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COMMENTAIRE COMPOSE - Aragon - "Je dis la paix..." (Les Yeux et la Mémoire)

Publié le 11/09/2006

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aragon

Le poème :    Je dis la paix    Je dis la paix pâle et soudaine  Comme un bonheur longtemps rêvé  Comme un bonheur qu'on croit à peine  Avoir trouvé    Je dis la paix comme une femme  J'ouvrais la porte et tout à coup  Ses deux bras autour de mon âme  Et de mon cou    Je dis la paix cette fenêtre  Qui battit l'air un beau matin  Et le monde ne semblait être  Qu'odeur de thym    Je dis la paix pour la lumière  A tes pas dans cette saison  Comme une chose coutumière  A la maison    Pour les oiseaux et les branchages  Verts et noirs au-dessus des eaux  Et les alevins qui s'engagent  Dans les roseaux    Je dis la paix pour les étoiles  Pour toutes les heures du jour  Aux tuiles des toits et pour toi l'  Ombre et l'amour    Je dis la paix aux jeux d'enfance  On court on saute on crie on rit  On perd le fil de ce qu'on pense  Dans la prairie    =======================    Le commentaire    Aragon, poète engagé, se voulait "les yeux et la mémoire" de son temps. Dans la dernière partie du recueil qui porte ce titre (1954), figure un long poème de circonstance, intitulé "Chant de la Paix" dont sont extraites les sept strophes à commenter, sept quatrains hétérométriques aux rimes croisées, un poème saluant l'événement de la première paix au Vietnam après des années de vaine guerre entre ce pays et la France.  Dans ces vers, l'auteur, bien au-delà de du fait historique, se laisse aller au bonheur de l'évocation de la paix sur le mode exalté de l'incantation : ce sont ces thèmes qui orienteront l'étude.    A. Un poème de circonstance    1. L'événement proprement dit :  Sans doute le poème paraît-il au premier abord bien discret à ce sujet.  * mais toute la 1° strophe y fait référence en renvoyant à un moment précis de l'histoire, en liaison étroite avec la date du recueil, 1954; l'article défini "la paix" retrouve ici son sens étymologique (en latin : illa, qui a donné la forme féminine de l'article défini français, est adjectif démonstratif), il s'agit donc de cette paix précise qui vient d'avoir lieu et que le poète, ancien combattant des deux guerres mondiales, entend célébrer.  * L'auteur, face à l'événement, s'implique personnellement et fait appel à une expérience profondément intime : l'amour d'une femme ("ses bras", "tes pas"), des lieux odorants, lumineux et familiers, "la porte", "cette fenêtre", la "maison" et ses "tuiles", l'"odeur du thym", "la lumière" "dans cette saison", mais cette expérience peut être partagée par tous, par ceux notamment qui, de quelque bord qu'ils soient, reviennent du champ de bataille.    2. Les caractères de cette paix :  * elle est soudaine, d'autant plus inattendue qu'elle a été "longtemps rêvée" ; la soudaineté est soulignée par deux termes à la rime : l'adjectif "soudaine" dans la première strophe, l'adverbe "tout à coup" dans la deuxième, auxquels s'ajoute le jeu de mots sur "un beau matin" (synonyme possible de : soudain); une soudaineté suggérée également par la brusquerie des deux mouvements : ouvrir la porte, battre l'air, et l'emploi du passé simple, temps des faits rapides et ponctuels.  * elle est fragile ; le connote l'adjectif "pâle" qui sous-entend une personnification de la paix, jeune femme maladive ; idée renforcée par l'allitération en P des deux termes contigus : paix , pâle.  * mais elle est liée à une certitude de bonheur: dans la première strophe la comparative "comme un bonheur " est répétée deux fois en anaphore, le nom est à l'hémistiche, place intensive dans un octosyllabe ; l'infinitif passé "avoir trouvé" présente le fait comme accompli ; par ailleurs la libre association d'images qui symbolisent la paix prend des connotations essentiellement positives. En effet, jouant sur la double valeur de l'article défini (de valeur démonstrative mais aussi généralisante), l'auteur évoque les symboles de toute paix, tout ce dont nous prive la guerre.    B. Les images de la paix    On note deux types d'association d'images correspondant à tout ce que fait naître le mot paix, à tout ce qu'il semble promettre à lui seul :    1. Sur le plan esthétique:  * la paix est associée à la beauté retrouvée de la nature :  - une nature baignée de clarté comme le prouve le large champ lexical : aube d' "un beau matin", lumière de "cette saison" qui ne peut être qu'estivale, et même "étoiles" éclairant l'ombre de la nuit.  - une nature éveillant le plaisir des sens : chant des oiseaux (strophe 5), fraîcheur de la brise matinale et odeur de thym (strophe 3), palette de couleurs délicates : vert de la prairie, "vert et noir" (si bien observé) des "branchages", note vive du rouge des toits, éclat de la lumière solaire et scintillement des étoiles. La paix est même dédiée à ces éléments de la nature : c'est le sens, du reste ambigu, des prépositions à / pour, qui peuvent introduire aussi bien des compléments de destination que de qualité.    2. Sur le plan affectif:  *la paix est associée à l'amour:  - la présence de la femme se fait de plus en plus sensible dans le poème : elle s'annonce dans la personnification de la paix au v.1 (la paix n'est-il pas un mot féminin!) et dans la comparaison du v.5 ; la paix suscite ensuite la présence effective de la femme dans la strophe 2 ; cette paix est aussi dédiée à la femme qui l'incarne : "à tes pas", "pour toi".  - l'amour évoqué est tendre, intensément partagé, communion charnelle et spirituelle à la fois comme l'indiquent à l'évidence le zeugma  " Ses deux bras autour de mon âme  Et de mon cou"  et la douceur des allitération en M dans la dédicace : "pour toi l' // ombre et l'amour", expression soulignée par la hardiesse de l'enjambement laissant en suspens un article élidé ; cet amour est protecteur de par l'évocation de l'intimité du foyer, la maison, cette fenêtre, les tuiles des toits, et rassurant dans sa permanence: "tes pas ... //Comme une chose coutumière à la maison"; on note la correspondance entre la femme et la nature, aussi maternelle, chaleureuse et protectrice que la femme par ses "branchages au-dessus des eaux" où croissent les "alevins", jeunes vies aquatiques.  * la paix est associée à l'enfance :  - une enfance porteuse de joie, de liberté, de vitalité (les petits des hommes sont associés aux petits des animaux, "les alevins") ; elle est liée aux "jeux" et à la gaieté largement partagée comme le signifie l'emploi de l'indéfini et du présent de vérité générale :  " On court, on saute, on crie, on rit"  vers qui s'impose par la vivacité de son rythme (2+2+2+2), la brièveté légère de ses verbes d'action, l'écho des rimes intérieures en RI.  - une enfance synonyme d'innocence, son univers s'inscrit ainsi dans le cadre naturel de "la prairie" ; on connaît toutes les suggestions physiques et morales de la couleur verte: fraîcheur, pureté, espérance.    C. Une conjuration incantatoire    1.Une conjuration:  * une volonté d'universalité : Ce poème célèbre la vie et le bonheur dont la paix est messagère; il vibre de la foi en une paix universelle :  - aussi bien dans le temps: les images de la paix s'enracinent dans le passé (évocation de l'enfance, de scènes de la vie du poète, durables à l'imparfait: "j'ouvrais la porte", ou ponctuelles au passé simple, vision de la fenêtre :  "Qui battit l'air un beau matin"  mais elles s'étendent aussi à l'infini, selon le rythme régulier du temps :  "Pour toutes les heures du jour"  - que dans l'espace : l'évocation des images de la paix intéresse aussi bien le proche, le microcosme familial, la nature ambiante que l'univers cosmique (les étoiles).  * contre les forces du mal : aucune notion négative sauf, discrètement, dans la première strophe (la pâleur de la paix), pourtant Aragon et le lecteur savent bien que cette paix, toute paix, est un miracle et que le monde connaît plus souvent la mort et la douleur apportées par la guerre. D'où sans doute cet hymne vibrant, incantatoire, pour conjurer les forces négatives, protéger cette paix et toutes les paix de ce monde toujours menacées.    2. Une incantation :  Poème-prière plus que cri de triomphe, rendu par des moyens très simples mais très suggestifs :  * le pouvoir des mots :  - l'aspect litanique du poème ; les quatre brefs monosyllabes "je dis la paix", répétés six fois en anaphore (une seule ellipse strophe. 5) se détachent grâce à la coupe à l'hémistiche et à l'accent qui porte sur le mot "paix".  - la force du verbe dire, chargé d'une signification intense (dire ici signifie : célébrer, nommer ; par ailleurs, dire est, dans la pensée magique, un acte créateur ; le poète est un démiurge, comme celle de Dieu, sa parole se veut efficiente; Ainsi dans la Bible : "Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut.". Cette force magique est sensible puisque le mot peut éveiller spontanément les images de la paix ; à la formule "je dis la paix" se juxtaposent ainsi d'emblée métaphoriquement trois tableaux qui se développent sur les strophes 2, 3, 7 (la femme, le monde, l'enfance).  * le pouvoir du rythme et de la mélodie :  - le rythme fluide et lancinant est assuré par l'absence de ponctuation, la régularité de la structure strophique, 7 quatrains  aux rimes croisées où le troisième octosyllabe se prolonge en un vers de 4 syllabes, ce qui lui donne l'envolée d'un alexandrin ; le retour de constructions syntaxiques semblables (deux adjectifs, quatre comparaisons, neuf compléments reliés par les prépositions : à/pour) donne aussi une régularité berceuse au poème. On peut noter toutefois deux effets d'accélération dans les strophes 4 et 5 en continu, et dans la strophe 6 : les énumérations en cascades y marquent l'exaltation du poète.  - le poème impose une musique douce et allègre à la fois, grâce aux voyelles claires ou éclatantes à la rime, grâce aussi à des effets d'échos intérieurs, plus importants peut-être encore que les rimes : il en est ainsi des allitérations en nasales dans la première strophe, des assonances en voyelles claires dans la troisième, des allitérations en dentales du vers 17 ou des douces sifflantes de la cinquième strophe. Ces effets rythmiques et mélodiques, en accord avec le charme des images, font de ce poème un hymne - au sens musical du terme (et le titre nous y préparait) - à la paix.    Il s'agit bien là d'un poème "engagé" qui témoigne de la générosité de l'inspiration chez Aragon. Le poète a su y éviter les écueils du genre si bien que vivifiées par les accents d'un lyrisme simple et personnel, ces strophes ont la résonance de la vraie poésie.  Le public ne s'y est pas trompé, lui qui a trouvé dans ce type d'inspiration le meilleur de la poésie surréaliste. Elle a du reste pu survivre grâce à des chanteurs-compositeurs qui l'ont prolongée, tels Georges Brassens ou encore Jean Ferrat dont la mort récente a ressuscité un temps ces belles mélodies chargées de sens.

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« Sans doute le poème paraît-il au premier abord bien discret à ce sujet.* mais toute la 1° strophe y fait référence en renvoyant à un moment précis de l'histoire, en liaison étroite avec la date du recueil,1954; l'article défini "la paix" retrouve ici son sens étymologique (en latin : illa, qui a donné la forme féminine de l'article définifrançais, est adjectif démonstratif), il s'agit donc de cette paix précise qui vient d'avoir lieu et que le poète, ancien combattant desdeux guerres mondiales, entend célébrer.* L'auteur, face à l'événement, s'implique personnellement et fait appel à une expérience profondément intime : l'amour d'unefemme ("ses bras", "tes pas"), des lieux odorants, lumineux et familiers, "la porte", "cette fenêtre", la "maison" et ses "tuiles",l'"odeur du thym", "la lumière" "dans cette saison", mais cette expérience peut être partagée par tous, par ceux notamment qui, dequelque bord qu'ils soient, reviennent du champ de bataille. 2.

Les caractères de cette paix :* elle est soudaine, d'autant plus inattendue qu'elle a été "longtemps rêvée" ; la soudaineté est soulignée par deux termes à la rime: l'adjectif "soudaine" dans la première strophe, l'adverbe "tout à coup" dans la deuxième, auxquels s'ajoute le jeu de mots sur "unbeau matin" (synonyme possible de : soudain); une soudaineté suggérée également par la brusquerie des deux mouvements :ouvrir la porte, battre l'air, et l'emploi du passé simple, temps des faits rapides et ponctuels.* elle est fragile ; le connote l'adjectif "pâle" qui sous-entend une personnification de la paix, jeune femme maladive ; idéerenforcée par l'allitération en P des deux termes contigus : paix , pâle.* mais elle est liée à une certitude de bonheur: dans la première strophe la comparative "comme un bonheur " est répétée deuxfois en anaphore, le nom est à l'hémistiche, place intensive dans un octosyllabe ; l'infinitif passé "avoir trouvé" présente le faitcomme accompli ; par ailleurs la libre association d'images qui symbolisent la paix prend des connotations essentiellementpositives.

En effet, jouant sur la double valeur de l'article défini (de valeur démonstrative mais aussi généralisante), l'auteur évoqueles symboles de toute paix, tout ce dont nous prive la guerre. B.

Les images de la paix On note deux types d'association d'images correspondant à tout ce que fait naître le mot paix, à tout ce qu'il semble promettre àlui seul : 1.

Sur le plan esthétique:* la paix est associée à la beauté retrouvée de la nature :- une nature baignée de clarté comme le prouve le large champ lexical : aube d' "un beau matin", lumière de "cette saison" qui nepeut être qu'estivale, et même "étoiles" éclairant l'ombre de la nuit.- une nature éveillant le plaisir des sens : chant des oiseaux (strophe 5), fraîcheur de la brise matinale et odeur de thym (strophe3), palette de couleurs délicates : vert de la prairie, "vert et noir" (si bien observé) des "branchages", note vive du rouge des toits,éclat de la lumière solaire et scintillement des étoiles.

La paix est même dédiée à ces éléments de la nature : c'est le sens, du resteambigu, des prépositions à / pour, qui peuvent introduire aussi bien des compléments de destination que de qualité. 2.

Sur le plan affectif:*la paix est associée à l'amour:- la présence de la femme se fait de plus en plus sensible dans le poème : elle s'annonce dans la personnification de la paix au v.1(la paix n'est-il pas un mot féminin!) et dans la comparaison du v.5 ; la paix suscite ensuite la présence effective de la femme dansla strophe 2 ; cette paix est aussi dédiée à la femme qui l'incarne : "à tes pas", "pour toi".- l'amour évoqué est tendre, intensément partagé, communion charnelle et spirituelle à la fois comme l'indiquent à l'évidence lezeugma" Ses deux bras autour de mon âmeEt de mon cou"et la douceur des allitération en M dans la dédicace : "pour toi l' // ombre et l'amour", expression soulignée par la hardiesse del'enjambement laissant en suspens un article élidé ; cet amour est protecteur de par l'évocation de l'intimité du foyer, la maison,cette fenêtre, les tuiles des toits, et rassurant dans sa permanence: "tes pas ...

//Comme une chose coutumière à la maison"; onnote la correspondance entre la femme et la nature, aussi maternelle, chaleureuse et protectrice que la femme par ses "branchagesau-dessus des eaux" où croissent les "alevins", jeunes vies aquatiques.* la paix est associée à l'enfance :- une enfance porteuse de joie, de liberté, de vitalité (les petits des hommes sont associés aux petits des animaux, "les alevins") ;elle est liée aux "jeux" et à la gaieté largement partagée comme le signifie l'emploi de l'indéfini et du présent de vérité générale :" On court, on saute, on crie, on rit". »

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