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Jean Jacques Rousseau, Julie, ou la Nouvelle Héloïse: BONHEUR ET DESIR

Publié le 22/07/2010

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Ce texte, écrit en 1761, est tiré de l’oeuvre de Jean Jacques Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse. Le sujet traité est le rapport entre le désir et le bonheur. L’auteur décrit les différentes étapes de la satisfaction d’un désir en énonçant que c’est le fait de désirer et d’imaginer l’objet de nos désirs qui mène au bonheur, et non la satisfaction de ces désirs.  Cet extrait est découpé en trois parties. Tout d’abord, de la ligne 1 à la ligne 3, la thèse du texte est énoncée, à savoir que le bonheur réside dans l’attente de la satisfaction d’un désir. Dans un second temps, de la ligne 3 à la ligne 12, l’auteur argumente sa thèse en parlant du rôle de l’imagination, qui rend comme présent l’objet de nos désirs, puis de la désillusion qu’engendre la satisfaction de nos désirs. Enfin, Rousseau conclut dans la dernière partie de l’extrait en affirmant que la seule source de bonheur possible pour les hommes est l’attente et l’imagination de l’objet de leurs désirs. Cet état de désir est-il le seul capable de procurer du bonheur ? Ne peut-on définitivement pas être heureux après la satisfaction d’un désir ?    La première phrase, « Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! « est une formule provocatrice et paradoxale. Elle est annoncée comme un avertissement, et l’auteur utilise la manière forte pour énoncer une idée qui va contre ce qu’on a tendance à penser d’habitude. En effet, il faut comprendre ici, que celui qui possède tout, donc qui n’a plus aucun désir à satisfaire, est voué au malheur. Or, de manière générale, on a tendance à penser que satisfaire tous ses désirs, c’est accéder au bonheur, et que le malheur viendrait plutôt de la frustration de l’attente de l’assouvissement de nos désirs. « Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède « accroît le paradoxe, au point de le rendre incompréhensible, car on pourrait penser que celui qui n’aurait plus rien à désirer serait libéré du désagrément causé par la peur de ne pas satisfaire un désir, et serait ainsi gagnant. Rousseau nous assure pourtant que lorsqu’on satisfait tous ses désirs, on perd tout ce qu’on possède. Mais que peut-on perdre, lorsqu’on a tout ? Un début de réponse est donné dans le début de la phrase suivante, « on jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère «. Le verbe jouir est évoqué, mais concerne l’attente qui précède l’obtention de l’objet du désir, c'est-à-dire l’espérance d’obtenir, et non l’accomplissement du désir. L’utilisation de la notion d’espérance renvoie à quelque chose de joyeux et de fort. Il y a dans l’attente une véritable excitation. En effet, on peut prendre l’exemple d’un anniversaire ou de la fête de Noël, où l’on peut vraiment constater une réelle excitation des enfants avant d’avoir leurs cadeaux. On peut également trouver un exemple dans la littérature, avec le roman d’Albert Cohen, Belle du Seigneur, dans lequel une jeune femme nommée Ariane met beaucoup plus de soins dans la préparation des rendez-vous qu’elle a avec son amant qu’au rendez-vous lui-même. Le roman montre l’état d’excitation et de bonheur qu’on peut trouver dans l’attente. L’auteur, en disant qu’on « n’est heureux qu’avant d’être heureux «, affirme que l’on est plus heureux avant d’accomplir un désir qu’une fois le désir accomplit, et nous répète donc que l’accès au bonheur ne se trouve pas là où on l’attend, à savoir dans la satisfaction du désir. De manière générale, lorsque l’on désire quelque chose, on place le bonheur dans le futur, et il est alors souhaité, imaginé. Selon Rousseau, cette imagination qui caractérise l’attente serait plus forte que la satisfaction, et on ne serait heureux qu’à ce moment là.  Avec la suite, « En effet, l’homme avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir «, l’auteur s’explique sur les affirmations qu’il a énoncé juste avant en décrivant le mécanisme qui caractérise l’attente. On aurait pu penser que Rousseau nous fait part d’une expérience personnelle malheureuse, mais il parle d’une généralité et on d’un exemple, du mécanisme de tous les hommes. Il décrit donc ce mécanisme en définissant l’homme comme avide et fait pour tout vouloir, c'est-à-dire que ses désirs ne sont limités que par son imagination, mais aussi borné et fait pour peu obtenir, dans le sens où la réalité ne peut satisfaire qu’une petite partie de ses désirs. Selon l’auteur, l’homme serait donc destiné à obtenir moins que ce qu’il espère, et serait donc dans un état d’éternelle frustration et de désappointement, c'est-à-dire que sa volonté serait infinie mais pas son pouvoir de réalisation. Le fait que les désirs soient potentiellement limités rend la satisfaction difficile. Il faut ici comprendre que l’on désire d’autant plus ce que l’on n’a pas et ce qu’on a du mal à obtenir, et que le désir se nourrit d’obstacles et de difficultés. Ainsi, selon l’auteur, plus l’objet de nos désirs est difficile à obtenir, plus le désir de l’avoir est fort. On peut trouver facilement des exemples dans de célèbres histoires d’amour, telles que Roméo et Juliette, ou Tristan et Iseult, qui tombent amoureux fous de la seule personne qu’ils ne peuvent pas avoir. Cette idée peut être liée au sens étymologique du mot « désir «, qui vient du latin « desiderare « et plus particulièrement de « sidus, eris «, qui signifie astre, étoile. Désirer, étymologiquement, c’est donc ressentir le manque d’une étoile, d’une chose inaccessible. Ainsi, le désir d’immortalité est un désir récurrent dans l’histoire de l’homme, et à ce jour jamais réalisé, il est donc une illustration au fait que l’homme tende à désirer l’impossible. Mais pour compenser cette frustration qui semble définitivement caractériser l’homme, Rousseau nous parle ensuite d’une « force consolante «, divine car reçue « du ciel «, que possèderaient les hommes. Cette force consolante dont parle l’auteur est en fait le pouvoir que l’on a de visualiser les choses dans notre esprit, et il va nous expliquer le rôle de cette force afin de mieux comprendre le mécanisme du désir tel qu’il le perçoit. Cette force, « qui rapproche de lui tout ce qu’il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte «, permet donc selon lui de rendre réel à l’homme l’objet de son désir, de compenser largement le manque qu’engendre l’attente, et même de lui procurer du plaisir. Effectivement, il est vrai que l’on prend plaisir à imaginer l’objet de nos désirs. On s’imagine par exemple avec la paire de bottes qu’on a vu dans une vitrine, ou sur la plage de Miami où l’on aimerait partir en vacances. Rousseau nous explique en fait que l’imagination fonctionne de telle façon qu’elle rend infinie le pouvoir de l’homme. Il peut en effet rêver de ce dont il a envie, même si la réalité ne lui permet pas de l’obtenir. Lorsqu’il rêve, c’est lui qui a les cartes en main et qui peut tout décider. Dans Belle du seigneur, Ariane passe ses journées à imaginer ses rendez-vous, et trouve en cette rêverie une véritable source de bonheur. Une application directe de cette notion de pouvoir que donne l’imagination qu’exprime Rousseau se trouve dans l’art. En effet, l’artiste, qu’il soit peintre, écrivain où réalisateur rend possible par l’imaginaire des foules de choses improbables. L’auteur, dans la fin de la phrase, accroît le pouvoir de la force divine, en disant que celle-ci peut « rendre cette imaginaire propriété plus douce «, en le modifiant « au gré de sa passion «. Rousseau évoque en fait ici le principe de cristallisation, énoncé par Stendhal, qui est le fait d’embellir l’objet de notre amour, donc de notre désir. Proust, dans Un amour de Swann, illustre ce principe par son personnage principal, Charles Swann, qui tombe amoureux d’une jeune femme nommée Odette à qui il va attribuer toutes les qualités qu’il trouve à une femme peinte sur le plafond de la chapelle Sixtine, alors qu’Odette est en réalité une personne profiteuse et malhonnête. Après avoir décrit l’étape de l’attente de la satisfaction d’un désir, caractérisée par la représentation que l’on a de ce qu’on aspire à avoir, l’auteur va, avec la phrase suivante, nous décrire la dernière étape du désir, qui est l’accomplissement du désir lui-même. En se fiant aux idées communes, on s’attend alors à ce que la satisfaction du désir soit une source de bonheur comparable à l’état de désir, voire supérieure, puisque l’objet de nos désirs va passer de l’état de simple représentation imaginaire à celui d’objet matériel. Mais selon Rousseau, le fait de posséder ce qu’on désire nous rendrait malheureux, « Mais tout ce prestige disparaît devant l’objet même «. L’auteur annonce une véritable désillusion du fait de la disparition de la magie engendrée par l’imaginaire, qui rendait tout possible. L’auteur affirme que « rien n’embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point de ce qu’on voit ; l’imagination ne pare plus rien de ce qu’on possède « dès lors que l’on obtient l’objet que l’on désire. Il faut comprendre que le pouvoir de l’imagination cesse face à la réalité, qui ne peut ainsi plus être embellie, et demeurera par conséquent toujours moins belle que l’imagination. Cette désillusion est sans appel et produit la déception. L’objet que l’on a désiré n’est plus modelé par notre imagination, il est à nu, et n’a plus aucun moyen de se rendre plus attrayant à nos yeux Aussi, même si Rousseau évoque une certaine jouissance dans l’accomplissement d’un désir, « l’illusion cesse où commence la jouissance «, il considère pourtant que l’illusion possède un pouvoir différent et supérieur à celui de la jouissance de posséder un bien. Ce pouvoir qu’aurait l’illusion serait la procuration de bonheur, alors que la jouissance amènerait un simple plaisir, non comparable au bonheur.  Dans la troisième et dernière partie de ce texte, Rousseau conclut en affirmant que « le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité «. Il choisit ainsi de vivre dans l’imagination, c'est-à-dire dans l’attente de la satisfaction d’un désir, et fait le choix de sacrifier la courte jouissance apporté par l’accomplissement d’un désir au bonheur illimité procuré par l’imaginaire. En effet, le pays des chimères, donc de l’imagination, permet de rester dans l’état de toute puissance, et de procurer du bonheur. La réalité, qui elle est décrite par l’auteur comme « le néant des choses humaines « ne permet cette puissance infinie qu’à Dieu, qui est à l’origine de toute chose, donc de lui-même, et qui existe ainsi par lui-même.  D’après Rousseau, la réalité représente le caractère borné de l’homme, le monde réel est donc synonyme d’une puissance très limitée, et le monde de l’imaginaire est lui sans limite et s’adapte à chacun des hommes. Ainsi, selon lui, dans le « pays de chimères «, chacun aura sa propre représentation de la beauté, alors que la réalité est immuable. C’est pourquoi il achève sa phrase logiquement en disant qu’ « il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas «.    Dans cet extrait, Rousseau nous montre donc que l’on perd tout lorsque l’on ne désire plus, c'est-à-dire lorsqu’on ne ressent plus l’attente de la satisfaction d’un désir, et l’imagination qu’elle entraîne. En effet, si l’homme, grâce à l’imagination, a accès au pouvoir infini, lorsque l’imagination cesse d’être effective, donc que le désir est réalisé, il perd alors cette puissance illimitée. Il perd donc tout, ou une grande partie de ce qu’il a, car qu’est ce que le monde réel et borné à côté de l’imagination, où tout est réalisable selon les envies de chacun ? De plus, la seule chose qui diffère Dieu de l’homme est le fait d’avoir une puissance, donc une capacité à réaliser ses volontés, infinie. Or l’imagination est le seul moyen pour un homme d’être à l’équivalent de Dieu. La pensée de Rousseau quant au lien entre le désir et le bonheur est donc justifiée, et on peut dire qu’excepté dans l’état de désir, l’homme ne sera dans la réalité qu’un éternel insatisfait, et en définitive jamais vraiment heureux.

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