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GÉORGIQUES (les). Roman de Claude Simon (analyse détaillée)

Publié le 22/10/2018

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GÉORGIQUES (les). Roman de Claude Simon (né en 1913), publié à Paris aux Éditions de Minuit en 1981.

 

Après les Corps conducteurs (1971), Claude Simon continue d'interroger les pouvoirs créateurs et formels de l'écriture (Triptyque, 1973), et s’inspire d'intertextes fournis par le savoir institutionnalisé (Leçon de choses, 1976). Cependant, parce que « le statut de la langue est fondamentalement ambigu » et qu'« elle est toujours [...] véhicule et structure », ces romans narrent des histoires inventées, où l'expérience personnelle est moins sollicitée qu'auparavant. Avec les Géorgiques, Claude Simon, qui ne renonce pas à affronter les problèmes de l'écriture romanesque, trouve son inspiration dans son histoire familiale, son expé-

rience de la guerre civile d'Espagne et de la Seconde Guerre mondiale.

 

Le récit juxtapose et entremêle trois destins. Celui d'un général de l'armée de l'an II, conventionnel régicide, ambassadeur, probablement responsable de la mort de son frère resté fidèle au roi ; il achèvera sa vie au château de St M..., qu'il a fait construire puis confié pendant ses campagnes à une intendante, Batti, à laquelle il envoie de nombreuses instructions. Celui d'un cavalier de 2e classe, descendant lointain du précédent, et subissant sur la route des Flandres, après la rigueur d'un cantonnement hivernal, la déroute de mai 1940. Celui, enfin, du journaliste O., engagé du côté républicain durant la guerre civile espagnole, puis pourchassé par les communistes à Barcelone, comme anarchiste.

 

En prélude, un personnage anonyme cherche à décrypter le sens d’un tableau dans le style de David, dont il suggère plusieurs lectures possibles. L'histoire des trois héros est d’abord menée de front, le passage brusque des aventures de l'un à celles des deux autres étant souvent marqué par l’utilisation de l'italique (I). Focalisation sur le cavalier ; scènes évoquant son transport dans un wagon à bestiaux, le cantonnement de son escadron dans une forêt enneigée, le ballet d'un général et de ses officiers passant parmi les troupes indifférentes (II). Retour vers St M... Un visiteur découvre le domaine en ruine où vécurent jadis la « vieille dame », mère du conventionnel et de son frère, puis l’« oncle Charles » qui hérita du château, depuis longtemps sorti de la famille. Dans l’antique demeure se trouve un registre où sont consignées les recommandations que son maître envoyait à Batti. En italiques : une attaque aérienne au cours de la campagne de mai 1940 (III). Focalisation sur O. : d’abord venu en observateur, il s'engage dans une milice républicaine pendant la guerre d'Espagne, combat en Aragon au cours d’un hiver glacial, est blessé. Compromis avec les anarchistes, il est traqué par les communistes pendant la répression de 1938 et parvient finalement à leur échapper (IV). Retour au conventionnel et au château de St M... Récit de la jeunesse du futur régicide ; ses deux épouses

« successives ; ses relations avec son frère royaliste arrêté et exécuté, souvenirs restés vivants dans la mémoire de l'« oncle Charles».

Le roman s'achève sur quelques nouveaux extraits du regis­ tre, ces instructions que le conventionnel, au fil des saisons, adressait à Batti 0/).

À des époques diverses, dans des lieux multiples -aux dimensions de l'Europe -, les nombreux personnages du roman, issus pour la plupart d'un même arbre généalogique plus ou moins approximatif, vivent des aven­ tures que Claude Simon ne tente pas de relier, ni chronologiquement ni logiquement : reprenant des analogies mises en place par l'Histoire elle-même (la blessure du général pendant une de ses campagnes, et celle reçue par O.; Paris sous la Révolution et Barcelone en 1936 puis 1938), il unifie cependant cette diversité en fondant les différents héros en un « il » protéiforme, récepta­ cle des aventures de tous : «Je est des autres», disait-il dans la Corde raide.

Malgré un climat souvent onirique, le roman renvoie pourtant à des expé­ riences vécues par l'auteur ou à des situations qu'il a connues : Claude Simon a participé en personne à la « drôle de guerre » et à la déroute de 1940 (la Route des Flandres, 1960}, après avoir combattu en Espagne (le Palace, 1962), de même que son personnage O., en qui le lecteur reconnaît aisé­ ment le romancier anglais George Orwell ; la traque à laquelle le malheu­ reux est soumis s'inscrit dans les événe­ ments de Barcelone au cours desquels, en 1938, les communistes pourchassè­ rent les anarchistes, allant même jus­ qu'à liquider leur chef Andreas Nin.

Mais, en faisant dire ou transmettre .

l'Histoire par des individus -ou des documents partiels-, Claude Simon en permet la problématisation.

Dans la première partie du roman, l'incessant télescopage des scènes, souvenirs consignés dans les pages d'un cahier ou remémoration dans une conscience anonyme, forment un inextricable chaos qui semble refléter une Histoire éclatée en une multitude de discours particuliers, de traces fugitives.

La foca­ lisation progressive du récit, au cours des parties suivantes, sur l'un ou l'autre des protagonistes permet bientôt de discerner sinon une communauté de destin, du moins le même affronte­ ment à de comparables souffrances.

Emportée dans la spirale de la violence, aucune génération n'échappe, dans le tumulte des révolutions ou de la guerre, au tragique (la relation du conventionnel et de son frère), à l'absurde (l'engagement d'O.

pris dans un règlement de comptes brutal et étranger aux raisons qui l'ont amené en Espagne}, voire à l'hostilité des élé­ ments (le froid, qui fait que « le vin gèle dans les bidons», II).

Cette conception catastrophique de l'His­ toire autorise, par la similitude des souffrances endurées, à mettre au temps présent toutes les fictions du roman, chacune, en définitive, ren­ voyant l'écho des autres.

Ainsi la dis­ continuité de l'Histoire, malgré ses évé­ nements phares, n'est-elle.

qu'appa­ rente : car le malheur de l'homme en est l'inépuisable matière, de même que cette usure à laquelle les épreuves le soumettent, symbolisées par les stig­ mates de l'âge sur la «vieille dame», mère et grand-mère recrue de souffran­ ces ; délabrement qui ronge aussi les édifices ravagés par le temps (St M ...

et son parc), voire les documents porteurs du passé comme ces épitaphes deve­ nues indéchiffrables sur des tombes à moitié effondrées, ces photos sépia ter­ nies par les ans, ce «registre» d'où s'échappe une poussière « couleur rouille».

Cependant, en contrepoint au récit survolté d'événements cataclysmiques, apparaissent ces lettres que le conven­ tionnel adressait à l'intendante Batti. »

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