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cours: L'ANTHROPOLOGIE

Publié le 22/02/2012

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L'homme existe-t-il? On sait que Diogène sortait en plein jour, muni d'une lanterne éclairée, et répondait aux passants interloqués qui l'apostrophaient: "Je cherche un homme". Il voulait dire, bien sûr, qu'il voyait certes, l'espèce, mais de singularité, point.

Biologiquement, il y a des hommes. Est-ce à dire que le concept socio-culturel d'homme existe, en soi, au ciel métaphysique des idées, ou bien n'est-il qu'un produit de l'histoire apparu à une certaine époque, et qui prendra fin un jour, est en train peut-être même de prendre fin?  Zarathoustra annonçait déjà la corde tendue de l'arc du sur-homme; dénonçant l'humain, trop humain.

            La psychanalyse fait voler en éclats la conscience; le conscient, ses lumières trompeuses, sont entre les mains invisibles de l'inconscient: adieu les belles responsabilités, les jugements d'imputation, les choix librement opérés. Les déterminations sont obscures. Tu dois donc tu peux? Non, car entre tu dois et tu peux s'interpose une volonté mythique empêchée, embarrée comme un cheval rétif, dans les liens du désir, de l'instinct, de la passion, de la libido, de la névrose.

La conscience qui était la gloire de l'homme est aujourd'hui soupçonnée, suspectée, tenue en échec: le moi se voit attribuer une part congrue entre le ça et un sur-moi en grande part impersonnel de par les forces socio-culturelles qui le travaillent et l'instituent.

            Ca parle en nous plus que je ne parle. Si l'inconscient est structuré comme un langage, ce langage nous pense et nous meut plus que nous ne le pensons. Au "je pense" se substitue le "on pense", voire on le pense, on nous pense; ou il a pensé.

 

            L'ethnologie nous révèle que toutes les cultures se valent. Notre concept d'homme occidental, notre honnête homme du XVIIième siècle, il n'est pas plus homme qu'un indien d'Amazonie ou du Canada. Autant de cultures, autant de concepts d'hommes, autant de facettes colorées ou ternes. L'homme n'est qu'un fragment de verroterie au soleil tournant des kaléidoscopes de la culture multiple. Image.

 

            "Qu'une seule fois dans l'histoire humaine et en un seul lieu, se soit imposé un schème de développement auquel arbitrairement peut-être nous rattachons des développements ultérieurs -avec d'autant moins de certitude que manquent et manqueront toujours des termes de comparaison-, n'autorise pas à transfigurer une occurrence historique, qui ne signifie rien sinon qu'elle s'est produite en ce lieu et à ce moment, en preuve à l'appui d'une évolution désormais exigible en tous lieux et en tous temps. Car, alors, il sera trop facile de conclure à une  infirmité ou à une carence des sociétés ou des individus, dans tous les cas où ne s'est pas produite la même évolution" (Claude Lévi-Strauss).

            En Grèce, nous assistons au passage de la pensée mythique à la pensée philosophique, prélude à la pensée rationnelle scientifique.

            Dans les mythes amérindiens, Lévi-Strauss dégage une logique des qualités, une logique  des formes, le passage de l'une à l'autre. Nous avons aussi ici la possibilité de passer d'une pensée dormante et en partie inconsciente, mythique, à une pensée consciente et pré-scientifique. Ce passage ne s'opère pas. Tout reste dans le mythe. On ne passe pas au logos philosophique, ni au calcul scientifique. Est-ce à dire qu'il y a infériorité? Non: la structure est là. Le reste dépend de la contingence historique: cette histoire ne se déroule pas avec la nécessité inéluctable de l'Idée du savoir absolu. Que le passage au rationnel, au discours logique, se soit passé ici et non là, en Occident et non en Amérique du Sud, alors que là aussi il aurait pu se produire, nous invite à dire, dans une perspective hégélienne, qu'il y avait nécessité ici, et non pas là-bas. Et si nous retournions l'argument? Que le passage s'opère chez nous, en Occident, et non aux Amériques, peut au contraire indiquer qu'il n'était pas nécessaire non plus sur notre continent, puisque tout était prêt aussi là-bas, et que cela n'eut pas lieu.

 

            Les mythologiques révèlent une ou des logiques de la mythologie, ou plutôt des mythologies, qui montrent que l'esprit humain est le même, fonctionne pareillement partout, même si la contingence historique n'a pas en tous lieux et tous temps suivis le même et unique chemin inéluctable. Et, cet esprit est structure de catégories qui pensent en lui sans qu'il y ait vraiment  un sujet pour dire "je". Cet esprit fonctionne comme une langue, et son langage est fait de relations, d'oppositions, de ressemblances et de différences, de renversements et d'inversions, de métaphores et de  métonymies (Lacan), d'identités et différences, de disjonctions et de conjonctions. Ces structures à l'oeuvre dans l'esprit comme dans le monde font affleurer une sorte de panthéisme spinoziste, non pas de Dieu, mais de l'esprit lui-même à l'oeuvre culturellement par la nature. Le "je", le "moi", la personne, cèdent la place à l'impersonnel d'un esprit qui rayonne d'une architecture logique mathématique et cosmique de toutes les relations. Simone Weil aussi, pénétrée d'impersonnel, au sens suprême, retrouvait, mais dans une démarche philosophique-religieuse, l'Esprit, divin, cette fois, à l'oeuvre dans toutes les cultures et toutes les mythologies. Sa mystique  philosophique, logique, et cosmique, n'est pas sans rapport avec le structuralisme de Claude Lévi-Strauss. Entre eux,  Spinoza est un lien, un médium, un intermédiaire, un intercesseur. Spinoza pour qui l'être de la connaissance suprême du troisième genre pense et aime à l'ampleur de la nature, c'est-à-dire de Dieu, de l'individualité dépassée.

 

            La linguistique est la science reine qui a donné son modèle à la majeure partie des sciences de l'homme, qui, nous le constatons, défait en l'expliquant cette entité, cette substance quasi méta-physique. L'homme n'est  plus dans l'homme, il est dans l'univers, dans la langue, et la langue pense et parle par lui, par toute l'archéologie du savoir, qui montre que cet homme n'est qu'un produit tardif de l'histoire.

            L'homme est parlé avant d'être parlant. Parce qu'il est langage, il est aussi strates d'institutions, couches d'histoire, stratifications culturelles le plus souvent enfouies, inconscientes, obscures. Tout se dissout dans un vaste processus culturel ou biologique et linguistique, linguistique et ethnologique, ethnologie et psychanalyse, psychanalyse et technique se renvoient des éléments semblables comme les éléments d'une vaste combinatoire, d'un infini puzzle, dénonçant solipsisme, anthropomorphisme et ethnocentrisme: tout est signe d'un vaste langage. L'anthropos n'est plus le centre, plus même un centre.

 

 

            Est-ce dire que l'humanisme soit dissous? Si l'homme est dissous, l'humanisme l'est aussi. En fait, l'homme est-il vraiment dissous? Sans doute, une certaine approche mettant trop en avant le sujet, la personne, la conscience. Une autre approche se dessine: l'homme fragment de l'univers, l'homme partie du tout. On songe encore à Spinoza, on songe aussi aux Stoïciens. En ce jeu de rapport et de corrélations, rien de ce qui est humain ne m'est étranger, mais aussi rien de ce qui est cosmique ne m'est étranger.

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