroulement.

Ille redresse, lui donne une voix, une plume. -Accusé, veuillez vous lever.

Quels sont vos nom, prénom, âge et qualité ? -Pétain, Philippe, maréchal de France ... La pièce est commencée.

Comme il était prévisible, le bâtonnier Payen dépose des conclusions d'incompétence.

Elles sont viterejetées.

Pétain lit alors d'une voix claire une déclaration rédigée par Jacques Isorni.

C'est, dit-il, " au peuple français qu'il estvenu rendre des comptes ", et non à une Haute Cour qui ne le représente pas.

" Pendant quatre années, par mon action, j'aimaintenu la France ! ...

Je n'ai pensé qu'à l'union et à la réconciliation des Français...

Pendant que le général de Gaulle, hors desfrontières, poursuivait la lutte, j'ai préparé les voies à la Libération en conservant une France douloureuse, mais vivante.

" Ildemande que sa condamnation, s'il est condamné, soit la dernière et que ceux qui l'ont servi soient épargnés.

Mais il est innocent,et " un maréchal de France ne demande grâce à personne ".

Il s'en remet " au jugement de Dieu et à celui de la postérité ".

Audemeurant, a-t-il dit d'entrée de jeu, " je ne ferai pas d'autres déclarations.

Je ne répondrai à aucune question ". Il se tait au milieu d'un silence glacial.

Les six députés socialistes, les deux radicaux-socialistes, le député communiste, les troissénateurs ( deux radicaux-socialistes, un Gauche démocratique) et les douze jurés " non parlementaires " issus de la Résistance nepeuvent guère apprécier pareil discours qui gomme tant d'erreurs et, de l'avis de la plupart, tant de crimes. Le public, dès le début, montre qu'il n'est pas seulement composé de partisans du nouveau pouvoir.

Le procureur généralMornet, personnage d'allure diabolique, montrera tout au long du procès un acharnement souvent maladroit.

Ce vieillardharcelant un autre vieillard offre un assez déplaisant spectacle.

Défend-il les magistrats qui, membres de la Cour compris, ontnaguère prêté à l'accusé un serment qui n'a , dit-il, aucune valeur que du fond de la salle les protestations fusent. " J'invite la cinquième colonne à plus de discrétion ", tempête Mornet.

Le président Mongibaux, qui aura d'autres occasions, aucours de vingt audiences, d'imposer silence aux amis de l'accusé comme de calmer la fureur vengeresse de certains jurés, menacede faire évacuer la salle. Le défilé des témoins commence.

En tête, dressé de toute sa petite taille, Paul Reynaud, dernier président du conseil de la III e République avant Philippe Pétain.

Il prononce un réquisitoire qui est aussi une justification de son attitude dans le débat de juin1940 sur l'armistice.

Sur ce point, de vifs incidents l'opposeront plus tard au général Weygand. Le ton en tout cas est donné.

Les derniers grands notables de la III e république-Edouard Daladier et Edouard Herriot, le président Albert Lebrun-prononcent de longs exposés de style parlementaire.

Léon Blum est émouvant dans sa modérationfrémissante : " Je ne connais pas le maréchal.

Il y a en lui un mystère.

" Puis le procès progresse en zigzag.

Témoins del'accusation, témoins supposés " neutres " et témoins de la défense se succèdent dans un étonnant désordre.

Après Marcel Paul,syndicaliste, communiste et le bâtonnier Arrighi, arrêté par la milice, tous deux déportés, vient le général Weygand, qui, après sadéfense de l'armistice, accable Pierre Laval. D'autres généraux viennent plaider longuement pour leur ancien chef.

Celui-ci, sorti de sa torpeur apparente et de son silencevolontaire coupe l'un deux : " Assez de tactique " Laval, l'ange noir On s'endormait.

Coup de théâtre : l'ange noir de Vichy, l'homme que les principaux témoins de l'accusation et surtout de ladéfense ont chargé de tous les maux, Pierre Laval, a été livré la veille par Franco à la France et au poteau d'exécution.

Onl'amène.

Le teint plus jaune que jamais, amaigri, dans un costume froissé, il paraît sans ressort.

Il se ressaisit vite et fait face auxquestions que lui pose notamment M.

Pierre Bloch, juré parlementaire socialiste.

Il n'accable pas Pétain, mais il note que celui-ciest allé à Montoire jeter avec Hitler les bases de la collaboration il l'a fait de lui-même: " je ne l'ai pas emmené de force.

" Et il sedéfend : " je n'accepte pas qu'on m'impute d'avoir été je ne sais quel mauvais génie pour une politique qui aurait été faitecontrairement à l'intérêt de la France ".. »

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