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CONTRATS ADMINISTRATIFS - POUVOIR DE MODIFICATION UNILATÉRALE - C. E. 10 janv. 1902, COMPAGNIE NOUVELLE DU GAZ DE DEVILLE-LES-ROUEN, Rec. 5 (S. 1902.3.17, concl. Romieu, note Hauriou) - Commentaire d'arrêt

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Cons. que la commune de Deville-lès-Rouen soutient que si elle a concédé à la Compagnie requérante le privilège exclusif de l'éclairage par le gaz, ce privilège, dans le silence des traités de 1874 et de 1887, ne s'étend pas à l'éclairage par tout autre moyen et notamment par celui de l'électricité, la commune n'ayant pas renoncé au droit de faire profiter ses habitants de la découverte d'un nouveau mode d'éclairage; Cons. que le silence gardé sur ce point par les premières conventions de 1874 est facile à expliquer et doit être interprété en faveur de la Compagnie du gaz; qu'il en est autrement du défaut de toute stipulation dans le traité de prorogation intervenu en 1887, époque où l'éclairage au moyen de l'électricité fonctionnait déjà dans des localités voisines; qu'à cet égard les parties sont en faute de n'avoir pas manifesté expressément leur volonté, ce qui met le juge dans l'obligation d'interpréter leur silence et de rechercher quelle a été en 1887 leur commune intention : Cons. qu'il sera fait droit à ce qu'il y a de fondé dans leurs prétentions contraires en reconnaissant à la Compagnie du gaz le privilège de l'éclairage par n'importe quel moyen et à la commune de Deville la faculté d'assurer ce service au moyen de l'électricité, en le concédant à un tiers dans le cas où la Compagnie requérante dûment mise en demeure refuserait de s'en charger aux conditions acceptées par ce dernier : Cons., il est vrai, que la commune allègue que les longues négociations engagées sans résultat dès 1893 entre elle et la Compagnie et à la suite desquelles est intervenu le traité passé en janvier 1897 avec le sieur Lemoine constitue une mise en demeure suffisante pour rendre ce traité définitif; Mais cons. que ces négociations antérieures à la solution d'un litige qui porte sur l'étendue des obligations imposées à chacune des parties dans le traité de 1887 ne peuvent remplacer la mise en demeure préalable à l'exercice du droit de préférence reconnu par la présente décision en faveur de la Compagnie requérante;... (Arrêté annulé; dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, la commune de Deville mettra la Compagnie du gaz en demeure de déclarer avant l'expiration du mois suivant si elle entend se charger du service de l'éclairage au moyen de l'électricité dans les conditions du traité passé avec le sieur Lemoine).

« d'après le cahier des charges (2 400 m3) étaient insuffisantes.

L'arrêt se réfère à la commune intention des parties :« Le traité a été conclu dans la pensée d'assurer à tous les habitants une alimentation normale en eau potable ».

Laville doit proposer à la Compagnie générale des eaux un avenant permettant une exploitation suffisammentrémunératrice et satisfaisante pour la population.

Si la compagnie refuse, elle renoncera par là à son privilègeexclusif, et la ville pourra alors traiter avec un autre concessionnaire pour les quantités à fournir au-delà de 2 400m3.Pendant longtemps, la doctrine — Hauriou, Waline, Bonnard, Jèze — a considéré comme indiscutable le principe de lamutabilité.

Ce pouvoir de modification ne trouvait que deux limites : les modifications ne pouvaient concerner queles clauses du contrat intéressant le service public et l'administration ne pouvait pas utiliser son pouvoir pourimposer au contractant des changements excessifs.

L'obligation imposée à l'administration d'indemniser lecocontractant de manière à rétablir l'équilibre contractuel initialement envisagé formait la contrepartie du pouvoirreconnu à l'administration.Mais revenant, en 1945, sur sa première opinion, Jèze affirmait dans une note que le pouvoir de modificationunilatérale n'existait que dans les contrats de concession et les marchés de travaux publics (R.

D.

P.

1945.257).Plus radical, M.

L'Huilier soutenait récemment qu'en l'absence de clause du contrat, l'administration n'a, même enmatière de concession, aucun pouvoir de modification unilatérale (D.

1953, Chr.

88).

A l'appui de l'affirmation selonlaquelle la collectivité publique peut toujours modifier, en cours d'exécution d'un contrat administratif, lesprestations qui sont à la charge du cocontractant, les auteurs n'apportent guère, assure M.

L'Huillier, qu'uneréférence, l'arrêt Compagnie générale française des tramways (C.

E.

21 mars 1910); or cette référence n'est pasprobante puisque le Conseil d'État fondait sa solution sur un texte propre à la matière des chemins de fer d'intérêtlocal.

De nombreux arrêts reconnaissent au contraire aux clauses des cahiers des charges des concessions relativesà l'organisation du service concédé un caractère obligatoire pour l'autorité concédante (C.

E.

23 mai 1936,Commune du Vésinet, Rec.

591; —19 janv.

1946, Ville de Limoges, Rec.

15).

La vérité est que, pour modifierunilatéralement le statut d'un service concédé, l'administration ne possède que les droits qui lui sont conférés par untexte : soit la loi organique régissant le service, soit une clause du cahier des charges.

Ces clauses peuvent êtreimplicites : lorsque la pratique suivie par l'administration comporte l'insertion systématique dans une certaine variétéde contrats de certaines clauses, elles doivent être sous-entendues lorsque, dans un cas particulier, l'administrationa omis de les faire figurer dans un contrat, mais ce n'est que l'application de l'art.

1135 du code civil, d'après lequel« les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité,l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature » (cf.

L'Huillier, note sous C.

E.

29 juill.

1953, Thapon, D.1955.793).M.

de Laubadère s'est livré alors à une étude minutieuse de la jurisprudence qui l'a conduit à une conclusion un peudifférente (R.

P.

D.

1954.36).

Les arrêts reconnaissent certainement à l'administration le pouvoir général de mettrefin avant le terme, à l'exécution d'un contrat (y.

notamment C.

E.

2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, Rec.

246;D.

1958, 730, note de Laubadère; A.

J.

1958.11.282, concl.

Kahn).

Il est au moins un précédent (C.

E.

21 mars1910, Compagnie générale française des tramways ), qui a reconnu à l'administration le pouvoir d'imposer deschangements dans l'étendue des obligations du concessionnaire.

En matière de marchés de fournitures, par contre,le Conseil d'État, après avoir admis le pouvoir de modification dans quelques vieux arrêts (C.

E.

14 nov.

1902, Olmer,Rec.

664), ne paraît plus l'admettre depuis longtemps (4 avr.

1930, Mayer, Rec.

392; — 30 oct.

1951, SociétéCitroën, Rec.

507).Cette analyse, qui suit de très près la jurisprudence, conduit à penser que, s'il existe réellement un pouvoir demodification unilatérale, il a une portée nettement limitée.

Ce n'est pas dans la nature du contrat, mais dans sonobjet que se trouvent ces limites.

Le seul fondement de ce pouvoir paraît être, en effet, la compétence exclusive del'administration en matière d'organisation du service public : une distinction doit donc être faite entre les contratsqui impliquent la participation directe du cocontractant au fonctionnement du service et les contrats qui n'ont pourobjet que de procurer les moyens de fonctionnement du service.

Dans les premiers, l'administration peut modifier lesobligations du cocontractant, puisqu'elle ne fait qu'user de ses pouvoirs à l'égard du service; dans les seconds, ellene dispose de ce pouvoir que lorsque la modification du contrat est la suite de l'exercice de sa compétence deréorganisation du service.C'est encore une concession d'éclairage public qui fournit au Conseil d'État l'occasion de compléter sa jurisprudencesur les contrats administratifs en soulignant son rôle constructif.

L'arrêt Compagnie nouvelle du gaz de Deville-les-Rouen lui avait permis d'interpréter un contrat pour garantir l'intérêt public tout en s'efforçant d'interpréterl'intention des parties; l'affaire Deplanque, tranchée peu après (C.

E.

31 mai 1907, Rec.

513, concl.

Romieu; S.1907.3.113, note Hauriou; D.

1907.3.81, concl.

Romieu; R.

P.

D.

1907.678, note Jèze) l'amena à interpréter uncontrat dans le même esprit et à prononcer une sanction, non prévue par le contrat, à l'encontre duconcessionnaire défaillant.

Une commune se plaignait, en effet, de ce que le sieur Deplanque, à qui elle avaitconcédé l'éclairage de la ville, ne remplît pas les obligations imposées par le cahier des charges; or, les clauses ducontrat ne prévoyaient pas de sanction pour de tels manquements.

Le juge devait-il s'en tenir à la lettre du contratet admettre la résiliation ou pouvait-il suppléer à son silence en introduisant de nouvelles sanctions? Repoussant lajurisprudence en vigueur, selon laquelle le juge ne pouvait « interpréter » le contrat, le commissaire dugouvernement Romieu conclut sur cette affaire en affirmant que « si le contrat, tout en fixant les obligations desparties, a omis de spécifier les sanctions correspondantes, il n'en résulte pas qu'il n'y ait pas de sanction; de même,si le contrat a prévu et fixé les sanctions pour certaines irrégularités graves dont il a tenu à spécialement s'occuper,mais n'a pas parlé de sanctions afférentes à d'autres irrégularités, il n'en résultera pas davantage que ces dernièresresteront impunies.

Toute obligation contractuelle comporte une sanction; à défaut de règles particulières édictéespar le contrat, c'est le droit commun qu'il faut appliquer; pour qu'il en fût autrement, il faudrait une dispositionexplicite et formelle du contrat.

Le droit commun, c'est ou la rupture du contrat ou la condamnation à desdommages-intérêts ».

Le Conseil d'État suivit son commissaire du gouvernement, inaugurant ainsi une nouvellejurisprudence, fréquemment confirmée depuis (cf.

notamment C.

E.

19 nov.

1926, Société du gaz de La Ciotat, Rec.. »

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