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KANT: De la guerre

Publié le 03/05/2005

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Il ne doit y avoir aucune guerre ; ni celle entre toi et moi dans l'état de nature, ni celle entre nous en tant qu'États, qui bien qu'ils se trouvent intérieurement dans un état légal, sont cependant extérieurement (dans leur rapport réciproque) dans un état dépourvu de lois - car ce n'est pas ainsi que chacun doit chercher son droit. Aussi la question n'est plus de savoir si la paix perpétuelle est quelque chose de réel ou si ce n'est qu'une chimère et si nous ne nous trompons pas dans notre jugement théorique, quand nous admettons le premier cas, mais nous devons agir comme si la chose qui peut-être ne sera pas devait être, et en vue de sa fondation établir la constitution qui nous semble la plus capable d'y mener et de mettre fin à la conduite de la guerre dépourvue de salut, vers laquelle tous les États sans exception ont jusqu'à maintenant dirigé leurs préparatifs intérieurs, comme vers leur fin suprême. Et si notre fin, en ce qui concerne sa réalisation, demeure toujours un voeu pieux, nous ne nous trompons certainement pas en admettant la maxime d'y travailler sans relâche, puisqu'elle est un devoir. KANT

La guerre n'a cessé d'ensanglanter l'Histoire et de renaître tel un Phoenix. L'idée d'une paix perpétuelle serait-elle pure chimère ? Il n'y a pas loin du constat à l'interprétation fataliste, qui voit dans les faits passés et présents la nécessaire conséquence de la méchanceté naturelle de l'homme, donnée comme évidente. Ce « diagnostic « apparemment lucide n'annonce rien de bon pour l'avenir, si les mêmes causes produisent les mêmes effets. La disqualification d'une espérance, lorsqu'elle conduit l'homme à renoncer à son devoir, et justifie son cynisme en le donnant comme réalisme, relève d'une approche critique rigoureuse, car elle atteste une certaine confusion. Le doute quant à l'existence future d'un monde sans guerre justifie-t-il ce qui, sous prétexte de réalisme politique, maintient entre les États une logique de rapports de forces ? Le paradoxe habituel, « si tu veux la paix prépare la guerre «, est-il aussi évident qu'on le prétend ? L'idée d'un droit international permettant de s'acheminer vers la paix entre les États est-elle si chimérique ? L'étude d'un texte de Kant va nous permettre de prendre en charge ces questions, dont l'enjeu est décisif pour définir le sens de l'idéal de paix.

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« état légal « intérieurement », mais ils ont négligé de le faire « extérieurement ».

La thématisation kantiennese précise ici dans une réflexion sur le rapport qui pourrait bien exister entre la paix civile et la « paixextérieure », c'est-à-dire à l'échelle cosmopolitique.

Si, selon la formule proposée, « chacun doit chercherson droit », ce ne peut être, pour Kant, que dans l'institution de lois, afin de régler les rapports entre lesÉtats comme se règlent, dans la Constitution républicaine, les rapports entre les individus.

La thèse du texteest déjà largement suggérée par le parallélisme de Kant : si la fin idéale est la paix, il faut la rechercher surle plan international par une Constitution, permettant de régler les rapports entre les États, de telle sorteque le faible et le fort soient soumis à une loi commune, et que le faible ne soit pas assujetti au fort.

Bref,s'il convient de s'éloigner de l'état de nature pour que la vie civile d'un pays soit possible, il convientégalement de le faire pour que la paix dans le Monde le soit aussi.

Est-ce possible ? Les relations entre Étatspeuvent-elles échapper à la violence et à la loi du plus fort ? D'emblée Kant envisage les objections qu'onpeut lui adresser, au nom du réalisme (ce qui ne veut pas forcément dire conformément au réalisme).

Si lapaix perpétuelle (c'est-à-dire assez forte pour ne plus être compromise) est difficile à atteindre, doit-ellecesser pour autant d'être un objectif visé ? Autant dire qu'on ne cherchera pas à soigner une maladieréputée aujourd'hui incurable...

L'argumentation que développe Kant à partir de la seconde phrase mérited'être analysée de près.

Prenons l'objectif que constitue la paix perpétuelle.

Qu'est-ce qui permet de direqu'il s'agit d'une chimère ? Les arguments invoqués en la matière sont-ils de véritables preuves ? Se référer àla multiplicité des guerres passées ou présentes, c'est s'en tenir à l'expérience connue.

Expliquer ces guerrespar la « méchanceté naturelle de l'homme », c'est faire une hypothèse, qui n'a rien d'évident.

À supposerqu'elle existe, cette méchanceté produit-elle nécessairement de tels effets ? Par ailleurs, ne peut-on pastout aussi bien expliquer les actes de dévouement, d'entraide, par la bonté naturelle de l'homme ? Laméchanceté est donc une des potentialités de l'homme, mais la bonté aussi.

Ni l'une ni l'autre ne peuventconstituer une explication suffisante, car on peut se demander ce qui fait qu'une potentialité passe à l'acteplutôt qu'une autre.

La fatalisation de la guerre à partir d'une théorie de la nature humaine inférée d'uneexpérience limitée n'est donc pas recevable, car sur deux points la théorie qui la soustend est défaillante : lagénéralisation abusive qui institue une expérience étendue, mais toujours limitée, en preuve d'une naturepermanente, dépourvue de toute liberté, et partant susceptible de produire indéfiniment ses effets ; etl'explication causale unilatérale qui confond potentialité et disposition immédiate à agir.

Il n'est donc paspossible d'affirmer que la guerre existera toujours sous prétexte qu'elle s'est produite souvent.

De l'avenir,nous ne pouvons juger à partir du passé ; nous pouvons tout au plus faire des conjectures, raisonner entermes de probabilités.

On ne peut donc pas plus affirmer avec certitude que la guerre est perpétuelle, ouque la paix perpétuelle existera effectivement.

L'expérience humaine déborde, par sa richesse à venir, touteexpérience finie, et c'est confondre les registres que d'étendre la connaissance du passé à l'idée que l'onpeut se faire de l'avenir.

Sauf à concevoir que le passé contient déjà tout ce qui sera, qu'il fait norme pourl'avenir, - donc que l'homme n'est pas libre -, on ne peut tenir la guerre pour fatale.

Kant peut donc sepermettre d'écarter l'objection qu'il envisage lui-même, en précisant que le problème se situe ailleurs : « laquestion n'est pas de savoir si la paix perpétuelle est quelque chose de réel ou si ce n'est qu'une chimère etsi nous ne nous trompons pas dans notre jugement théorique quand nous admettons le premier cas.

»Admettre, c'est retenir une hypothèse comme possible, et non pas lui donner le caractère d'une véritéincontestable.

Ayant posé un tel préalable, Kant énonce un principe général portant sur le devoir, et prenantici une signification particulière « nous devons agir comme si la chose qui peut-être ne sera pas devait être.» Principe général, dans la mesure où il établit aussi nettement que possible la distinction entre ce qui est etce qui devrait être, entre le fait et le droit, spécifié ici en devoir-être.

Principe critique aussi, puisqu'il libèrel'ordre du devoir : être de la considération de l'être, en stipulant que l'accomplissement d'un devoir ne doitpas être assujetti à la certitude de voir réalisé intégralement ce que l'on souhaite.

Bref, le devoir est del'ordre de l'impératif catégorique, il doit écarter les objections de plus ou moins bonne foi qui dispensentd'agir bien sous prétexte que le monde est corrompu et le restera. Impératif catégorique : obligation qui prescrit l'accomplissement sans condition de l'action morale. La signification particulière de ce principe, ici, est liée à l'enjeu présenté au début du texte : la paix entre lesÉtats.

Il s'agit de normer les rapports entre les États par une Constitution, c'est-à-dire un ensemble de loisfondatrices permettant de substituer le droit aux relations de force.

L'analogie avec l'état de droit dans lasociété civile est ici manifeste.

Comment concevoir cette Constitution ? En stipulant explicitement desprincipes intangibles : par exemple, l'égalité de tous les peuples, qui interdit toute politique de grandepuissance reposant sur la loi du plus fort; la liberté, ou droit des peuples à disposer d'eux mêmes (ce quiexclut le colonialisme et ses formes sournoises).

On peut prolonger l'énoncé de ces principes fondamentauxpar la définition d'objectifs communs, comme par exemple promouvoir la volonté de régler par la négociationtout différend qui peut surgir.

Nul doute, pour Kant, que la mise en place d'une telle Constitution ne soit, àterme, la seule solution efficace : préparer la guerre sans cesse est une façon illusoire de sauver la paix, etruine l'économie des nations.

Le plus fort peut certes intimider le plus faible, provisoirement, ou l'équilibre desforces empêcher le conflit, mais si l'un a le bon droit de son côté, et l'autre est en faute, les causes duconflit demeurent.

Croire que l'équilibre de la terreur, par ses effets dissuasifs, sauve la paix, c'est donc fairefi des problèmes de fond, et instaurer la force comme simple principe de régulation, avec tous les aléas quecela comporte : tant que les causes fondamentales d'un conflit demeurent, cet équilibre ne fait qu'empêcherleur manifestation, mais il ne les supprime pas.

De plus, à l'époque de la bombe atomique, que ne pouvaitcertes envisager Kant, nul n'est à l'abri d'une erreur, ou d'un acte malveillant, qui déclencherait lacatastrophe.

La conclusion de Kant (la dernière phrase du texte) résume l'ensemble des idées du texte, enréaffirmant que l'élaboration d'une Constitution internationale est un devoir absolu, quelles que soient les. »

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