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La chute du mur de Berlin

Publié le 22/02/2012

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II y eut 1789. Il y a 1989. Après les deux dates on n'a plus pensé comme avant. Il y aura toujours des historiens pour rappeler qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Ne les croyons pas. Tocqueville peut bien souligner qu'il y a plus de continuité que de rupture entre la fin de l'Ancien Régime et le commencement de la Révolution, il est trop intelligent pour ne pas ajouter que la violence du changement a fait basculer une civilisation. En tout cas, depuis 1989, on peut dire que la pensée est prise de vertige. La pensée politique ? Pas seulement. Toutes les constructions intellectuelles et les prévisions sociologiques s'adossaient à la dualité conflictuelle de l'univers idéologique. Le monde soviétique et le monde dit libre, couple infernal, ennemis-partenaires, opposés dans les objectifs et complices dans les moyens, contraints au respect réciproque par l'équilibre de la terreur, ces deux mondes étaient pensés comme aussi éternels que des catégories de l'esprit. Les observateurs les plus éclairés, croyant pouvoir dominer les partisans de l'un ou l'autre camp, en arrivaient à échafauder des thèses qu'ils croyaient globalisantes. Ainsi, Raymond Aron lui-même avait imaginé qu'une logique supérieure du développement industriel finirait par coïncider les sociétés américaines et soviétiques, l'une et l'autre cédant aux impératifs implacables de l'industrie et de la technologie. Après tout, n'est-ce pas ce qui se passait pour ce qui était de la production de l'acier et surtout dans la conquête de l'espace ? Raymond Aron s'est empressé de revenir sur ces "illusions du progrès".

« pensée, et parfois peut-être aussi le fond de commerce, s'étaient réfugiés dans la seule obsession antisoviétique.

Ilsavaient mille fois raison de combattre la barbarie stalinienne et la philosophie de l'histoire marxiste léniniste.

Mais ilsavaient cent fois tort de ne pas se demander à quels besoins répondait, en profondeur, le communisme. On néglige trop souvent le fait que l'option communiste, pour organiser la vie dans la cité, a une origine avant toutreligieuse.

La mystique égalitaire est née du besoin de ne reconnaître de supériorité qu'à Dieu, et le collectivisme,c'est d'abord la vie recluse des communautés monastiques exemplaires.

Le XIXe siècle s'est toujours souvenu decette origine, avant que Marx ne l'efface.

Et souvenons-nous que, dans les années soixante-dix, le maoïsme inspiraitle lyrisme religieux : ascèse individuelle, alternance du travail manuel et intellectuel, frugalité et rusticité descomportements, tout faisait de la Chine, selon l'étrange propos d'un père dominicain, un gigantesque monastère.

Lepère en question ne précisait pas s'il pensait que Mao était notre saint Bernard. Une autre raison de l'enracinement du rêve communiste dans l'imaginaire de l'humanité vient de ce qu'il s'est nourride l'anticapitalisme c'est-à-dire de l'aversion pour l'usure, la spéculation, l'argent qui ne produit que l'argent, l'argentqu'on n'obtient pas en faisant soi-même fructifier les biens de la terre.

Le marxisme a relayé le communisme dessectes et le socialisme des utopistes pour prendre en charge la tradition évangélique et puritaine contre les non-producteurs, contre les consommateurs sans mérite et les privilégiés sans légitimité.

Même la tradition protestante,en dépit des brillantes et d'ailleurs contradictoires démonstrations de Max Weber, n'a jamais vraiment réussi àtriompher de ces préventions enracinées.

La référence communiste a longtemps été la mauvaise conscience del'expansionnisme capitaliste. Cela signifie que l'humanité est condamnée à inventer un substitut aux fausses réponses que procurait lecommunisme.

Davantage : la critique du capitalisme est devenue implacable depuis qu'elle n'est plus hypothéquéepar la peur de faire le jeu des Soviétiques.

L'Occident et l'économie ultra-libérale de marché ont perdu leur principalalibi.

La lutte des classes, qui devait s'achever avec la fin de l'Histoire et qui en était le signe, est plus violente quejamais.

Sans doute peut-elle cesser ou se transformer avec les sociétés religieuses comme les communautésislamiques.

Simplement ce qui est arrivé, c'est que les utopies de salut sur la terre ont disparu.

Ce n'est pas la fin del'Histoire.

C'est la fin du sens de l'Histoire. Quelques années après Fukuyama, trois universitaires de Princeton, Huntington, Wallace et Lewis ont repris l'analyselà où les critiques de Fukuyama l'avaient laissée.

L'Histoire sera faite au XXIe siècle, selon eux, par "le choc descivilisations".

Que dit Huntington pour l'essentiel ? D'abord que les divisions entre pays riches et pauvres, entredémocraties et régimes totalitaires, ne seront plus décisives parce qu'il n'existe plus de monde libre et développé,distinct du monde communiste et du tiers-monde.

Sans doute, régimes politiques et dénivellations économiquescontinueront-ils de jouer un rôle.

Mais Huntington estime que les "civilisations" et leurs éventuels conflits dominerontla scène mondiale comme les dynasties, les États-Nations, les systèmes idéologiques avec les guerres que les uns etles autres ont engendrées dans les siècles précédents.

"Le choc des civilisations dominera la politique mondiale.

Leslignes de fractures entre civilisations seront les lignes de front de l'avenir." Les hommes appartenant à ces civilisations différentes ont des vues divergentes sur les relations entre Dieu etl'homme, l'individu et le groupe, le citoyen et l'État, les parents et les enfants, le mari et la femme, ainsi que surl'importance relative des droits et des responsabilités, de la liberté et de l'autorité, de l'égalité et de la hiérarchie.Ces différences résultent d'un processus qui s'est étendu sur des siècles.

Elles ne sont pas près de disparaître. Selon l'historien WilliamWallace, la ligne qui sépare de la façon la plus significative l'Europe de l'Est de l'Europe del'Ouest pourrait bien être la frontière orientale de la chrétienté occidentale en l'an 1500.

Cette ligne passe sur lesfrontières qui séparent actuellement la Russie de la Finlande et des États baltes, coupe la Biélorussie et l'Ukraineorientale orthodoxe, fait un détour à l'Ouest pour séparer la Transylvanie du reste de la Roumanie, puis traverse laYougoslavie en suivant presqu'exactement la ligne qui sépare aujourd'hui la Croatie et la Slovénie du reste del'ancienne fédération.

Dans les Balkans, cette ligne coïncide naturellement avec la frontière historique de l'Empiredes Habsbourg et de l'Empire ottoman. Les peuples situés au nord et à l'ouest de cette ligne sont protestants ou catholiques. Ils ont parcouru les chemins de la féodalité, de la Renaissance, de la Réforme, des Lumières, de la Révolutionfrançaise et de la révolution industrielle.

Ils veulent s'intégrer dans une économie européenne.

Les peuples situés àl'est et au sud de cette ligne sont orthodoxes ou musulmans.

Le rideau de velours de la culture a remplacé le rideaude fer de l'idéologie. Entre les civilisations occidentale et islamique, le conflit dure depuis 1300 ans.

Il est improbable que ce conflitséculaire s'apaise.

Comme dit Bernard Lewis : "Nous sommes en face d'un climat et d'un mouvement qui dépassentde loin le niveau des politiques suivies par les différents gouvernements.

Ce n'est rien moins qu'un choc decivilisations." Fukuyama avait tort sur presque tout.

Huntington, Wallace et Lewis n'ont tort sur presque rien.

Mais ce "presque"est considérable et, à vrai dire, essentiel.

Ils ont le mérite de décrire et de souligner la solidarité profonde descultures qui forment une civilisation.

Mais ce qu'ils sont conduits à ignorer pour les besoins de leur démonstration,c'est l'importance, l'épaisseur et l'intensité du conflit qui, loin d'opposer les civilisations entre elles, traverse chacuned'elles de part en part : le conflit entre la tradition et la modernité.

Entre Communauté et Individu, Enracinement et. »

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