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Faut-il avoir raison pour l'emporter ? (raison et conviction)

Publié le 24/09/2012

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Dans le Gorgias, Platon fait ainsi parler le sophiste qui donne son nom à ce dialogue : « Il m'est arrivé maintes fois d'accompagner mon frère ou d'autres médecins chez quelque malade qui refusait une drogue ou ne voulait pas se laisser opérer par le fer et le feu, et là où les exhortations du médecin restaient vaines, moi je persuadais le malade, par le seul art de la rhétorique. « (Gorgias).

􀀁 Par cet exemple frappant, Platon souligne bien l'impuissance de la seule raison à convaincre réellement, c'est-à-dire à persuader. Car, enfin, si le médecin me convainc en m'exposant ses raisons objectives de la nécessité de m'opérer, mais qu'il ne parvient pas à me faire accepter de subir l'opération nécessaire, peuton dire que je sois réellement, totalement convaincu par lui ? N'y a-t-il pas seulement une partie de moi qui est convaincue ?

« 3) le vrai étant universel, il suffit donc de l'énoncer ("avoir raison", donc) pour convaincre, emporter l'adhésiond'autrui. Problème/transition : ce qui est vrai, à peine énoncé, devrait certes être reconnu par tous (dans l'idéal), mais ne l'est pas toujours (dans la réalité).

Il convient donc d'approfondir l'examen. II/ [ point de vue allant dans le sens d'une réponse positive, mais d'un autre point de vue : ] 1) a-t-on donné jusqu'à présent toute sa force à l'expression "avoir raison" ? Si "avoir raison" signifie uniquement"tomber juste", être capable simplement d'énoncer la vérité, alors il est bien vrai que l'on est dans le vrai (par ex.,j'énonce que "la Terre tourne autour du Soleil", ce qui est la vérité).

Cependant cette façon d'avoir raison n'estabsolument pas suffisante pour convaincre : mon interlocuteur peut faire valoir que, au niveau de ce qu'il peutconstater avec ses propres yeux, au niveau des apparences évidentes donc, tout s'oppose à ma prétendue vérité(reprenons l'exemple utilisé plus haut : si je me contente d'énoncer "La Terre tourne autour du Soleil", moninterlocuteur peut très bien ne pas être convaincu et me répondre : "mais ce que l'évidence montre, ce que mesyeux me font voir, c'est que la Terre est immobile et que le Soleil lui est en mouvement puisqu'il se lève à l'Est et secouche à l'Ouest"). 2) mais " avoir raison ", cela ne se limite pas à "tomber juste", à dire la vérité sans savoir pourquoi ni comment on l'atrouvée.

Avoir raison, ce n'est pas seulement énoncer la vérité par un heureux hasard, mais c'est surtout donner lesraisons, apporter la preuve de ce que l'on avance (dans l'exemple pris tout à l'heure, je ne peux parvenir àconvaincre réellement mon interlocuteur que dans la mesure où je lui donne les raisons scientifiques qui prouventque la Terre tourne bel et bien autour du Soleil et qui explique l'illusion dont nous rendent victimes les apparencessensibles ; autre exemple : en mathématique, je ne peux convaincre de la validité du résultat auquel je suis parvenuqu'en exposant la validité de la démarche qui m'y a conduit) ; pour réussir à convaincre, je dois donc permettre àl'autre de reparcourir lui-même les étapes intellectuelles qui conduisent à la découverte de la vérité, je dois faireamener mon interlocuteur à" tomber d'accord de ce que j'avance " (Platon, Gorgias). 3) on peut donc affirmer à nouveau qu'avoir raison suffit pour convaincre, mais en précisant le sens de l'expression"avoir raison" : prise en son sens fort, elle signifie donc être capable d'exposer à l'autre les preuves de ce que l'onaffirme, énoncer la vérité en apportant la preuve de cette vérité.

" Convaincre " aussi, d'ailleurs, ce n'est pasuniquement "obtenir l'adhésion d'autrui", comme nous l'avons affirmé jusqu'ici, ce qui en ferait un synonyme depersuader : " convaincre " c'est amener l'autre à reparcourir le chemin rationnel qui nous a conduits à tenir quelquechose pour vrai.

Et l'on voit qu'Ã la limite "avoir raison" et "convaincre" renvoient à la même exigence : fournir despreuves dont un autre peut vérifier la validité.

Finalement, le premier terme implique le second : on ne peut pas"avoir raison" sans "convaincre", dès qu'on "a raison" (dès qu'on expose la preuve de ce qu'on affirme) il estautomatique de " convaincre " (c'est-Ã -dire d'amener l'autre à éprouver la force de cette preuve - ce qui nousrenvoie à l'universalité du vrai et à l'égale capacité rationnelle des tous les individus). Problème/transition : mais un nouveau problème se pose : pourquoi les scientifiques eux-mêmes, qui disposent des preuves de ce qu'ils avancent, n'arrivent-ils pas, très souvent, à convaincre leurs contemporains (voir par ex.

lecas de Galilée, contraint d'abjurer ses théories par les autorités de son temps) ? S'il suffisait pour convaincre defournir les preuves de ce qu'on avance, aucun scientifique ne devrait connaître le rejet de ses découvertes,expérience qu'ont pourtant vécue tous les plus grands d'entre eux ou presque : Copernic, Galilée, Darwin, Marx,Freud ou Einstein. III/ [réponse allant dans le sens d'une réponse négative : ] 1) la propagation de la vérité par ceux qui "ont raison" ne suffit donc pas pour convaincre, surtout dans les cas oùla vérité blesse notre orgueil ou notre bon sens (au sens courant de ce terme).

Il faut donc supposer que lapropagation de la vérité se heurte à des résistances. 2) elle se heurte en premier lieu à des illusions tenaces parce qu'elles reposent sur des désirs, sur "la réalisation desdésirs les plus anciens, les plus forts, les plus puissants de l'humanité " (Freud, L'Avenir d'une illusion) : le désir parexemple d'être protégé et rassuré.

Si Copernic ou Galilée, qui avaient raison de soutenir la théorie héliocentrique,n'ont pas réussi à convaincre leurs contemporains, c'est parce que l'exposé de leurs arguments s'est heurté à desdésirs plus ou moins inconscients, comme celui de ne pas se voir délogé de la place centrale qu'on croit occuper ausein de l'univers. 3) elle se heurte aussi et surtout à des intérêts, qu'ils soient religieux, politiques ou sociaux.

Dans le cas de Galilée,la théorie héliocentrique qu'il défendait, et qui était non seulement vraie mais aussi démontrée, heurtait les intérêtsde l'Eglise, qui affirmait en suivant les Ecritures Saintes que la Terre était au centre du monde.

Marx de son côtéaffirme dans la préface du Capital : " Dans le domaine de l'économie politique, la libre recherche scientifique ne seheurte pas toujours au même ennemi, comme s'est le cas dans tous les autres domaines.

La nature particulière de lamatière qu'elle traite fait descendre contre elle dans l'arène les passions les plus violentes, les plus mesquines et lesplus haïssables du cœur humain, les Furies déchaînées de l'intérêt privé ".

D'où la nécessité, pour les hommesdécidés à propager la vérité, d'utiliser parfois des stratagèmes non-rationnels pour convaincre leur entourage (ruse,rhétorique, dissimulation, etc.).. »

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