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Diderot, l'Encyclopédie, Article Paix (TEXTE COMMENTÉ)

Publié le 18/02/2011

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C'est Diderot qui a rédigé, dans l'Encyclopédie, l'article Paix dont voici un extrait : « Si la raison gouvernait les hommes, si elle avait sur les chefs des nations l'empire qui lui est dû, on ne les verrait point se livrer inconsidérément aux fureurs de la guerre. Ils ne marqueraient point cet acharnement qui caractérise les bêtes féroces. Attentifs à conserver une tranquillité de qui dépend leur bonheur, ils ne saisiraient point toutes les occasions de troubler celle des autres. Satisfaits des biens que la nature a distribués à tous ses enfants, ils ne regarderaient point avec envie ceux qu'elle a accordés à d'autres peuples; les souverains sentiraient que des conquêtes payées du sang de leurs sujets ne valent jamais le prix qu'elles ont coûté. Mais par une fatalité déplorable, les nations vivent entre elles dans une défiance réciproque; perpétuellement occupées à repousser les entreprises injustes des autres ou à en former elles-mêmes, les prétextes les plus frivoles leur mettent les armes à la main. Et l'on croirait qu'elles ont une volonté permanente de se priver des avantages que la Providence ou l'industrie leur ont procurés. Les passions aveugles des princes les portent à étendre les bornes de leurs États; peu occupés du bien de leurs sujets, ils ne cherchent qu'à grossir le nombre des hommes qu'ils rendent malheureux. Ces passions, allumées ou entretenues par les ministres ambitieux ou par des guerriers dont la profession est incompatible avec le repos, ont eu, dans tous les âges, les effets les plus funestes pour l'humanité. L'histoire ne nous fournit que des exemples de paix violée, de guerres injustes et cruelles, de champs dévastés, de villes réduites en cendres. L'épuisement seul semble forcer les princes à la paix ; ils s'aperçoivent toujours trop tard que le sang du citoyen s'est mêlé à celui de l'ennemi; ce carnage inutile n'a servi qu'à cimenter l'édifice chimérique de la gloire du conquérant et de ses guerriers turbulents; le bonheur de ses peuples est la première victime qui est immolée à son caprice ou aux vues intéressées de ses courtisans. «

Vous commenterez ce texte en vous attachant à dégager les idées essentielles exprimées par Diderot et à montrer en quoi elles sont caractéristiques à la fois de la pensée de leur auteur et de l'esprit du XVIIIe siècle. Vous vous demanderez pour conclure si, à votre avis, le problème de la paix se pose aujourd'hui en termes analogues ou différents.

Le sujet proposé indiquait d'une manière suffisamment explicite ce qu'on attendait du candidat : 1) bien mettre en lumière l'enchaînement logique des idées, c'est-à-dire faire preuve de qualités d'analyse; 2) établir les rapprochements utiles avec d'autres textes de Diderot qui permettent d'éclairer sa pensée ou d'autres écrivains qui le situent dans un courant d'idées plus général, c'est-à-dire faire preuve de culture; 3) à la différence des commentaires de textes littéraires, ceux de ces classes portent surtout sur les idées. Pourtant si ce passage n'appelle que quelques brèves remarques sur le style, d'autres textes peuvent justifier un développement plus étendu sur l'art de l'écrivain, qui permet d'apprécier le sensibilité littéraire de l'élève; 4) la dernière question invitait à rapprocher les idées de Diderot des problèmes actuels et faisait appel à la pensée personnelle. Cependant on pourrait hésiter sur le plan à adopter. Fallait-il consacrer une première partie à l'analyse des idées essentielles de Diderot, un e seconde partie à montrer en quoi elles sont caractéristiques de la pensée de l'auteur et de l'esprit du XVIIIe siècle, une troisième partie à l'examen de leur valeur actuelle? Le danger de ce plan était de conduire à la juxtaposition de trois exposés successifs : un commentaire du texte, un exposé sur les tendances de l'esprit philosophique et la place qu'y occupe la condamnation de la guerre, enfin une étude sur la question de la paix à notre époque. Bien que ces trois étapes de la réflexion puissent se justifier, nous croyons que la nature du commentaire n'autorise pas à considérer le texte comme un simple point de départ, mais que c'est à l'occasion de l'analyse que les idées doivent être replacées dans le courant de la pensée du XVIIIe. Quant au dernier point, on invitait bien à le considérer comme une conclusion, confrontant l'analyse de Diderot à la situation actuelle, et non comme une dissertation sur le problème de la Paix.

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« Bien que le passage étudié ne soit qu'un fragment de l'article Paix, il contient les idées essentielles de Diderot sur laguerre et les présente sinon avec la rigueur d'un raisonnement, du moins avec la clarté d'un exposé bien construit.L'idée fondamentale est que si la raison gouvernait les hommes, ceux-ci ne se livreraient pas aux fureurs de laguerre qui est en tout point déraisonnable.

Mais, en fait, la guerre semble régner perpétuellement entre eux etDiderot en voit les causes dans la défiance des nations entre elles, les passions des princes, l'influence néfaste desministres et des guerriers.

Les effets qui en résultent, ce sont les ruines et les carnages auxquels l'épuisement seulmet un terme sans que le sacrifice du bonheur des peuples ait servi à autre chose qu'à la gloire chimérique desconquérants. II.

- ANALYSE DES IDEES 1° La guerre contraire à la raison humaine.A.

Si la raison gouvernait les hommes : voilà le rêve, malheureusement irréel, qui résume toute la pensée de Diderot.Pour le philosophe, en effet, la raison est la clé de tous les problèmes.

« La raison est à l'égard du philosophe ce quela grâce est à l'égard du chrétien » (article Philosophe).

C'est elle qui commande son idéal intellectuel, puisqu'elle luirévèle la vérité; son idéal moral (« La grâce détermine le chrétien à agir; la raison détermine le philosophe »), maisaussi son idéal social.

Cependant c'est principalement aux chefs des nations que la raison serait nécessaire, dans unrégime où ce sont les chefs qui décident du sort des peuples.

« Que les peuples seront heureux quand les roisseront philosophes, ou quand les philosophes seront rois! » Si le souverain de droit divin reste soumis à Dieu, c'esten rendant à la raison l'empire qui lui est dû que les chefs des nations (les despotes éclairés) pourraient faire lebonheur des peuples. B.

Ce qu'on ne verrait pas : la réalité déraisonnable. a) En fait les hommes agissent comme des êtres privés de raison : inconsidérément, c'est-à-dire sans réflexion, ilsse livrent « aux fureurs de la guerre », c'est-à-dire au déchaînement de violence d'un être qui perd le contrôle delui-même, à une véritable folie.

Ils cessent d'être humains pour faire preuve d'un « acharnement qui caractérise lesbêtes féroces ».

Dans la guerre, l'homme devient un loup pour l'homme.

Toutes les bêtes ne font pas preuved'autant de rage à s'entretuer que les hommes, et La Bruyère montrait que nous jugerions stupides les chats qui serassembleraient par milliers dans une plaine pour se livrer bataille, après avoir miaulé tout leur saoul.

Montaigne avaitdéjà montré qu'alors que l'homme se prévaut de la supériorité de sa raison, il se ravale au-dessous des animaux ense livrant à la guerre. b) Ce qui est éminemment déraisonnable, c'est de sacrifier leur bonheur par la guerre.

C'est une des idéesfondamentales des philosophes du XVIIIe siècle que de faire du bonheur le but de la société.

Or le bonheur a pourcondition la tranquillité, c'est-à-dire la paix.

Diderot écrit plus haut : « Elle procure au peuple le bonheur qui est lebut de toute société ».

C'est ce que Buffon exprime dans sa Conclusion des Époques de la Nature: « ...

rendre tousles hommes...

heureux...

en veillant à leur conservation, à l'épargne de leurs sueurs et de leur sang par la paix...voilà le but moral de toute société...

Ce n'est qu'après un trop long usage de ces...

moyens de faux honneur et deplaisir stérile, qu'enfin il (l'homme) a reconnu que sa vraie gloire est la science et la paix son vrai bonheur ».

S'ilsétaient raisonnables, les hommes seraient « satisfaits des biens que la nature a distribués à tous ses enfants »; ilsauraient cette sagesse qui consiste à vivre content de son sort; et l'on trouve la confiance de Diderot dans lanature pour assurer à tous de quoi subsister.

Déjà La Bruyère avait écrit (ch.

xii, sub fine) : « Si content du sien, oneût pu s'abstenir du bien de ses voisins, on avait pour toujours la paix et la liberté.

» c) Ce qui est déraisonnable, ce n'est pas seulement de renoncer à son bonheur, mais de chercher au détrimentd'autrui des avantages illusoires : car les « conquêtes payées du sang de leurs sujets ne valent jamais le prixqu'elles ont coûté ».

C'est sans faire appel au sentiment, mais au seul intérêt que Diderot veut montrer ici que lesang des sujets est plus précieux que les territoires annexés ou que les populations soumises.

Ce bilan dans lequelpourraient entrer non seulement la comparaison des dommages matériels et des biens conquis, des pertes en vieshumaines de citoyens précieux pour leur nation et de populations soumises par la force et affaiblissant l'uniténationale, mais aussi les conséquences morales et sociales, Fénelon l'avait déjà fait dans Télémaque (ch.

v) : « Unroi entièrement tourné à la guerre voudrait toujours la faire.

Pour étendre sa domination et sa gloire propre, ilruinerait ses peuples.

A quoi sert-il à un peuple que son roi subjugue d'autres nations, si on est malheureux sous sonrègne?...

Un conquérant, enivré de sa gloire, ruine presque autant sa nation victorieuse que les nations vaincues.

»« La guerre épuise un État et le met toujours en danger de périr, lors même qu'on remporte les plus grandesvictoires.

On dépeuple son pays, on laisse les terres presque incultes, on trouble le commerce, mais ce qui est bienpis, on affaiblit les meilleures lois et on laisse corrompre les moeurs.

» Diderot développe d'ailleurs cette idée un peuplus haut : « La guerre...

dépeuple les États ; elle y fait régner le désordre ; les lois sont forcées de se taire à lavue de la licence qu'elle introduit, elle rend incertaines la liberté et la propriété des citoyens, elle trouble et faitnégliger le commerce; les terres deviennent incultes et abandonnées.

Jamais les triomphes les plus éclatants nepeuvent dédommager une nation de la perte d'une multitude de ses membres que la guerre sacrifie.

». »

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