Devoir de Philosophie

Certains penseurs nous incitent à croire que le bonheur se trouve dans la liberté. D'autres, au contraire, ne le voient que dans la soumission à une règle. Que pensez-vous de ces deux attitudes ?

Publié le 04/04/2009

Extrait du document

Introduction. La liberté apparaît, le plus souvent, comme le droit de faire ce qui plaît, de suivre son caprice, d'agir à sa fantaisie, sans subir aucun joug. Vue ainsi, elle semble le bien le plus désirable. Au contraire, le devoir apparaît comme une contrainte, une obligation, une corvée, une punition. Il prend l'apparence concrète du licol, de la laisse, de la chaîne, de la prison, des collèges, « ces geôles de jeunesse captive « au dire de Montaigne; il éveille les images abstraites de discipline militaire, de règlement, de procès-verbal, d'amende, de peine afflictive. Ainsi, à première vue, la liberté ouvre les champs de la joie; le devoir nous enferme dans la fatigue, l'ennui, la douleur. Mais le problème n'est peut-être pas aussi simple et André Gide, Saint-Exupéry, Jean-Paul Sartre nous invitent à le poser d'une manière plus complexe.

Le bonheur est dans la liberté. Disposer de ses muscles, de ses glandes, de ses possibilités émotives ou intellectuelles, agir à son gré, aller où bon vous semble : la jeunesse rêve de cette possibilité en subissant la loi familiale, la loi scolaire, la loi professionnelle, la loi morale qui se dressent devant ses désirs; l'âge mûr lui-même croit encore au paradis des vacances, des voyages, de l'aventure, il croit à la paradisiaque liberté offerte par les îles d'or sises en Océanie ou ailleurs. Aller de plaisir en plaisir, s'offrir à toutes les expériences : telle est d'ailleurs la leçon que Gide donna aux jeunes lecteurs de ses Nourritures terrestres, après l'avoir péniblement conçue pour lui-même en s'accordant le droit de se révolter contre une atroce tyrannie maternelle. « Il y a profit aux désirs, et profit au rassasiement des désirs — parce qu'ils en sont augmentés. Car je te le dis en vérité, Nathanaël, chaque désir m'a plus enrichi que la possession toujours fausse de l'objet de mon désir [...] J'ai peur que tout désir, toute énergie que je n'aurais pas satisfaite durant ma vie, pour leur survie ne me tourmentent. J'espère, après avoir exprimé sur cette terre tout ce qui attendait en moi, satisfait, mourir complètement désespéré. « Mais d'autres philosophes nous font observer que « toujours du plaisir n'est pas du plaisir «. Tout plaisir a sa jeunesse, son âge mûr, puis sa décrépitude, et le cycle est parfois d'une étonnante brièveté, l'enfant qui se gave de chocolat en fait la douloureuse expérience.

« Quand André Gide eut formulé cette idée ou d'aucuns virent un repentir, des lecteurs lui firent remarquer qu'ellen'était nullement « paradoxale » puisque depuis longtemps enseignée par les sages.

Cependant, pour l'auteur desNourritures terrestres, c'était bien une vérité neuve, opposée à la morale qu'il lui avait tant coûté d'établir.

Samorale personnelle, il l'avait formulée en se dressant contre les interdits religieux et familiaux qui avaient paralysé sajeunesse.Commandements de Dieu, vous avez endolori mon âme [...] Commandements de Dieu, vous avez rendu malade monâme.

Vous avez entouré de murs les seules eaux pour me désaltérer.Il l'avait formulée en s'écriant : « Familles, je vous hais! » en choisissant la solitude orgueilleuse, en appelant sur luila malédiction des mainteneurs de traditions.

Et voilà qu'il reconnaissait la beauté, la grandeur, la puissancesuggestive du devoir accepté, de l'obéissance à une autre loi que celle du désir momentané.

A la date du 8 février1932, il souligna ce qu'il y avait effectivement de paradoxal dans cette attitude : « Le paradoxe est de trouvercette vérité à l'extrémité de l'individualisme.

» Elle « prend un tout autre aspect suivant qu'on l'accepte d'abord, ouqu'on y parvient.

Ce qu'on découvre ou redécouvre soi-même ce sont des vérités vivantes; la tradition nous invite àn'accepter que des cadavres de vérités ».

A soixante-trois ans, il s'apercevait que l'homme a besoin d'agir nonseulement par espoir de volupté, mais pour se rendre utile à sa famille, à sa patrie, à l'humanité; qu'il a besoin deconnaître non seulement pour sa délectation personnelle, mais pour enrichir le patrimoine commun; qu'il a besoind'aimer et d'être aimé non seulement pour satisfaire sa « libido », mais pour se souder à l'ensemble des hommes dansl'espace et dans le temps; qu'il a besoin même de souhaiter sacrifier sa vie à une cause.

Se soumettre aux grandsdevoirs sélectionnés par l'espèce procure des joies presque exemptes d'amertume.

Joie de lutter contre la matièrevégétale pour la soumettre à la loi du jardinier; contre la pierre brute pour la soumettre à la loi de l'architecte;contre le minéral pour le soumettre à la loi du mineur, du fondeur, du mécanicien, du physicien, du chimiste, dumicrophysicien.

Joie de s'élever malgré la pesanteur.

De respirer malgré le manque d'atmosphère.

De s'enfoncer sousles eaux en narguant l'asphyxie.

De défier les grands froids qui transforment pourtant tout en pierre.

Joie de savant,de technicien, d'ouvrier, d'artiste qui impose sa volonté en sélectionnant des formes, des couleurs, des sons, desparticules, en ordonnant la matière à sa guise, en meublant l'univers d'astres nouveaux.

Dans son Colas Breugnon,Romain Rolland2 a exprimé la joie de l'artisan qui admire son œuvre.

Camille Jullian a dit la joie de l'historien quiaccumule honnêtement ses matériaux, les trie et les élabore pour dresser ce qu'il croit être la vérité historique.Flaubert a hurlé la joie de l'artiste qui enfante un chef-d'œuvre après avoir souffert mille douleurs.

Henri Poincaré adit la joie du savant qui construit un édifice logique aussi parfaitement ajusté que possible sur le réel.C'est la conquête qui fait le bonheur de tous ces travailleurs, mais c'est aussi la soumission à une dure loi.

ColasBreugnon se soumet à la loi du travail bien fait, il met son point d'honneur à n'écarter aucune difficulté, il larecherche même pour se procurer un mérite supplémentaire.

Quand se multiplient les règles, l'effort exigé grandit,mais aussi le mérite, Théophile Gautier l'a fort bien dit dans son petit mais célèbre poème sur « l'Art3 ».

Plutôt quede laisser le pouce errer en liberté sur la glaise, le sculpteur choisira le marbre de « Carrare dur et rare ».

« Je nedirai pas seulement que tout ce qui est facile est mauvais; je dirai même que ce qu'on croit facile est mauvais » :ainsi s'exprime Alain dans ses Propos sur l'éducation.

Sur ce point s'accordent Gautier, Colas Breugnon, CamilleJullian, Claude Bernard, Michel-Ange, Amundsen, Einstein, Guillaumet..., ceux qui se sont hissés vers les sommets del'Himalaya, ceux qui ont offert leur vie à Dieu, à une patrie, à une cause humaine, à une femme ou un enfantmalade.

C'est parce que le devoir exige de nous un effort qu'il nous prépare au bonheur.

Il contrarie notre rythmenaturel de vie en exigeant beaucoup au moment où nous souhaiterions flâner.

Il nous invite à l'antiphysis qui déplaîtà la paresse mais sustente l'orgueil prométhéen.

En face de la forêt vierge, Lenôtre dessine son jardin géométrique;en face des rumeurs de la ville ou de la forêt, Beethoven élève sa symphonie; en face de l'homme veule quis'abandonne à ses instincts et craint la mort, le héros et le saint dressent leur front jusqu'aux nuages.

En face d'uneHermione qui s'abandonne à sa passion, Polyeucte se raidit pour obéir à son devoir de chrétien.

En face des jeunesgens désœuvrés qui traînent de bar en bar, ne sachant quoi faire de leur liberté, Saint-Exupéry sculpte le visage desMermoz, des Guillaumet, des Didier Daurat qui surent se soumettre à un devoir, être de quelque chose, d'une patrie,d'une escadrille, d'une compagnie aéropostale.

Ainsi échappèrent-ils à l'ennui, au dégoût, au désespoir, à la nausée.Ils vainquirent les éléments en se vainquant, ils se dépassèrent, ils construisirent leur cathédrale.Faut-il distinguer entre le devoir librement choisi par un Mermoz ou un Saint-Exupéry et le devoir qui vous estimposé, que parfois l'on réprouve? Non, car celui-ci procure, en définitive, les mêmes joies, l'auteur de Servitude etgrandeur militaires nous en a convaincus, et Montesquieu avant lui, qui rappela, dans ses Considérations, l'esprit dediscipline des Romains de la grande époque : ils s'y soumettaient avec tant de rigueur qu'on vit « des générauxcondamner à mourir leurs enfants pour avoir, sans leur ordre, gagné la victoire ».

La grandeur du geste est siparfaite qu'elle atteint la plus parfaite inhumanité; dans son absolutisme, la raison défie le bon sens.

Mais, sansatteindre de tels défis, il faut bien convenir que plus le devoir est difficile à remplir, plus grand est le bonheur qu'ilréserve à ceux qui ne se dérobent point : le jeune Horace de Corneille le savait, de même que le Katow de laCondition humaine5 lorsqu'il fit à Souen un « don de plus que sa vie », « le plus grand don qu'il eût jamais fait, et quiétait peut-être fait en vain ».

Une vie sans obligations décompose l'âme.

La soumission à une règle la fortifie. Conclusion.

Au seuil de la vieillesse, comparant sa vie de cueilleur de plaisirs à l'héroïque austérité de sa femme, comparant les joies qu'il s'était procurées au bonheur de ceux qui se transcendent pour construire une « citadelle »,André Gide se demanda si la leçon des Nourritures terrestres ne devait pas être revisée.

Mais le devoir auquel ilpensait n'était ni celui de Polyeucte ni celui d'Horace, ni celui de Guillaumet, ni celui de Pasteur puisque, sitôt aprèsavoir formulé son hommage à Saint-Exupéry, il nota sur son Journal : « Enfin s'ils ont si bien admis que le bonheur del'homme est dans la soumission je ne comprends pas bien ce qui les révolte dans l'éthique du plan de l'U.

R.

S.

S.

» Ilse soumettait alors au devoir d'aider les communistes, malgré son aristocratie d'artiste, au devoir d'aimer l'humanité,lui qui n'avait jamais aimé que des individus.

Il s'imaginait avec plaisir sacrifiant sa vie à la cause nouvelle.

On sait cequ'il advint de cette soumission à un devoir autre qu'égotiste.

Plus tard, sa femme étant morte, il se demanda de. »

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