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Dire ce que la tragédie d' « Andromaque » apportait de nouveau à la scène française.

Publié le 22/02/2012

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andromaque
Ce sujet est un exemple d'un exposé historique ou narratif en ce sens que c'est l'ordre chronologique qui déterminera, au moins en partie, la succession de vos développements. La nouveauté d'Andromaque ne peut être établie que par comparaison avec les tragédies qui la précèdent, tragédies de Corneille et de Quinault, ou inspirées par l'idéal cornélien ou l'idéal de Quinault. Mais ces diverses tragédies ne sont pas seulement antérieures en date; elles sont, plus au moins, des causes de la tragédie d'Andromaque : causes directes si Racine les a malgré tout imitées dans certains aspects de son oeuvre; causes indirectes si c'est consciemment que Racine a voulu réaliser une tragédie nouvelle, différente d'elles. Il est évident que le désir de faire autre chose a pour cause, en partie, la connaissance que nous avons des choses qui existent déjà. Nous suivrons donc une sorte d'ordre expérimental en étudiant les pièces de théâtre qui précèdent Andromaque et qui en sont, pour une part, l'explication. Ordre expérimental et non logique, car aucune logique n'aurait pu faire prévoir en 1666 qu'un auteur dramatique composerait une pièce de conception nouvelle, ni en quoi consisterait cette nouveauté. Au contraire, dans l'ordre logique, on peut toujours déterminer les conséquences, même si l'on ignore leur réalisation de fait. La logique de la vie et surtout de l'art est loin d'être rigoureuse comme celle de la pensée pure, mais elle garde tout de même sa force. Nous pouvons prévoir logiquement, par exemple, qu'une société tout absorbée dans la vie mondaine, dans l'étude de la psychologie et de la morale, indifférente aux problèmes posés par le monde extérieur, goûtera fort peu le sentiment de la nature (comme il est arrivé à l'époque classique). Notre dissertation peut s'en tenir à cette constatation des éléments traditionnels et des éléments originaux dans Andromaque. Mais si cette constatation est une explication immédiate des éléments traditionnels (nous montrons ce que Racine imite et nous expliquons ainsi qu'il n'est pas original parce qu'il imite) nous n'expliquons pas l'originalité. Il est toujours utile et parfois nécessaire de compléter la constatation par l'explication. Nous trouverons une partie de cette explication dans le caractère, le tempérament de Racine, l'autre part (la plus importante d'ailleurs) étant le mystère de son génie. Cela dit, voici les réponses au problème posé : avant Racine, il y a l'époque cornélienne de la tragédie héroïque ou « grande »; la raison d'être de la tragédie est de nous présenter des héros résolus à accomplir, coûte que coûte, d'ambitieux desseins politiques et capables de sacrifier l'amour qui y faisait obstacle; puis il y a la tragédie « galante » des « doucereux » de l'école de Quinault. L'idéal est renversé. Le héros sacrifie tout à l'amour, même ses grands desseins politiques, même son héroïsme; de même que dans la tragédie héroïque il fallait des complications d'événements (intrigues, conspirations, etc.) pour exercer la volonté d'action du héros, de même dans la tragédie galante on s'ingénie à trouver des situations sentimentales rares pour mieux exercer la volonté d'amour des personnages ; c'est ainsi que la plupart des situations qui sont le point de départ des tragédies de Racine ont été portées à la scène avant lui ; pourtant les problèmes du coeur sont en général moins complexes que les problèmes d'action où un ambitieux politique peut se trouver engagé; cent événements peuvent successivement compliquer ceux-ci et non pas cent découvertes ou cent revirements d'âme ceux-là. La tragédie galante tend donc à devenir beaucoup plus simple que la tragédie héroïque. Racine commence par imiter la tragédie héroïque dans la Thébaïde; puis il imite la tragédie galante dans Alexandre. Il reste une part de tragédie galante dans Andromaque : certains propos de Pyrrhus de style précieux. Même les situations sentimentales en ont été exploitées plusieurs fois avant lui : soit le chassé-croisé de sentiments (Pyrrhus aime Andromaque qui ne l'aime pas, tandis qu'il est aimé d'Hermione qu'il n'aime pas, mais qui est aimée d'Oreste qu'elle n'aime pas), soit même la jalousie démente d'Hermione qui commande à Oreste de tuer Pyrrhus, puis lui reproche comme un crime d'avoir exécuté ses ordres. Par contre, avant Andromaque, toutes les tragédies galantes sont justement galantes, conventionnelles. Racine, au contraire, nous donne puissamment l'impression de la vie. Et cela, sans aucun doute, parce qu'au lieu de concevoir et d'écrire sa pièce pour obéir à une mode, comme un exercice littéraire, il y met son âme violente et passionnée et, sans doute, son expérience personnelle — sans oublier le génie d'artiste qui crée l'expression harmonieuse de cette vie tumultueuse.

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