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Expliquez et commentez ces affirmations d'Ernest Renan dans l'Avenir de la science : » L'homme ne communique avec les choses que par le savoir et par l'amour : sans la science, il n'aime que des chimères. La science seule fournit le fond de réalité nécessaire à la vie. » ?

Publié le 03/04/2009

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renan

Que faisons-nous sur terre? Quel est le but de la vie? Comment la justifier?... Depuis que l'homme a commencé de réfléchir, ou plutôt de philosopher (car la réflexion peut porter seulement sur la technique du travail), ces questions hantent son esprit et il n'a cessé de leur chercher une réponse. Nous ne pouvons que nous soumettre au destin, dirent les Grecs, il n'est pas en notre pouvoir d'orienter notre vie; comme Œdipe, nous devons subir les épreuves que les Dieux nous imposent, bien que nous espérions toujours les surmonter. La vie n'a pas d'autre but que la mort, affirmèrent d'autres pessimistes antiques; naître c'est commencer de mourir, la seule fin qu'avec certitude nous puissions prévoir c'est notre mort, et nous ne disposons que d'un moyen pour-affirmer notre liberté : le suicide. Nous sommes sur terre pour expier une faute grave commise par nos pères, affirment les chrétiens, il nous faut accepter de vivre dans cette « vallée de larmes « pour racheter le péché originel, si nous voulons voir un jour s'épanouir les splendeurs de la vie éternelle réservées aux justes. Nous sommes sur terre pour nous aimer mutuellement, pour pratiquer la charité qui plaît tant à Dieu, affirment les François d'Assise. Nous ne pouvons concevoir idéal plus haut que le développement de nos facultés intellectuelles; la vie n'est qu'un moyen de connaissance, prétend Nietzsche... Arrêtons ici notre enquête. Faut-il subir? faut-il aimer? faut-il connaître? Besoin du cœur, besoin de l'esprit : auquel accorder la primauté? Il faut « tout connaître pour tout aimer «, répond Gœthe. Et Renan de reprendre à son compte cette devise, mais en introduisant une discrimination importante entre ce qui ne mérite pas d'être aimé et ce qui vaut de l'être. Élevé dans le troupeau des brebis auxquelles le Bon Pasteur ne cesse de répéter « Aimez-vous les uns les autres «, il est sorti de ce troupeau où il jouissait d'un tranquille bonheur, pour se livrer aux joies vertigineuses de la science en plein essor, et il s'est promis de lui consacrer le reste de sa vie. Certes, son cœur reste plein d'un amour qui trouvera son épanchement dans les Souvenirs d'enfance et de jeunesse et dans Ma sœur Henriette — jamais il ne pourra revoir, réellement ou par le souvenir, les églises et les cloîtres de Bretagne, sa petite maison à la porte si basse de Tréguier, les paysages de Palestine découverts en compagnie de sa sœur, sans se trouver au bord des larmes —, mais il veut désormais guider son cœur, ne lui donner à aimer que des valeurs sûres. Entre le merveilleux des cosmogonies et le merveilleux de la science, il a choisi. Il se refuse à aimer plus longtemps « des chimères «. Comme son ami Berthelot dont il partage la ferveur, il estime que « la science seule fournit le fond de réalité nécessaire à la vie «.

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« amour n'est plus le Ciel et ses anges, l'édifice aussi admirable que mystérieux d'une Trinité qui, en même temps, estUnité; c'est l'édifice en construction de la Science, qui monte vers le ciel comme une indestructible tour de Babel;ce n'est plus le dieu Jésus devant lequel on se prosterne sans oser lever les yeux sur Lui, mais l'homme Jésus, quel'on admire certes, que l'on prend pour guide, que surtout l'on aime fraternellement, sans manières.

Lorsque Renanse donne à la science en rejetant les « chimères », il n'assèche donc point son cœur, ne se condamne pas à l'ariditérationnelle.

Il ne prétend nullement réduire l'homme à n'être qu'un cerveau.

Il l'incite seulement à fixer soninépuisable amour sur des objets véritables.

L'homme se plaît dans l'amour de ses chimères.

Alceste sait fort bien que Célimène le décevra, qu'elle n'estnullement la sincérité dont il s'est fait une règle, l'amour unique dont il s'est fait une loi.

Mais à quoi bon ledétromper? Ce que Philinte lui fait observer avec prudence, il se l'est dit chaque fois qu'il a consenti à écouter sapropre raison : ...

La raison me le dit chaque jour, Mais la raison n'est pas ce qui règle l'amour. Quand, au grand séminaire, conduit à nier l'authenticité des évangiles où il avait découvert de fâcheusesinterpolations, Renan se sentit obligé, par honnêteté intellectuelle, de briser sa carrière, ce ne fut pas la détressedu jeune homme désormais sans situation qui le fit souffrir, mais le fait qu'il continuait d'aimer les « chimères » aveclesquelles sa bonne mère, ses éducateurs et ses Directeurs de conscience bien-aimés l'avaient fait vivre.

Onn'abandonne pas du jour au lendemain, sur un impératif de la raison, ce que l'on a longtemps chéri.

On a beau sedire que l'objet d'amour n'en était pas digne, on l'aime.

Jamais Renan ne guérira de son amour juvénile.

L'Église ferade lui un suppôt du démon, un antéchrist.

Qu'importe ! il sera toujours de cœur avec les séminaristes de Tréguier oude Saint-Sulpice, avec les vieilles Trégoroises qui murmuraient leurs prières sous les voûtes du vieux vaisseau, avecl'enfant rêveur qu'il avait été et qu'il ne cessera jamais d'être.

Comme ceux qui, trop longtemps, ont cru au PèreNoël, il portera dans le cœur une blessure inguérissable.

Et c'est pourquoi, devinant tout cela à travers sa courteexpérience de vingt-cinq ans, il recommande si fermement d'éviter la cruelle déception dont il commence à souffrir,en fixant le plus tôt possible l'amour dont on est capable sur des « réalités nécessaires à la vie ».Que la science fournisse Personne n'adore plus le dieu Horus, les ce fond de réalités, divinités égyptiennes sontdevenues de Belles on en conviendra..

pierres ou de beaux bronzes ornant nos musées ou appelant les touristesdans la Vallée des Rois.

Mais nous nous servons quotidiennement de la géométrie, inventée par les fellahs il y a desmillénaires afin de pouvoir rapidement, après chaque crue, retrouver les limites de leur champ.

Nous avons rejeté les« chimères » du panthéon égyptien, mais nous avons constitué le cadastre en suivant l'impulsion donnée par lesintendants des Pharaons.

Il n'est plus personne pour se prosterner devant les dieux de Sumer, mais nos astronomesont tiré parti de la science chaldéenne.

Zeus, Hera et tous les dieux du panthéon hellénique sont devenus desmythes avec lesquels jonglent nos poètes pour le plaisir de transposer la réalité présente et l'espoir de donner unevaleur permanente à leurs propos; mais nous gardons une vraie reconnaissance aux Grecs pour avoir fondé lamathématique, la physique, la politique, la logique..., jeté les bases de tout notre savoir.

Nous sourions de leursdieux, nous admirons leur science.

Abstraction faite de leur immense apport artistique, c'est dans la mesure où ellesont apporté des pierres aux fondations de la science que nous vénérons les civilisations antiques.Nous nous sentons redevables de tant de choses à la science! Elle a permis le développement des techniques, doncdu confort; elle nous rend peu à peu « maîtres et possesseurs de la nature », comme l'avait prédit Descartes; ellenous permet d'organiser (avec bien des difficultés dues aux passions et aux intérêts) la grande société humaine; ellea délivré l'homme civilisé des peurs paniques causées par les phénomènes cosmiques, comme l'apparition descomètes; elle a débarrassé l'espèce humaine des épidémies qui la décimaient; elle a rendu moins fréquentes lesgrandes famines...

Oui, l'on chanterait aisément le los de la science, avec le jeune Renan — si les guerres mondiales,l'éclatement de la bombe atomique, les grandes crises économiques — dont on ne parle plus qu'à voix basse sous lenom mystérieux de récession — et tant d'autres faits du même ordre ne nous incitaient à la réserve.

Nouscommençons à nous dire qu'à trop vouloir connaître, on a peut-être oublié d'aimer.

Serait-ce seulement en chansonsque l'amour s'exprime? « Si tous les gars du monde voulaient se donner la main...

»; sincèrement, sommes-nousprêts à tendre la nôtre au premier venu? Se détournant de la pensée européenne, étouffée entre la science et latechnique, de bons esprits cherchent aujourd'hui, dans la philosophie hindoue, le secret du Grand Amour.

Conclusion.

En 1848-49, Ernest Renan était trop enthousiasmé par la science pour se poser le problème métaphysique de la connaissance.

Il ne se demandait pas si la science nous met en présence de la réalité ou si ellen'est — elle aussi — qu'une chimère, un symbole plus ou moins valable du réel.

Il croyait sincèrement que l'imagescientifique de l'univers est indiscutable.

Lancé à tête perdue dans la recherche historique, accordant aux méthodesscientifiques une valeur absolue, il attendait tout d'elles : savoir, puissance, bonheur.

Ainsi, s'étant détourné dudieu de son enfance, il s'en donnait un autre.

Il lui fallut attendre quelques dizaines d'années pour envisager leschoses avec plus de détachement, voire de scepticisme.

Alors, la foi fît place à l'ironie souriante.

On commettraitcependant une erreur, si l'on ne voyait qu'un fanatique d'une espèce nouvelle dans le jeune homme qui, sorti duséminaire, faisait de la science le but de sa vie.

Il voulait connaître, mais pour mieux aimer.. »

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