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Commentez la tirade de Dorante dans La Critique de l'École des Femmes (1663, sc. 6) : »Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles, dont vous embarrassez les ignorants et nous étourdissez tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles de l'art soient les plus grands mystères du monde; et cependant ce ne sont que quelques observations aisées, que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l'on prend à ces sortes de poèmes; et le même bon sens qui a fait aut

Publié le 17/01/2022

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« l'art : c'est du moins une tentation d'un certain état d'esprit esthétique propre au Grand Siècle, et surtout à safrange mondaine : la base de toute appréciation est le succès, le plaisir. 2 Difficultés éclatantes du critère de Molière.

Ce critère n'est pas seulement superficiel, il est aussi obscur et pose plus de questions qu'il n'en résout : à qui plaire ? à quel public ? et comment plaire ? Molière lui-même a plu àdivers publics et de diverses façons.

Non seulement le plaisir peut consacrer des médiocrités : le théâtre de ThomasCorneille par exemple, (son Timocrate fut la pièce la plus jouée au XVIIe siècle), mais il peut varier à l'intérieur d'une société selon les classes et même à l'intérieur d'un même homme (un même spectateur peut tirer plaisir également,mais à des niveaux intellectuels différents, d'une tragédie et d'une farce, d'un drame de Sartre et d'un film degangsters).

En outre le critère du plaisir peut conduire à la justification du contresens historique (l'interprétation laplus séduisante étant reçue comme la meilleure), à un impressionnisme critique des plus vagues, au culte d'uneémotion toute subjective qui ne débouche sur rien d'autre qu'elle-même. 3 Mais le principal danger de cet hédonisme esthétique est d'aboutir à une apologie de la flatterie dupublic, à une complaisance envers ses goûts les plus médiocres.

Sans doute les grands classiques du XVIIe siècle ont bien résisté à cette tentation, et, de toute façon, comme ils s'efforçaient de bien choisir leur public et surtoutde l'élargir de la noblesse à la bourgeoisie, voire au peuple, il n'y avait que demi-mal s'ils flattaient quelque peu sesgoûts.

Mais autour d'eux et après eux, la littérature française va, au nom de cette esthétique du succès et duplaisir, trop s'asservir au goût de publics mondains, ces publics mondains qui refuseront la profondeur métaphysique,l'agrandissement épique, etc., et seront une des causes de la dégénérescence du goût au XVIIIe siècle.

En réalitécette attitude avait été inaugurée par le classicisme dans des tirades comme celle que nous avons à étudier alorsque ni l'humanisme du XVIe siècle ni le baroque ni la préciosité n'avaient connu ce critère un peu facile et déjàembourgeoisé du plaisir et de la réussite : les poètes de la Pléiade par exemple affirment une aristocratiqueindépendance de l'art qui tire ses lois de lui-même et de la hauteur de sa mission, même s'ils espèrent le succèscomme la récompense de leur oeuvre.

Avec Molière et la tirade de Dorante, c'est bien une certaine démission del'artiste qui commence : entre cette tirade et le fameux vers de Musset : «Vive le mélodrame où Margot a pleuré», ily a certes une différence de degré mais non de nature. III Le plaisir indispensable Est-il possible malgré tout d'écarter totalement, à un moment ou à un autre de lajustification esthétique, le critère du plaisir, même si l'on cherche à rendre compte des règlespar des chemins tout différents ? 1 C'est ainsi que beaucoup de règles s'expliquent aux yeux des classiques au nom de lavaleur instructive et morale.

Le romantisme de son côté donne comme fondement au drameune mission du poète, une action sociale.

Or juger le théâtre sur la portée de son action,c'est toujours plus ou moins flatter (ou contraindre) un public que l'on veut aider à vivre etdonc à qui l'on veut plaire. 2 il est cependant un argument en faveur des règles qu' on pourrait sérieusement objecter à Molière et à son critèredu plaisir : ne peut-on espérer de la définition d'un genre déduire ces règles comme de la définition du cercle sespropriétés ? Par exemple on définirait la tragédie «une crise» et on en déduirait les trois unités, etc.

Oui, maisjustement jamais sur le plan historique les choses ne se sont passées ainsi.

Si la tragédie est devenue, chez Racine,une crise, c'est parce que, disposant du moule des trois unités (déjà à peu près au point dans la tragédie de laRenaissance), il a pensé que donner comme matière au tragique une crise conviendrait mieux à ces unités.

Si bienque ce sont les unités qui historiquement ont précédé la définition même du genre.

En fait nous savons depuis lestravaux de R.

Bray que vraisemblance, bienséances sont une conformité à ce qu' attend le public, à l'idée qu'il se fait de ce qu'il va voir, bref à son plaisir, plus qu'une exigence interne de l'oeuvre.

DoncMolière a raison même sur le plan historique. 3 Reste la question de la beauté, de l'art pour l'art comme on dit depuis le XIXe siècle.

Les règles ne seraient-ellespas — on retrouverait un peu la conception de la Pléiade et notamment de Du Bellay dans Défense et Illustration — un raffinement, un moyen d'isoler et de préserver le beau dans sa pureté, loin du vulgaire, et, du point de vue ducréateur, de fécondes contraintes le forçant à serrer de plus en plus près ce beau rare et précieux ? Mais que seraitun beau qui ne serait pas éprouvé par la sensibilité, qui ne donnerait pas de plaisir ? Le beau est plus humain. IV Le beau à mesure d'homme Sous son apparente légèreté la pensée de Molière est profonde.

L'art est humain; l'art a besoin d'un courant entrel'auteur et le public. 1 Le plaisir est le rapport humain entre l'oeuvre et son public.

Or le théâtre vit du succès, car il est une fête et implique une grande sympathie entre les acteurs et les spectateurs. 2 À noter que pour Molière il n'y a pas de problème de public : il pense à un public bien déterminé, celui des «honnêtes gens», qui veut un plaisir «raisonnable».

(Cf.

ces lignes de Gide : «Ces honnêtes gens», comme lesappelait Molière, à égale distance d'une cour un peu trop figée et d'un parterre un peu trop libre, étaient. »

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