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Je l'ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu, Ce qu'on appelle vu. Molière

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

• Cette phrase est une réplique d'Orgon, dans la comédie de Molière (1622-1673), intitulée Tartuffe, qui a été représentée en 1669, dans la version qui nous a été transmise. Orgon, chef de famille, est un grand bourgeois parisien, riche, qui, pendant les événements de la Fronde (1648-1653), s'est rangé dans le camp de Mazarin et du roi, mais n'en est pas moins capable de tolérance et de fidélité dans l'amitié, puisqu'il a aidé un ami, Argas, ayant appartenu au camp adverse (et, de ce fait, ayant été proscrit) en acceptant de lui garder des documents compromettants.

« Aux oreilles cent fois et crier comme quatre?MADAME PERNELLEMon Dieu! le plus souvent l'apparence déçoit :Il ne faut pas toujours juger sur ce qu'on voit.ORGONJ'enrage.MADAME PERNELLEAux faux soupçons la nature est sujette, Et c'est souvent à mal que le bien s'interprète.

»(acte V, scène 3, v.

1668-1682) • Reflet fidèle de ce qu'il a été, double opaque de son fils, Mme Pernelle renvoie à Orgon, comme dans un miroir, uneimage mystifiée de lui-même, d'autant plus déplaisante qu'il n'est pas en mesure d'y faire face autrement qu'eninvoquant son propre témoignage, seul critère qui, en l'absence de toute autre preuve, fonde sa bonne foi.Aussi assistons-nous à une scène dont le ressort comique est la répétition des gestes et des paroles de deuxpersonnages que leur crédulité passée rendait identiques mais que, désormais, tout oppose.

Orgon, pour sa part,fait appel au témoignage de ses yeux, comme si une pareille évidence se suffisait à elle-même (« Ce sont desnouveautés dont mes yeux sont témoins», y.

1643), tandis que Mme Pernelle prend la défense de Tartuffe enressassant des arguments que nous connaissons depuis le tout début de la pièce.Du reste, l'argumentation de Mme Pernelle, pour autant qu'elle invite à discerner l'apparence et la réalité, seraitinattaquable si, justement, il ne s'agissait pas de Tartuffe : il est vrai que l'apparence est trompeuse et que tout estaffaire d'interprétation.

Ce qu'a vu et même entendu Orgon serait-il sujet à caution? Toutes les apparences, celle deTartuffe simulant la dévotion, tout comme celle de Tartuffe exprimant son désir pour Elmire, femme d'Orgon, par legeste et la parole, seraient-elles équivalentes?Mme Femelle se réfère à une seule apparence, celle du Tartuffe dévot, qu'elle connaît.

Orgon est en mesure deconfronter deux apparences contradictoires, une publique et l'autre privée; il ne saurait douter qu'en privé Tartuffeait voulu séduire sa femme.

Mais il ne peut détromper sa mère.Orgon est-il un véritable dévot? Possédé par Tartuffe plus qu'il ne se possède lui-même, tout au long de la pièce, ilparaît être la dupe de sa dévotion comme il est la dupe de Tartuffe.

S'il se livre à l'imposteur, c'est aussi dans lamesure où il se livre à sa croyance avec une aveugle crédulité, incapable de reconnaître le masque où se dissimulele visage de son idole.

Damis, son fils, a beau lui assurer qu'il a bien vu et bien entendu Tartuffe faire des avances àElmire (scènes 3, 4, 5, de l'acte III), Orgon récuse le témoignage de son fils parce qu'il ruinerait sa croyance enTartuffe.

Orgon ne mettra pas en doute là « dévotion » de Tartuffe tant qu'il n'en sera pas personnellement lavictime.

Suffit-il donc d'avoir des yeux pour voir? Il verra (scène 5, acte IV) ou, plutôt, il entendra, caché sous latable, la déclaration enflammée de Tartuffe.

Le véritable sujet de la pièce paraît être l'aveuglement d'Orgon,condition première pour que puisse opérer la stratégie de Tartuffe.

Or, ce qui détermine le revirement d'Orgon, c'estla preuve par les actes.

Il devra, dissimulé, se trouver dans la même « posture » que son fils, auparavant, pourcroire en ce qu'il voit et entend.A vrai dire, dès le premier acte, Orgon aurait pu prêter attention à Cléante, eu égard au comportement jugéoutrancier et ostentatoire du faux dévot, sa suspicion aurait pu être éveillée par l'apparence zélée de Tartuffe, quela réalité des actes ne vient pas confirmer.

A ses yeux, être et paraître, c'est tout un.

Tartuffe le sait et il enprofite.

Tartuffe ne livre-t-il pas le secret de sa stratégie quand il déclare à Elmire que le mal ne réside que dansl'apparence, c'est-à-dire le scandale qui éclate au grand jour? Et que le mal cesse d'exister s'il demeure secret(invisible et muet) : « Enfin votre scrupule est facile à détruire;Vous êtes assurée ici d'un plein secret,Et le mal n'est jamais que dans l'éclat qu'on fait.Le scandale du monde est ce qui fait l'offense,Et ne n'est pas pécher que pécher en silence.

»(acte IV, scène 5, v.

1503-1506) Tartuffe croit même avoir réussi à désarmer la lucidité d'Orgon et à priver ce dernier de tout moyen d'interpréter letémoignage de ses sens, en s'accusant, d'avance et en toute circonstance, de tous les péchés du monde.

Il s'envante auprès d'Elmire : «Qu'est-il besoin pour lui du soin que vous prenez?C'est un homme, entre nous, à mener par le nez.De tous nos entretiens il est pour faire gloire,Et je l'ai mis au point de voir tout sans rien croire.

»(acte IV, scène 5, v.

1523-1526) « Voir tout sans rien croire»: la formule de Tartuffe est hautement représentative de son art de tromper Orgon, maisaussi bien Mme Pernelle qui, elle aussi, ne peut «juger sur ce qu'on voit».

Dans la pensée de Tartuffe, il s'agit defaire en sorte qu'Orgon ou Mme Pernelle, ses dupes, ne puissent voir l'imposture où elle se montre, c'est-à-dire dans. »

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