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Grand cours: L'ART (III de X)

Publié le 22/02/2012

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4) L’art et la technique : une relation complexe

- Le développement moderne de la technique brise les frontières quelque peu schématiques établies par Kant et nous oblige à envisager plus finement les relations complexes que l’art et la technique nouent ensemble.

4.1  - Des arts sans technique ?

-        Soulignons d’abord ce que nous avons déjà pressenti lors de la distinction opérée entre la chose, l’objet et l’oeuvre : l’union originaire des arts et des techniques. Le faire artistique, comme toute activité humaine, a une dimension « technique «, impliquant règles et savoir-faire. Un art nouveau surgit lorsqu’apparaît une technique nouvelle : Van Eyck, inventeur de la peinture à l’huile, ouvre la peinture à une nouvelle dimension – la peinture de chevalet.

-        L’art contemporain (la musique, l’architecture, la danse, le cinéma) montre que la création n’est pas affranchie des contraintes techniques. Les grands créateurs sont souvent de grands techniciens. La création géniale passe nécessairement par l’apprentissage laborieux, l’entraînement, la répétition, l’initiation à une théorie, l’imitation des maîtres (tout génie est d’abord un imitateur ; on devient artiste d’abord en fréquentant les oeuvres d’art)…

-        La technique, on le voit, possède un pouvoir extraordinaire de renouveler, de révolutionner les moyens, les méthodes et les fins.

4.2  - Une technique sans art ?

-        On accuse souvent la technique contemporaine d’être froide, sans âme, dépourvue de toute valeur esthétique et promouvant une réalité où l’utilitaire et le fonctionnel deviennent les valeurs centrales. L’évanouissement de l’aspect artistique des techniques serait l’indice d’une déshumanisation du monde où l’utile supplanterait le beau. Qu’en est-il réellement ? Quel est le statut du fonctionnel ? Est-il une valeur technique ou une valeur esthétique ?

-        La catégorie du fonctionnel est d’abord une catégorie, voire une valeur, technique, dans la perspective de l’usager et du concepteur du produit. Il y a, dans le fonctionnel comme valeur, l’idée d’une épuration, d’une correction, d’un perfectionnement par dépouillement du superflu. Plénitude et perfection (l’objet est tout ce qu’il doit être et n’est rien que ce qu’il doit être), renoncement et ascèse, discipline sont alors les caractéristiques essentielles du fonctionnel.

-        Par là le fonctionnel accède à une valorisation  et désigne une catégorie marquée par la lisibilité de la fonction sur et dans l’objet. Le fuselage des avions, la carène des navires obtenus par de savants calculs sont des formes où se montre la finalité de l’artefact, où s’affiche la réussite. C’est par là que ces formes sont belles. Elles symbolisent en quelque sorte la bonne forme. Le bel instrument est celui qui correspond bien dans sa matière, sa forme, son dessein, à la fin pour laquelle il est fait.

-        Kant distinguait « beauté adhérente « et « beauté libre «. La « beauté adhérente « caractérise l’objet à la fois beau et utile (une belle maison, par exemple), par opposition à la « beauté libre « qui ne sert à rien et qui n’a pas d’autre fonction que le beau lui-même. La beauté adhérente, celle du fonctionnel, n’est pas une beauté de second ordre, une forme inférieure ou impure du beau.  Le fonctionnel est générateur de formes et de styles, il en vient à plaire, comme les beautés libres, sans concept et sans représentation d’une fin (cf. Chapitre consacré au beau et au jugement de goût).

-        Ainsi, « le fonctionnalisme élimine l’inutile, le vestige, et retrouve la valeur du simple, qu'il corrobore par une solidité accrue, une rapidité d'exécution et une rationalité d'usage valorisantes. On découvre, déjà au siècle dernier, que le produit de grande série peut avoir sa beauté, perceptible dans l'exacte correspondance de la chose à son concept, dans la rapide et peu coûteuse reproductibilité à l'infini et à l'identique… « (Jean-Pierre Séris, La technique, p 263).

-        L’esthétique industrielle, le design, tiennent compte des conditions nouvelles de la production en série et recherchent l’adaptation des formes et des fonctions dès le moment de la conception de l’objet manufacturé. Il s’agit là de la création délibérée et responsable « d'objets viables et beaux « (ibid.). Ainsi par le fonctionnel la technique communique-t-elle avec l’esthétique et développe-t-elle une expérience artistique qui lui est propre. Le beau fait alors bon ménage avec l’efficace.

4.3 - Art et technique aujourd’hui ?

-        L’époque moderne se caractérise par l’intrication croissante de l’art et de la technique. L’objet d’art est un objet productible et reproductible industriellement ; l’originalité de l’oeuvre est alors ébranlée.

-        La technique moderne crée de nouveaux modes d’expression artistique (cinéma, création graphique par ordinateur…) ou transforme les conditions mêmes de la création (utilisation, par exemple, de l’électronique, de l’informatique dans la musique). La distinction kantienne entre art libéral et technique s’affaiblit et empêche de comprendre l’originalité de l’art contemporain (la distinction kantienne conduirait ainsi à dénier le caractère d’oeuvre d’art à un film ; or le cinéma est à la fois art et industrie). En somme, l’oeuvre d’art moderne est technique tant dans son mode de production que dans reproductibilité et, parfois, dans sa finalité même (design, arts décoratifs, publicité…)

-        D’abord les nouvelles techniques suscitent des expériences artistiques, la création se faisant assister par la machine ou le programme (exemples de la photographie, du cinéma qui ont d’abord été considérés comme de « simples satellites mécaniques de la peinture ou du théâtre «, qui se sont peu à peu émancipés de leurs modèles supposés et qui ont affirmé leur originalité artistique). Art assisté par ordinateur, manipulations électro-acoustiques… modifient les conditions mêmes de la création, de la conservation, de la reproduction des oeuvres, créent de nouveaux matériaux et instruments.

-        L’art contemporain se caractérise par le rôle fondamental de la médiation technique entre le créateur et la création. Dans l’art classique, dans la peinture notamment, existe un rapport étroit entre la main, la toile, les couleurs, la matière. Ce qu’on voit sur la toile reste le produit direct de l’action de la main du créateur. A l’inverse, dans la production d’images de synthèse, la main a disparu. C’est la machine qui se charge de matérialiser le concept.

-        Mais, comme nous l’avons vu, la technique ne joue pas simplement le rôle de médiation entre le créateur et l’objet artistique. Elle donne avant tout à l’art des formes, sa source d’inspiration, ses matériaux.

B) L’OEUVRE D’ART

1)     Problématique

-        Si toute oeuvre de l’homme n’est pas une oeuvre d’art, parmi les oeuvres elles-mêmes on peut distinguer celles qui le sont plus que d’autres - les chefs d’oeuvre -, celles qui le sont aujourd’hui, ne le furent pas hier et ne le seront peut-être plus demain, et pour finir celles qui n’en sont pas du tout, parce qu’on leur dénie et la qualité d’oeuvres et le nom d’art.

-        Le Pont-Neuf est un ouvrage d’art, mais non une oeuvre d’art. La Joconde est un chef-d’oeuvre et pas seulement une oeuvre d ‘art. Quant aux musiques de variété, aux films commerciaux, aux romans de gare, on s’accorde généralement à dire qu’ils sont plutôt des produits de consommation que d’authentiques oeuvres d’art. Mais lorsque Marcel Duchamp dessine des moustaches à la Joconde ou expose un urinoir, lorsqu’en Extrême-Orient certaines pierres sont simplement encadrées, complétées , signées et ainsi élevées au rang de tableaux, les notions d’oeuvre, de chef-d’oeuvre et d’art perdent de leur évidence.

-        L’art moderne se caractérise, en effet, par son extrême variété et par le fait qu’il assimile progressivement tous les sujets et matériaux (texte de Lipovetsky n° 2 p 385, manuel de philo). Tout va être promu au rang d’oeuvre d’art : les objets ménagers, industriels, éphémères, etc. L’art rejoint la vie et descend dans la rue. Lipovetsky parle d’un “procès de désublimation des oeuvres” qui correspond à la culture de l’homo aequalis, à l’avènement d’une culture démocratique et égalitaire. Dès lors, la question se pose de savoir pourquoi ce terme d’”oeuvre d’art” exerce un attrait si puissant, au point d’être accolé à des oeuvres sans rapport avec lui.

-        Mais la question essentielle a trait aux critères de l’oeuvre d’art : qu’est-ce qui permet de reconnaître une oeuvre d’art ? Comment peut-on savoir que tel objet est une oeuvre d’art, et tel autre non ? 

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