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Commentaire composé : La gorge coupée par Michel Leiris.

Publié le 24/09/2010

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leiris

 

Ecrivain, ethnographe, critique d'art, mais aussi Satrape du Collège de Pataphysique, Michel Leiris (1909-1990) est l’une des figures majeures de la littérature française du XXe siècle. S’il se distingue, c’est aussi grâce à une approche résolument psychanalytique et moderne de ses écrits ; et parmi lesquels il conviendra de citer L'Afrique Fantôme (1934), L’âge d’homme (1939), ou encore La règle du jeu divisé en quarte tomes : Biffures (1948), Fourbis (1955), Fibrilles (1966), et Frêle Bruit (1976).

Avec L’âge d’homme qui fut très probablement inspiré par les Confessions de Jean Jacques Rousseau, Michel Leiris retrace les moments clefs de sa vie avec le regard rétrospectif de l'autobiographe. Il élabore ainsi son œuvre d’une part pour se décrire lui-même tel qu’il est vraiment, mais aussi dans le but de dénoncer un monde d’adulte, fondé sur la duplicité et le mensonge. Suivant cette optique, il y relate notamment un épisode traumatisant de son enfance, et que Leiris interprète comme un élément constitutif de sa personnalité : l’ablation des végétations qu’il avait dans la gorge. Mais ce qui contribue d’autres parts à l’originalité de son mémoire, est qu’il ne suit pas un ordre chronologique mais bien, thématique, ce qui divise l’œuvre de manière inédite.

Nous allons donc analyser l’extrait « Gorge coupée «, et montrer que les adultes sont répréhensibles par contraste avec l’innocence des enfants. Nous pourrons ainsi étudier une rupture qui s’est produite chez M. Leiris, et mettrons en évidence que certains évènements de notre vie sont susceptibles de conditionner notre vision du monde. 

 

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- A présent que nous avons introduit le contexte de L’extrait « gorge coupée «, il conviendra dans un premier  temps de démontrer que L’âge d’homme est bien une autobiographie. Pour se faire, nous pouvons d’emblée nous attarder sur l’usage des temps, et nous remarquerons que l’extrait est divisé en deux parties : une première où l’auteur se remémore les évènements de son enfance, et une deuxième où il explique les conclusions qu’il en a tiré. Ainsi, c’est le passé simple et l’imparfait qui prédominent dans les deux premiers paragraphes. Donc, les temps de la remémoration et des évènements antérieurs. Nous le constaterons explicitement L.1, avec l’indication « cinq ou six ans « qui marque le cadre temporel de l’action et nous ramène trente ans en arrière. Les repères temporels tel que L.3 avec l’expression « d’abord «, puis L.7 avec « point pour point «, L.8 avec « voici comment les choses se passèrent «, et L.19-20 « la période qui suivit immédiatement l’opération «, participent eux aussi à mettre en évidence la chronologie de l’épisode,  et à donner de la crédibilité au récit. Le troisième et dernier paragraphe lui, est au Présent de l’Indicatif car M. Leiris s’adresse directement au lecteur, pause un regard critique sur les évènements qui l’on marqué, et explique les conséquences qu’ils ont eu sur son existence.  

Nous relèverons à présent l’omniprésence du pronom personnel de la première personne du singulier « Je «, qui est une caractéristique du genre autobiographique. Enfin, plusieurs nuances additionnels telles que L.1 « je veux dire que «, .L4-5 « si mes souvenirs sont justes «, L.10-11 « telle est du moins l’image […] que j’en ai gardée «, et L.19 « tout ce que je me rappelle «… témoignent des efforts du narrateur pour respecter le pacte autobiographique, et retranscrire les évènements traumatisant de son enfance avec la plus grande fidélité. 

 

- Maintenant que nous avons établit qu’il s’agit bien d’un extrait autobiographique, nous pouvons étudier les raisons de sa mise en écriture. Nous allons voire que les parents de M. Leiris ainsi que le médecin, ont eu une réaction maladroite en ne disant pas clairement au jeune garçon ce qui ce tramait. D’une part parce que le petit Leiris s’est sentit trahit par ses proches qui ont prétendu l’emmener au cirque, d’autre part parce qu’il va subir une opération lourde dans la gorge sans anesthésie, après avoirs été dupé par un autre adulte. Ces évènements constituent donc pour l’auteur un choc émotionnel intense et particulièrement violent, et c’est ce traumatisme que nous allons étudier.  

Un des éléments contributeurs du trauma à isoler est donc, le mensonge. Dans l’épisode il provient symptomatiquement des adultes ‘cruels et manipulateurs’, et marque définitivement la rupture entre ceux-ci et le petit garçon. Nous pouvons par exemple le relever explicitement L.12-13 avec « Viens, mon petit coco ! On va jouer à faire la cuisine «. Les propos du vieux médecin, notamment le terme affectif qu’il emploie, accentue la sournoiserie et l’hypocrisie de celui-ci car au lieu de rassurer le jeune patient, l’ironie du sort fut interprétée comme une duperie. Nous pouvons aussi relever de nombreuses hyperboles accompagnées d’un effet de gradation qui va crescendo, et qui témoignent du choc causé par le mensonge : L.4-5 « la faute […] sans me dire où ils me conduisaient «, L.5 « le tour sinistre «, L.7 « un coup monté «, L.8 « un abominable guet-apens «. Comme vous le voyez, le narrateur insiste particulièrement sur les mensonges successifs des grandes personnes. Le vocabulaire utilisé est si péjoratif, qu’il accentue le manque de confiance et le sentiment de trahison. En psychanalyse, cette manière d’agir de la part des adultes serait d’ailleurs considérée comme une faute, car au lieu de prédisposer le petit garçon à son opération pour le soigner, il a été manipulé de bout en bout. En bref, cela a eu pour effet de le traumatiser alors que l’opération, bien que lourde, aurait pu lui paraître un moindre mal face à ce qui l’attendait, s’il ne la faisait pas. 

Le deuxième élément fondateur du trauma à isoler sera donc la violence. Nous relèverons donc sur le plan technique une accumulation de phrases nominales, et de nombreuses hyperboles. A commencer par le titre « Gorge coupée «, puis L.1 « victime d’une agression «, L.3 « très brutale «, L.10-11, l.14-15, l.20-23… La violence est en fait omniprésente dans tout l’extrait, et culmine aux lignes 14-16, avec une double métaphore : celle du chirurgien transformé en assaillant (et plus tard en ogre) et celle du narrateur-enfant assimilé à un animal qu’on sacrifie. De plus, la succession des flashes aux lignes 20-23 traduisent aussi les résultats de cette violence puisque depuis lors, le petit garçon ne veut plus parlé. 

Ce fameux traumatisme est donc le résultat de deux facteurs bien distincts : d’une part le mensonge qui va induire un sentiment de trahison, d’autre part la violence qui va forger une nouvelle vision du monde. 

 

- Maintenant que nous connaissons le contexte dans lequel se déroule l’action, nous pouvons affirmer que cet évènement marque une rupture avec l’âge d’or de M. Leiris. C'est-à-dire que nous somme ici au cœur d’un événement charnière où tout bascule : c’est la fin de la période où l’enfant avait une confiance aveugle vis-à-vis des adultes. Nous pouvons d’ailleurs le lire explicitement dans tout le troisième paragraphe (l.23-31), avec l’usage de l’expression « toute ma représentation de la vie en est restée marquée «,  ou encore « le monde est plein de chausse-trapes «. Leiris emploie notamment toute une série d’expressions et de procédés d’écriture pour mettre en valeur la violence et la duperie dont il fut la victime : emploi de la gradation, de la juxtaposition, de superlatifs, d’hyperboles, emploi de rythme ternaire non conclusif…Le tout traduit de manière pessimiste pour montré que l’action eu un impacte négatif sur la vision du monde de Michel Leiris. Il isole d’ailleurs ce passage en particulier parmi tous ces souvenirs d’enfance, il s’agit donc bien d’un évènement fondateur dans sa vie d’adulte.

 

- Nous pouvons aussi démonter à présent que sa conception du monde est sombre, macabre, et tragique. D’une part parce qu’une rupture s’est produite entre Leiris et ses propres parents : ils l’on trahit. D’autre part parce que depuis lors, le monde est pour lui un mensonge perpétuel ou règnent les faux semblants, les apparences, mais aussi la violence physique. Tel serait le message que nous pourrions tirer de cet extrait : ne jamais se fier à qui que se soit car le monde est un théâtre cruel ou les apparences sont trompeuses. Au passage nous remarquerons que la mort est omniprésente dans tout le récit avec l’usage d’expressions tels que L.22 « le sang qu’il régurgitait «. L.26 « agression «, L.28 « chaire a canon «, « chaire a médecin «, « chaire à cercueil «, L.30 « l’abattoir «…Nous pouvons donc conclure à partir de cette description macabre des évènements, que la vie est dorénavant constamment souillée par la mort.

 

- Ainsi, le conditionnement de sa vision du monde fut une motivation suffisante pour entamer son autobiographie : Michel Leiris veut parler d’un évènement important de sa vie, un évènement dont il a tiré les leçons, et qui l’a marqué de manière indélébile. Contrairement à l’épisode du peigne cassé de Rousseau, Leiris ne tente pas ici de se justifier ou de se réhabilité auprès de qui que se soit, il souhaite surtout pauser un regard psychanalytique sur les évènements de son passé. Cela étant dit, nous pouvons au passage souligner que Leiris adopte quelque peu une posture de victime pour attirer l’apitoiement sur le petit garçon qu’il était. Le pacte autobiographique est en quelque sorte mis à mal car même si l’auteur tente de rester le plus objectif que possible ; il n’en reste pas moins qu’il s’agit de ses sentiments et de son histoire, et que son objectivité ne peut donc être totale malgré ses efforts pour le rester. 

 

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- Sous le regard rétrospectif et introspectif de l’autobiographe-psychanalyste, Michel Leiris n’écrit pas pour se justifier ou même pour incriminé qui que se soit. Avant tout, l’auteur tente de démontrer que tout homme au cours de sa vie subira une série de ruptures, et que ces dernières sont susceptibles d’affecter sa conception du monde de manière définitive. C’est donc la une approche bien différente de l’autobiographie classique. L’auteur ne raconte pas sa vie pour le simple fait qu’on se souvienne de lui, d’ailleurs son récit ne suit pas non plus l’ordre chronologique classique de l’autobiographie. Leiris a sélectionné minutieusement les évènements marquant de sa vie parmi ses souvenirs, et qu’il a classé dans différentes sections de son livre. Il les décrits, explique leurs impacte sur sa vision du monde,  et enfin, met en évidence les leçons qu’il en a tiré. Nous pouvons donc dire que l’âge d’homme est une autobiographie révolutionnaire, un recueil sur l’art de vivre, un mémoire sur une vision du monde marquée par ses propres idées.

 

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