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Dans la longue suite des siècles, nous venons d'arrêter le curseur au temps des forêts profondes de la « Gaule chevelue », comme l'appelaient les Romains : cherchons à savoir comment la raconter autrement.

Publié le 06/01/2014

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Dans la longue suite des siècles, nous venons d'arrêter le curseur au temps des forêts profondes de la « Gaule chevelue », comme l'appelaient les Romains : cherchons à savoir comment la raconter autrement. Oublions donc la préhistoire et les civilisations lointaines dont on ne sait pas grand-chose et replaçons-nous aux environs des derniers siècles avant notre ère. À ce moment, il n'existe évidemment pas, dans notre Europe occidentale, de France, ni d'Allemagne, ni d'Italie, etc. En y allant à gros traits, on peut écrire que cette partie du continent se partage entre trois pôles. Au nord - dans l'actuelle Allemagne du Nord et en Scandinavie -, le monde germain. Au sud, une puissance qui n'en finit plus de croître, mais dont l'expansion se fait surtout autour du bassin méditerranéen - chez eux, la Méditerranée s'appelle Mare nostrum, c'est-à-dire « notre mer » : Rome. Et au centre, installés là par migrations successives, éparpillés sur un arc qui englobe les îles Britanniques et va d'Espagne au haut Danube, des multitudes de peuples, de tribus qui ne se vivent pas eux-mêmes comme unis, mais qui parlent des langues voisines, croient en des dieux semblables, et en sont au même degré de civilisation : les Celtes. On le sait aujourd'hui grâce aux fouilles archéologiques, aux nombreuses tombes royales ou princières découvertes en Autriche, en Suisse, en France : ils ont développé une culture brillante dont on a longtemps perdu la trace car ils n'utilisaient que très peu l'écriture : leur agriculture était prospère, leur travail des métaux élaboré, leur art des bijoux remarquable. Et on sait aussi qu'ils ne sont absolument pour rien dans l'érection des menhirs et des dolmens - ces constructions les précèdent d'un millénaire -, mais c'est une parenthèse. Ils font du commerce avec leurs voisins du nord et du sud. Et parfois la guerre. En 387 avant Jésus-Christ, ce sont des Celtes venus du Nord de l'Italie qui, derrière leur chef Brennus, réussissent à vaincre les légions et à mettre Rome à sac. Les Romains garderont longtemps une peur panique de ces immenses et terrifiants guerriers. Ce sont eux qui leur donnent un nom : les Gaulois. Au iie siècle avant notre ère, la puissante République, dans sa logique expansionniste autour de la Méditerranée, opère une jonction entre l'Italie et sa colonie espagnole : la Provence, le Languedoc sont conquis et forment désormais une des grandes provinces romaines qui prendra, au temps de l'Empire, le nom de sa capitale régionale : la Narbonnaise. Au ier siècle avant Jésus-Christ, Jules César, un général ambitieux, est appelé à l'aide par des tribus celtes alliées à Rome qui sont bousculées par la migration d'autres Celtes, les Helvètes. César profite de l'intervention pour étancher sa soif de conquête : il montera loin au nord, jusqu'au Rhin. L'expédition ne sera pas de tout repos. Parfois les tribus se soumettent, parfois elles se révoltent. Une fois même, un chef ennemi réussit à fédérer de nombreuses tribus pour s'opposer plus durement aux légions : c'est César lui-même qui nous en parle et nomme celui qu'il va vaincre, Vercingétorix. Mais comment être sûr d'une histoire qui n'est racontée que par son vainqueur ? À dire vrai, de cette conquête romaine on ne sait pas grand-chose. Certains historiens en minimisent l'horreur. Au contraire, certains autres parlent parfois de « génocide gaulois » et chiffrent les morts par dizaines de milliers. Une chose est sûre, ce sont les Romains qui, in fine, ont donné un nom et une unité à ce qui n'était qu'une partie du monde celte : la Gaule, pure création coloniale, en quelque sorte, un peu comme le seront dix-neuf siècles plus tard les pays d'Afrique, aux frontières forgées de toutes pièces par les colonisateurs. Une autre chose est indéniable : grâce à la conquête, ce vaste domaine va connaître quatre siècles de paix et de prospérité. On y verra des révoltes, bien sûr. L'Empire lui-même traverse des phases d'instabilité chronique. Dans les années 260, un général romain factieux, un certain Postumus, se fait même proclamer « empereur des Gaules ». Le pays connaît aussi l'essor de son commerce, de ses villes, de son agriculture, à l'abri du limes, la frontière gardée par les légions. Et les populations s'adaptent fort bien à ces temps nouveaux. Contrairement à Athènes, société raciste, l'Empire romain est ouvert, intégrateur, il s'appuie sur les élites des pays conquis et multipliera bientôt à l'envi les citoyens romains. En 212, l'édit de l'empereur Caracalla accorde la citoyenneté à tous les sujets libres de l'Empire. Nombreux sont les notables des provinces gauloises qui en profitent. Lors des périodes qui suivent, ces temps gallo- romains restent dans les mémoires comme le souvenir d'un paradis disparu. Au regard des malheurs qui bientôt accableront l'Occident, cela s'entend. Mais en quoi cette Gaule gallo-romaine concerne spécifiquement l'histoire de France ? D'abord, la carte des Gaules, comme on disait, dépasse de loin l'Hexagone tel qu'il existe aujourd'hui : la Belgique, le Luxembourg, la Suisse et une large partie de l'Ouest de l'Allemagne y sont inclus. Cologne et Trèves furent elles aussi de brillantes cités gallo-romaines. Si les Gaulois sont « nos ancêtres », qui donc sont les leurs ? Ensuite, on l'a vu, tout ce territoire ne connaît pas la même histoire. On aurait sans doute fait hurler de rire les citoyens romains d'Aix-en-Provence, de Narbonne ou de Toulouse vers le ier siècle avant Jésus-Christ si on leur avait dit qu'un jour on les confondrait, dans les livres d'histoire, avec ces Barbares du Nord buveurs de cervoise. Surtout, la mythologie gauloise ainsi nationalisée au xixe siècle a réussi à enfoncer dans les têtes ce stéréotype qui y règne sans doute toujours un peu : nos racines, c'est la Gaule plus Rome, c'est-à-dire l'alliance de farouches guerriers et des merveilles de la civilisation latine. Le point amusant, c'est qu'à la même époque, pour des raisons similaires, les historiens de la moitié des pays d'Europe racontaient la même chose aux peuples de leur propre pays. Ouvrez la plupart des manuels d'histoire de nos voisins et vous verrez. Ailleurs, on ne dit pas « gaulois », souvent on dit celte, mais quelle importance, on a vu que c'était pareil. Les ancêtres des Autrichiens, ce sont des Celtes bientôt romanisés. Les ancêtres des Espagnols aussi. Et les Anglais ajoutent à cela un élément plus chic encore, leur Vercingétorix est une femme : Boudicca, une princesse guerrière qui a bravement défendu l'honneur du pays face aux Romains, avant que ceux-ci, glorieux vainqueurs, n'introduisent outre-Manche les belles routes et les beaux monuments - je n'insiste pas, vous connaissez la chanson. 1 Histoire de France, cours complémentaire à l'usage des aspirants au brevet de capacité, Hatier, 1902. 2 Les Barbares Grandes Invasions ou mouvements de peuples On vient de l'écrire, la pax romana, la paix romaine célébrée par les livres d'histoire, fut loin d'être parfaite. Toutes les provinces du vaste Empire connaissent à leur tour des troubles et des révoltes. Les légions protègent, mais pas toujours. À l'époque de Marc Aurèle, elles ramènent la peste de leurs lointaines campagnes d'Orient. Durant tout l'Empire, elles sèment souvent elles-mêmes l'anarchie qu'elles sont censées prévenir, fomentent des rébellions contre tel empereur pour en pousser un autre. Pourtant, par comparaison avec l'horreur des temps qui leur succèdent, ces longs siècles méritent de laisser dans les mémoires le souvenir d'un paradis disparu. La période qui enterre le monde latin a porté longtemps dans les manuels un nom qui sent le pillage, les champs brûlés, les villes saccagées, la peur, l'effroi et ces cruels guerriers couverts de pelisses et de bijoux : les invasions barbares. Repères - À partir de 220-250 : nombreuses incursions barbares au-delà du limes protégeant l'Empire romain - Août 378 : victoire des Goths à Andrinople, une des plus graves défaites romaines - 410 : sac de Rome par les Wisigoths - 451 : bataille des champs Catalauniques, défaite d'Attila - 476 : Romulus Augustule déposé par Odoacre, fin de l'empire romain d'Occident De nos jours, les historiens français ont moins de goût pour ce genre de frissons. Depuis longtemps, leurs collègues allemands parlaient simplement de Völkerwanderung - littéralement le « mouvement des peuples ». La plupart d'entre eux ont opté à leur suite pour le terme plus neutre de « grandes migrations ». Pourquoi pas ? C'est aussi de cela qu'il s'agit : à partir du iiie siècle, tout le monde germanique, à l'est du Rhin, au nord du Danube, tout cet au-delà mystérieux peuplé de ces tribus que les Romains connaissent fort mal et qu'ils appellent « les Barbares », est saisi d'une frénésie de mouvement. On en ignore toujours précisément les causes. Sans doute sontelles nombreuses : la pression démographique qui pousse à agrandir son territoire ; les modifications climatiques qui forcent à en changer ; la nécessité de fuir devant d'autres envahisseurs redoutables ; ou encore l'appât des gains faciles, des butins à se faire sur toutes ces terres si riches, dans toutes ces villes si belles que les Romains n'arrivent plus à défendre. En deux siècles, cet incroyable maelström aboutit à la chute de Rome et à un redécoupage complet de la carte de l'Europe. On pourra penser que cela, qui concerne le continent tout entier, nous éloigne de l'histoire de France à proprement parler. On verra bientôt que l'étape qui se joue est essentielle pour comprendre celles qui suivront. Des premiers chocs au désastre Ne nous perdons pas dans ce gigantesque carambolage de peuples aux noms étranges et de civilisations que l'on connaît encore très mal, qui, en quelques siècles si loin de nous, a chamboulé la moitié du monde. Contentonsnous des faits les plus saillants : À partir de 220-250, le limes, c'est-à-dire la frontière romaine, se fait parfois poreux. On note dans les chronologies, telle année ou telle autre, « incursions de Francs », ou d'« Alamans », ou d'« Hérules » qui passent le Rhin, pillent, dévastent sur leur passage, cherchent à s'installer quelque part au sud, s'y installent, ou repartent. Plus loin à l'est, vers les Balkans ou les confins
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« nombreuses tribuspours’opposer plusdurement auxlégions : c’estCésar lui-même quinous enparle etnomme celui qu’ilvavaincre, Vercingétorix.

Maiscomment êtresûrd’une histoire quin’est racontée queparson vainqueur ? Àdire vrai, decette conquête romaineonnesait pasgrand-chose.

Certainshistoriens enminimisent l’horreur.

Aucontraire, certainsautresparlent parfoisde« génocide gaulois »etchiffrent lesmorts pardizaines de milliers. Une chose estsûre, cesont lesRomains qui, in fine , ont donné unnom etune unité àce qui n’était qu’une partie du monde celte :laGaule, purecréation coloniale, enquelque sorte,unpeu comme leseront dix-neuf sièclesplus tard lespays d’Afrique, auxfrontières forgéesdetoutes piècesparlescolonisateurs. Une autre chose estindéniable : grâceàla conquête, cevaste domaine vaconnaître quatresièclesdepaix etde prospérité.

Onyverra desrévoltes, biensûr.L’Empire lui-même traversedesphases d’instabilité chronique.Dans les années 260,ungénéral romainfactieux, uncertain Postumus, sefait même proclamer « empereur des Gaules ».

Lepays connaît aussil’essor deson commerce, deses villes, deson agriculture, àl’abri du limes , la frontière gardéeparleslégions.

Etles populations s’adaptentfortbien àces temps nouveaux.

Contrairement à Athènes, sociétéraciste, l’Empire romainestouvert, intégrateur, ils’appuie surlesélites despays conquis et multipliera bientôtàl’envi lescitoyens romains.

En212, l’édit del’empereur Caracallaaccordelacitoyenneté à tous lessujets libresdel’Empire.

Nombreux sontlesnotables desprovinces gauloisesquienprofitent.

Lorsdes périodes quisuivent, cestemps gallo-romains restentdanslesmémoires commelesouvenir d’unparadis disparu. Au regard desmalheurs quibientôt accableront l’Occident,celas’entend. Mais enquoi cette Gaule gallo-romaine concernespécifiquement l’histoiredeFrance ? D’abord, lacarte desGaules, comme ondisait, dépasse deloin l’Hexagone telqu’il existe aujourd’hui : laBelgique, le Luxembourg, laSuisse etune large partie del’Ouest del’Allemagne ysont inclus.

Cologne etTrèves furentelles aussi debrillantes citésgallo-romaines.

Siles Gaulois sont« nos ancêtres », quidonc sontlesleurs ? Ensuite, onl’a vu, tout ceterritoire neconnaît paslamême histoire.

Onaurait sansdoute faithurler derire lescitoyens romains d’Aix-en-Provence, deNarbonne oudeToulouse versleier  siècle avantJésus-Christ sion leur avait ditqu’un jour on les confondrait, dansleslivres d’histoire, aveccesBarbares duNord buveurs decervoise. Surtout, lamythologie gauloiseainsinationalisée auxixe  siècle aréussi àenfoncer danslestêtes cestéréotype qui y règne sansdoute toujours unpeu : nosracines, c’estlaGaule plusRome, c’est-à-dire l’alliancedefarouches guerriers etdes merveilles delacivilisation latine.Lepoint amusant, c’estqu’àlamême époque, pourdesraisons similaires, leshistoriens delamoitié despays d’Europe racontaient lamême choseauxpeuples deleur propre pays.

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Ailleurs, onnedit pas « gaulois », souvent ondit celte, maisquelle importance, onavu que c’était pareil.

Lesancêtres desAutrichiens, cesont des Celtes bientôt romanisés.

Lesancêtres desEspagnols aussi.Etles Anglais ajoutent àcela unélément pluschic encore, leurVercingétorix estune femme : Boudicca, uneprincesse guerrièrequiabravement défendul’honneur du pays faceauxRomains, avantqueceux-ci, glorieux vainqueurs, n’introduisent outre-Manche lesbelles routes et les beaux monuments –je n’insiste pas,vous connaissez lachanson.

1 Histoire deFrance , cours complémentaire àl’usage desaspirants aubrevet decapacité, Hatier,1902.. »

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