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George W. Bush veut être « le président de tous les Américains »

Publié le 17/01/2022

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20 janvier 2001 Le ciel sera-t-il avec George W. Bush ? Jusqu'au bout, l'accession au pouvoir du deuxième président Bush aura été marquée par l'incertitude. Privé d'une élection décisive le 7 novembre par la contestation des résultats de Floride, privé d'une transition sereine par la prolongation du combat électoral pendant cinq semaines, « W » risquait, samedi matin 20 janvier, d'être en outre privé d'une intronisation éclatante par une météo menaçante, au moment de l'inauguration solennelle du 43e président, sur les marches du Capitole. Mais comme il l'a montré pendant toute la campagne électorale, le gouverneur du Texas est combatif. Renonçant donc à la solution plus sage, mais moins glorieuse, de tenir la cérémonie à l'intérieur, sous le dôme du Congrès, le comité inaugural a annoncé tard vendredi soir que les festivités, y compris la prestation de serment sur la bible, se dérouleraient à l'extérieur. Une éclaircie pourrait apparaître au moment propice tout comme, avec beaucoup de chance, il s'est trouvé un juge à la Cour suprême, le 13 décembre, pour faire pencher la balance en faveur du candidat républicain. Confiants dans la force de leurs institutions, les Américains ont accordé l'état de grâce rituel au président élu, si mal élu soit-il. « Floride », « confettis » et « collège électoral » sont devenus des mots bannis du vocabulaire politique, que l'on soit républicain ou démocrate, de même que le demi-million de voix d'avance qu'a remportées Al Gore sur son adversaire George W. Bush au niveau national. La Cour suprême, objet d'analyses définitives au vitriol à la mi-décembre, est retombée dans l'ombre et le secret qu'elle affectionne tant. S'il n'y avait pas quelques trouble-fête, on pourrait croire Washington frappée d'amnésie. LES MÉDIAS, TROUBLE-FÊTE Les premiers trouble-fête sont les médias. Dans les nombreuses interviews pré- inaugurales rituellement accordées par le président élu, certains, comme le New York Times, ont omis la question, mais d'autres, comme USA Today ou ABC, ne se sont pas privés de demander à M. Bush ce qu'il comptait faire pour surmonter les doutes qu'une partie de l'électorat nourrit encore sur la validité de son élection. « Je serai le président de tous les Américains », répond-il, tout en soulignant dans le même souffle qu'il n'a pas l'intention de changer de « philosophie », ni de modifier son programme électoral. « Je m'efforcerai d'être humble, intelligent et attentif pour gagner le respect de la moitié » des Américains n'ayant pas voté pour lui, a-t-il dit. « Qu'avez-vous à dire aux gens qui pensent que vous avez perdu l'élection ? », lui a demandé Barbara Walters sur ABC. « Qu'ils n'ont pas regardé les recomptes, rétorque-t-il ; car chaque fois que l'on a recompté, j'ai gagné. » En réalité, le recompte continue en Floride où, officiellement, M. Bush a battu Al Gore par 532 voix. Deux opérations distinctes, financées par les médias auxquels une législation locale très favorable à la transparence a permis d'examiner les bulletins de vote contestés, ont entrepris un nouveau décompte. L'un, commencé le 19 décembre par le Miami Herald et USA Today, devrait s'achever dans les jours qui viennent, mais s'est limité à l'examen des 60 000 bulletins non décomptés pour « sous-vote », c'est-à-dire ceux sur lesquels les machines n'ont lu aucun suffrage exprimé. Les recherches du Miami Herald ont d'ores et déjà fait apparaître que 452 titulaires d'un casier judiciaire ont voté dans le comté de Broward alors que la loi l'interdit : les listes électorales n'étaient pas à jour. Ailleurs, dans le comté de Palm Beach, 150 non-inscrits ont voté. L'autre opération, patronnée par plusieurs organes de presse dont le New York Times, le Wall Street Journal, le Washington Post et CNN, doit encore prendre plusieurs semaines, car plus complète : là, le recompte porte aussi sur les bulletins révélant un « sur-vote », c'est-à-dire un vote pour deux candidats en même temps ; ils sont au nombre d'environ 120 000. Dans le comté de Miami-Dade, ce recompte a pour l'instant permis à M. Bush de gagner six voix. Hormis leur effet psychologique, ces recomptes n'auront cependant aucune conséquence concrète. A l'occasion, le président Clinton a aussi joué le trouble-fête, affirmant, il y a dix jours à Chicago, que « la seule façon pour les républicains de gagner l'élection a été d'arrêter le vote en Floride ». Mais ceux qui ont le moins oublié la façon dont s'est déroulée l'élection et qui sont déterminés à le faire savoir sont les membres de la communauté noire. Une douzaine d'entre eux, élus au Congrès, ont d'ailleurs perturbé la séance de proclamation des résultats officiels au Sénat le 6 janvier pour protester contre l'inclusion des grands électeurs de Floride dans le vote final du collège électoral. C'est, affirment plusieurs experts, l'un des plus graves problèmes auxquels est confronté dans l'immédiat le président George W. Bush : le sentiment d'injustice qu'a retiré la minorité noire de cette élection chaotique et l'abîme qu'elle a creusé dans les relations entre les Noirs et le parti républicain. Le « problème noir » de M. Bush, à vrai dire, ne date pas de la Floride. Il a été révélé dès le lendemain du 7 novembre, lorsque les analyses du vote ont montré que 92 % des noirs avaient voté Gore ­ plus encore que pour Clinton en 1996. Pour un homme qui, comme gouverneur du Texas, s'était targué d'avoir remporté près de la moitié du vote hispanique puis qui, comme candidat à l'investiture républicaine pour l'élection présidentielle, avait transformé la convention du parti, l'été dernier à Philadelphie, en un défilé de représentants des minorités ethniques à la tribune, c'est un échec sévère. La bataille post-électorale et les révélations sur les irrégularités de l'élection en Floride ont aggravé les choses. M. Bush en a été conscient et a rapidement annoncé la nomination de deux Noirs de gros calibre, Colin Powell et Condoleezza Rice, dans son équipe, mais cela n'a pas suffi : si 60 % des Américains approuvent les choix de M. Bush pour son administration, ce chiffre tombe à 22 % lorsque l'on interroge l'électorat noir. Enfin, le choix du conservateur John Ashcroft comme Attorney General avait de quoi surprendre ceux qui s'attendaient à un geste d'ouverture ; il sera confirmé par le Sénat, mais le témoignage à l'audience d'un juge noir qui, très dignement, a raconté comment M. Ashcroft avait déformé son bilan et sa réputation professionnelle pour lui barrer la route a produit un effet désastreux.

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