Devoir de Philosophie

Le Nègre De Surinam - Candide - Chapitre 19

Publié le 29/09/2010

Extrait du document

 

  Candide, conte philosophique de Voltaire , est un réquisitoire contre toutes les dérives de l'époque (guerre, intolérance religieuse..) mais surtout contre la doctrine optimiste de Leibniz. Tout au long du conte, le personnage de Candide, qui a été élevé par un philosophe optimiste Pangloss, est livré à lui-même et parcourt le monde. Au fil de ses aventures, il est témoin d'horreurs et de monstruosités diverses censées lui ouvrir les yeux sur l'absurdité de croire en un monde parfait. Dans l'extrait étudié, situé au chapitre 19, Candide et son valet Cacambo arrivent à surinam en Guyane hollandaise. Ils y font la rencontre d'un esclave nègre. Ce déroule alors une conversation entre le naïf Candide, choqué par la situation et l'esclave. Nous pouvons donc nous demander en quoi dans cet extrait Voltaire dénonce-t-il efficacement les dérives de son siècle ? Nous commencerons par voir en quoi la construction rigoureuse de l'extrait appuie la thèse de l'auteur, nous nous intéresserons ensuite aux cibles de la dénonciation pour finir sur l'aspect satirique du passage. 

              Dans un premier temps nous pouvons observer que le passage constitue un récit bien construit pour appuyer la critique formulé par l'auteur. En effet, nous pouvons nous intéresser à la construction particulière du passage. On remarquer qu'il y a plusieurs niveaux d'énonciation. Tout d'abord la rencontre est introduite par du récit à la 3ème personne de la ligne 1 à la ligne 3 « En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre «. Le temps utilisé utilisé est le passé simple, le temps du récit. Ensuite, le dialogue entre Candide et l'esclave commence : «  Eh, mon Dieu, lui dit Candide « Le temps est celui  du présent de narration puisque le nègre raconte ses mésaventures, le dialogue est marqué par les guillemets ligne 3, les tirets (ligne 20). Puis, il y a également du discours rapporté à l'intérieur même du dialogue. Ce discours rapporté par le nègre sont les paroles de sa mère «  elle me disait «, on a l'impression que le discours de l'esclave va se transformer en récit car le temps devient le passé, ce retour dans le passé du nègre rappelle son histoire pour arriver jusqu'à surinam.

                   Ensuite, nous pouvons également constater que Voltaire a fait appel à des personnages stéréotypés,qui sont plus faciles à cerner et auxquels il est plus simple de s'identifier pour appuyer son argumentation. Il y a d'un côté Vanderdendur, l'esclavagiste blanc que le nègre méprise implicitement, puisqu'il le nomme « fameux « dans un sens péjoratif (il est célèbre pour sa méchanceté et sa cruauté). Ce côté cruel est accentué par l'onomastique : le nom de famille à double sens du personnage, Vanderdendur ou le vendeur à la dent dure, il y a une reprise de l'expression avoir la dent dure qui signifie être sévère, strict.  Et de l'autre côté il y a le nègre, qui est une description de la misère totale : il est mutilé «  il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main gauche «, il est à moitié nu « n'ayant que la moitié de son habit « , de plus la symbolique du corps du nègre qui est « étendu par terre « donne l'image d'un déchet humain, un être totalement soumis. On a donc d'un côté le monstrueux bourreau et de l'autre la victime innocente, Voltaire a donc volontairement forcé les traits de ces personnages pour faire ressortir l'idée de camps opposés et rentre le négociant encore plus détestable et le nègre encore plus à plaindre.

 

                       Dans un second temps, nous pouvons étudier les cibles de la dénonciation. Nous pouvons déjà voir que la cible principale est la pratique de l'esclavage qui est perçue comme inhumaine et dégradante à plusieurs niveaux. Elle l'est tout d'abord physiquement puisque la nègre est doublement amputé « il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite «, et il est uniquement vêtu d'un caleçon de toile « on nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement «. Elle l'est ensuite socialement car le nègre n'a pas de nom : répétition expressive de « nègre «, il est la propriété d'un autre homme «  j'attends mon maître « (le verbe attendre sous entend un état de soumission) , la répétition du terme « fétiches « pour désigner les hommes blancs renforce l'impression de supériorité de ceux-ci. Elle l'est encore intellectuellement, parce que les esclaves semblent être considérés comme inférieurs aux animaux, qui sont énumérés « les chiens, les singes, et les perroquets sont milles fois mieux traités que nous «, ceci est renforcé par l'hyperbole « milles fois mieux «; de plus ces animaux peuvent être assimilés à des comportements attendus chez les esclaves : les chiens sont fidèles et obéissants, les singes font tous les gestes qu'on leur demande, et les perroquets répète sans réfléchir. De plus, elle l'est également au niveau culturel et religieux puisque les nègres sont arrachés à leur religion et forcé de suivre celle des hommes blancs « les fétiches hollandais qui m'ont convertis « (verbe d'action passive, renforce l'aspect non volontaire de la conversion). L'auteur a également recourt au registre pathétique pour souligner l'horreur de l'esclavage et susciter pitié et compassion chez Candide mais également chez le lecteur : énumération des maux infligés aux nègres « on nous coupe la main, on nous coupe la jambe, je me suis retrouvé dans les deux cas « et Voltaire  utilise des termes péjoratifs pour souligner l'horreur de la situation du nègre « état horrible «, « abomination «, « pauvre homme «.

                     Par la suite, on peut remarque que l'auteur fait également référence et s'en prend au système économique de l'époque : le commerce triangulaire. Le principe de  ce système était d'échanger en Afrique, de verreries  et des choses belles mais sans valeur venues d'Europe contre des esclaves qu'on envoyait ensuite travailler en Amérique. L'auteur fait d'abord référence au Code noir (règlement qui régit l'esclavage) lorsque le nègre dit « c'est l'usage « .De plus, le commerce triangulaire est implicitement nommé lorsque l'esclavage nous apprend qu'il a été vendu « ma mère me vendit « puis qu'il a été fait esclavage loin de chez lui :« Quand nous travaillons aux sucreries «, le verbe travailler désigne un travail forcé et non rémunéré. L'auteur critique également le système économique car  il corrompt les liens humains : le nègre a été vendu par sa propre mère pour de l'argent « j'ai fait leur fortune « et pour faire du profit on n'hésite pas à commettre des horreurs à l'encontre d'autres êtres humains. De plus, Voltaire souligne l'absurdité du lien de cause à effet, il a pour cela recourt à l'ironie et à l'euphémisme « c'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe «, la cause est la gourmandise des européens et l'effet est la mutilation des esclaves, il y donc un décalage entre la futilité de la cause et la gravité des effets. L'horreur de ce système est également renforcer par le ton détaché qu'emploi le nègre quand il raconte ce qui lui ai arrivé puisqu'il présente ces faits comme une formalité admise « c'est l'usage « De plus, grâce à l'alternance du je et du nous, le nègre s'élève au-dessus de son cas particulier et se fait porte-parole de toutes les victimes de ce système. 

 

                       Enfin, dans un troisième temps, nous pouvons nous intéresser à l'aspect satirique du passage. Tout d'abord, le texte fait une satire de la religion. Voltaire fait allusion à la religion en passant par le champ lexical de l'Église «  mon dieu «, « bénit «, « seigneur «, « Adam «, « fétiches « en l'accusant de cautionner l'esclavage ce qui est en contradiction totale avec les fondements de la religion .L'auteur fait un raccourci ironique avec « les fétiches « pour désigner les religieux, ce qui ramène la religion à du fétichisme et de la superstition. Voltaire dénonce l'hypocrisie des religieux en dressant un paradoxe entre leur discours et la réalité . Les religieux disent que « nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs «  mais ils cautionnent l'état d'infériorité imposé aux noirs, réduits à l'état d'objet « maître «. Ce discours est d'ailleurs par la suite démonté par l'ironie avec la phrase du nègre « Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas user d'une manière plus horrible avec ses parents « . 

 

              Ensuite et pour finir,  l'auteur fait évidemment une satire de l'optimisme. En effet, l'esclavage apparaît dans cet extrait comme un exemple de plus, une preuve supplémentaire pour démentir la philosophie de Leibniz. Voltaire attaque d'abord l'optimisme des parents du nègre qui vivent dans l'illusion « ils te feront vivre heureux «, il y a ici un paradoxe avec ce qu'ils pensent et la réalité (les mutilations), de plus il y a une opposition avec la vie des parents et celle du nègre soulignée par la phrase « tu fais la fortune de ton père et de ta mère « «  je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne «.  L'auteur attaque ensuite la doctrine de Pangloss, en faisant douté Candide lui-même qui est pourtant toujours resté fidèle à l'enseignement de son précepteur «  Ô Pangloss ! Tu n'avais pas deviné cette abomination, c'en est fait, il faudra qu'à la fin je renonce à ton optimisme « , ici Candide souligne lui-même le caractère illusoire de cette philosophie qui ne résiste pas à l'examen des faits.  De plus, comme précédemment dans le chapitre 3 par exemple, le héros optimiste (Candide) apparaît comme un anti-héros puisqu'à par s'apitoyer il ne fait rien pour aider le nègre (dans la suite du chapitre, il pleure mais continu sa route). 

 

 

                  Voltaire dénonce donc dans ce passage les dérives de son siècle en critiquant la pratique de l'esclavage, le système commercial en place, l'Église et la philosophie de l'optimisme. De plus il le fait efficacement puisque le choix des caractères stéréotypés et la construction rigoureuse du passage permet au lecteur d'adhérer encore plus à ses idées. 

Voltaire n'est pas le seul auteur à avoir dénoncer ce fait historique, puisque Montesquieu dans son texte De l'esclavage des nègres critique les mêmes choses (l'esclavage et l'hypocrisie de la religion face à ce fait) en utilisant lui aussi le procédé ironique.

 

Liens utiles