Devoir de Philosophie

LA LITTÉRATURE FÉMININE

Publié le 09/02/2019

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Marguerite Duras en 1986 à Deauville. Non loin de cette station balnéaire, à Trouville, elle possédait un appartement dans l’ancien hôtel des Roches-Noires.

▼ Représentation en 1995 de Art de Yasmina Reza. Son écriture incisive et ses personnages perdus en eux-mêmes ont apporté un vent de renouveau dans récriture théâtrale.

 

irréelle qui contredit le réalisme et le détail. Le revirement définitif de l’écriture durasienne s’effectue avec Le ravissement de Loi V Stein (1964) et Le Vice-consul (1966), dont elle tire un film. Comme Loi, Duras «se souvient de tout pour la première fois» et poursuit une esthétique du mystère. La primauté accordée aux dialogues confère au langage le pouvoir de suggérer un monde intermédiaire que hante l’obsession de la déperdition, de l’impuissance à rendre compte d’une relation amoureuse «qui existe peut-être ou n’existe peut-être pas».

 

Le difficile dialogue

 

Cette difficulté est le thème essentiel qui nourrit les romans des femmes de la génération des années 1980-1990. Raphaëlle Billetdoux (née en 1951) s’en fait l’écho dans Prends garde à la douceur des choses (prix Interallié 1976): toute ren-

sont plus un objet de vénération mais un moyen de connaissance et d’expression. La représentation théâtrale agit de façon purificatrice chez le spectateur en lui permettant de reconsidérer ses craintes, ses doutes grâce aux personnages.

 

C’est aussi cette révélation qui a poussé Danièle Sallenave et Catherine Clément a publier chacune le récit d’une équipée en Inde. La première publie Le principe de ruine (1994), la seconde Pour l'amour de l'Inde (1994). Toutes deux parlent du «coup de l’Inde» comme on dit le coup du lapin ou un coup de tête. De l’Inde, Danièle Sallenave rapporte cette notation: «Ça pue, c’est de la vie toute crue et pourtant c’est du funèbre. En Inde tout coupe la respiration et l’art du yoga n’est pas autre chose que suspendre et couper le souffle savamment. » Catherine Clément y fait l’expérience de la porosité. L’Inde vit d’une façon archaïque qui a existé en Europe et a disparu. Le don de l’Inde, c’est de donner à voir tout le passé du monde qui est vivant là-bas et mort en Occident.

 

Nathalie Sarraute

 

C’est aux expériences qui se passent sous la conscience que s’est attachée Nathalie Sarraute (née en 1900). Gustave Flaubert disait dans sa correspondance que ce qui l’intéressait c’était de voir ce qui se passe avant que l’on éprouve de la sympathie ou de l’antipathie pour quelqu’un. C’est cela que, faute de mieux, Nathalie Sarraute a appelé tropisme. Tropismes (1939) paraît aux éditions de Minuit en même temps que La jalousie d’Alain Robbe-Grillet. Elle a vingt ans de plus que les auteurs dit du nouveau roman et Roland Barthes la classe, à tort, avec eux. En réalité, sa démarche n’a rien à voir avec l’extériorité affichée par Robbe-Grillet car elle est plutôt une romancière du dialogue et de la parole. Certes, elle partage avec les nouveaux romanciers l’idée que le personnage, l’intrigue sont des choses dépassées. Ce qui l’intéresse, ce sont les mouvements aux limites de la conscience qui sont sous le langage, voire sous le monologue intérieur. Son univers est un microcosme: cercle familial, milieu littéraire, couple.

 

Dans ces pièces de théâtre (Le silence, 1964; Le mensonge, 1966; Elle est là, 1980; Pour un oui pour un non, 1982), les personnages n’ont pas de nom et sont désignés par des numéros. Ils sont les supports d’une investigation psychologique. L’action dramatique est absente, seul existe un dialogue situé entre conversation et sous-conversation, au niveau déjà exploré par la romancière anglaise Ivy Compton-Burnett (1884-1969) où nos paroles et nos silences trahissent nos pensées secrètes. Du

Brigitte Enguerand

fait de ce mode expressif, Nathalie Sarraute a attendu longtemps avant d’être publiée et lorsqu’elle le fut, la presse l’ignora. Ses livres étaient réputés difficiles alors que son premier succès, Le planétarium (1959), est un récit très simple: la tante Berthe a imprudemment parlé de céder son appartement à son neveu. Son frère Pierre et son épouse font pression sur elle et vont jusqu’à la menacer de l’expulser si elle ne tient pas parole. Le roman explore avec minutie les rapports de force qui se nouent dans cette famille. Nathalie Sarraute s’attache aux mots, aux impulsions qui font passer en un instant les protagonistes de la tendresse à la haine, de l’abattement à la joie.

 

On retrouve ces variations constantes de l’humeur dans Ici (1996). Un personnage est agité en sourdine dans ses rapports avec les autres par les revirements de la lumière sur un pan de mur. À chaque chapitre, de petites métaphores agitent un être et montrent l’instabilité du moi et la difficulté de communication entre les consciences.

 

Marguerite Duras (1914-1996) s’est attachée à cette même difficulté. Ses premiers romans sont encore des récits traditionnels et conservent leur place à la narration, à la description et aux personnages. Fburtant, dans Un barrage contre le Pacifique (1950), l’évocation de ce mirage colonial tend à supplanter la peinture des relations entre colonisateurs et colonisés pour enfanter une atmosphère

 

contre est un risque. À la première minute, aux premiers mots échangés, l’histoire est déjà en marche si elle n’est pas parfois déjà achevée. Chez Billetdoux, la violence et la sensualité des premiers instants d’un couple se mêlent à la stupéfaction face à leur amour qui les éblouit et les déchire tout à la fois. Dans Lettre d’excuse (1981), au cours d’un dîner en ville, une femme se livre, parle en son nom propre. Ses aveux se terminent à l’aube dans la stupeur. Pour retrouver l’estime de son époux et de ses amis, elle leur rédige une lettre d’excuse. Mais dans le silence de la nuit, sa plume courant sur le papier, c’est une fois encore la colère qui l’emporte. Le style de Billetdoux, très coloré, est tout en éblouissements.

 

Née en 1914, Dominique Rolin quitte Bruxelles à la mort de son compagnon. Elle écrit Les marais (1942) et reçoit une lettre de Max Jacob: « Monsieur vous avez et vous seul, compris ce qui est la beauté de la création. Votre livre descend du ciel et traîne à sa suite la méchanceté sournoise des hommes. » Il est abusé par le prénom et la combustion violente de l’écriture. On retrouve la même force dans Les soleils rajeunis (1971) et Bleu indigo (1986) d’Anne Bragance (née en 1943). Une femme se voue à la lecture lorsqu’elle ne vend pas son corps. Un fou empoigne l’histoire et fait disparaître le bleu et les femmes de la Terre. Il en résulte une immense désolation.

« La littérature féminine L' Europe nouvelle de cette parole militante et collective.

Elle-même reste méconnue comme écrivain.

Ses Mémoires d'une Européenne, combat pour les femmes en six volumes, couvrent la période de 1893 à 1974.

Ses romans Dernières Voluptés, Le cachemire, Délivrance (1935) sont de facture plus traditi9nnelle mais militent pour la cause des femmes.

A la même époque, il faut rela­ ter l'expérience unique de Simone Weil (1909-1943) : agrégée de philosophie, elle tra­ vaille comme ouvrière aux usines Renault en 1934-1935 puis comme ouvrière agricole pendant la guerre avant de s'exiler à New York puis à Londres.

Atteinte de tuberculose, elle refuse tout soin pour partager le sort des Français demeurés au pays.

Elle a rela té ces expériences et sa recherche de la justice et de la vérité dans des œuvres telles La condition ouvrière (1951), Oppres­ sion et liberté (1955).

Tous ses écrits sont post­ humes.

Toutes ces expériences singulières trouvent leur porte-parole en la personne de Simone de Beauvoir qui commence La force des choses (1963) par cette question volontairement provo­ catrice «Qu'est-ce qu'une femme?» et poursui­ vait son constat par «Voulant parler de moi, je m'avisai qu'il me fallait décrire la condition féminine».

L'identité féminine se définit encore en négatif, l'homme n'a pas besoin de se décla­ rer comme individu «il est dans son droit en étant homme, c'est la femme qui est dans son tor t».

Ces propos posent le problème de la recherche par les femmes d'une identité positive et non pas seulement définie par rapport aux hommes.

Après la publication de son Journal, Anaïs Nin (1903-1977) déclarait dans une inter­ view: «J'ai toujours cru qu'il y avait un langage de la femme mais que quand elle écrivait, elle écrivait comme un homme.» Celui-ci retrace la quête de son identité personnelle, le développe­ ment de sa vocation littéraire comme des actes d'autoaffirmation.

Sa rencontre avec Henry Mil­ ler, sa pratique de la psychanalyse placent son œuvre dans un univers psychique particulière­ ment propre à l'imaginaire de la femme (La mai­ son de l'inceste, 1936; Séduction du Minotaure, 1961 ; Le roman de l'avenir, 1967).

Le roman psychologique Au profit d'un large public et à l'écart des labora­ toires de recherche littéraire, le roman féminin français s'affirme mais continue à promener le «miroir>> de Stendhal le long de ses routes tradi­ tionne lles.

Par droit d'ancienneté s'impose ......

Marguerite Yourcenar, en novembre 1979 dans le salon encombré de sa maison de Petite Plaisance, dans la presqu'Île des Monts Déserts, aux États-Unis.

' L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge d'Hélène Cixous mise en scène, en 1985, par Ariane Mnouchkine.

d'abord Louise de Vilmorin (1902-1971) qui a écrit comme elle vivait, en épicurienne libre.

Elle a produit une œuvre où voisinent le conte et le roman (Sainte-Une fois, 1934; Madame de ...

, 1951; l'Heure maliciôse, 1967).

C'est une femme d'exception que chérissent Saint-Exupéry et André Malraux.

Ses romans sont élégants, vifs et témoignent, sous leur impulsivité naïve, féerique et leur ironie tragi-comique, d'une profonde connaissance de l'âme.

Le roman allie toujours l'étude de caractère, la peinture d'une société mais, rédigé au féminin, il égratigne les fonde­ ments sacrés de la société.

C'est le cas de Béatrice Beek (Léon Morin, prêtre, 1952), Christine de Rivoyre (La mandarine, 1957; Le petit matin, 1968) et Christiane Rochefort dont le Repos du guerrier (1958) fit date par sa hardiesse; et enfin l'impé­ tueuse Françoise Sagan célèbre par le scandale qu'elle fit à dix-huit ans avec Bonjour tristesse (1954).

La jeune prodige se transforme en authen­ tique romancière qui sait dans le monde restreint de la fête montrer et suggérer le désespoir.

Puis avec la maturité elle écrit des œuvres plus pro­ fondes et personnelles (La femme fardée, 1971; La laisse, 1986).

L'adhésion à la réalité pour ces auteurs trouve une confirmation dans le fait que plusieurs de leurs œuvres ont été port ées à l'écran.

Dans ce riche ensemble, la pénétration psychologique se manifeste toujours.

Il semble cependant que soit réservé à quelques écrivains féminins le privilège d'illustrer plus spécialement la tradition du roman d'analyse.

Le roman d'analyse C'est surtout chez deux femmes nées en Belgique puis naturalisées françaises, Marguerite Yourcenar (1903-1987) et Françoise Mallet-Joris (née en 1930), qu'on trouve ce surprenant don d'analyse.

Françoise Mallet-Joris, qui publie Le rempart des béguines (1951) à vingt et un ans, conte l'amitié passionnée de deux jeunes femme$ ; son deuxiè­ me roman, Lettres à moi-même (1963), est plus autobiographique.

Dans chacun d'eux, on retrou­ ve la même acuité descriptive, la même introspec­ tion minutieuse.

Ensuite, elle se tourne vers la vie intérieure et une interprétation mystique de la réa­ lité avec Les signes et les prodiges (1966).

La matu- rité aidant, elle livre ses confidences dans La mai­ son de papier (1970).

Ensuite, elle se penche sur les destins de femmes comme dans Un chagrin d'amour et d'ailleurs (1981) et Adriana Sposa (1990), alors que dans Dickie-roi (1986) elle raille le milieu des variétés et la déchéance auquel celui-ci peut conduire, déchéance dont rend compte Le rire de Laura (1985) qui expose une traversée de l'enfer de la drogue.

Dans toutes ces œuvres, Fran­ çoise Mallet-Joris fait preuve, de rigueur, de justesse et d'une finesse pour rendre compte des situations psychologiques délicates.

Marguerite Yourcenar La mère de Marguerite Yourcenar meurt d'une fièvre puerpérale alors que l'enfant n'a que quelques jours.

Son père la confie à des nourrices et à des gouvernantes.

Ils ne se découvriront l'un l'autre qu'au cours des nombreux voyages qu'ils font ensemble.

Très tôt Marguerite veut devenir écrivain et elle publie à compte d'auteur Le jardin des chimères (1921).

Elle choisit son nom de plume à dix-huit ans avec son père (anagramme de Crayencour , un «C» reste inempl oyé, ce nom est choisi pour le plaisir du Y).

Toute sa vie, Marguerite Yourcenar a été une voyageuse impénitente et c'est au cours de ses périples qu'elle écrit ce qu'elle nommait ses «projets de sa vingtième année».

Elle. »

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