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Buffon, Des époques de la nature (extrait) Si son Histoire naturelle tend à éclipser, en renommée, toutes les autres oeuvres de Buffon, ce dernier n'en est pas moins l'auteur de contributions importantes dans des domaines autres que la biologie.

Publié le 27/04/2013

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Buffon, Des époques de la nature (extrait) Si son Histoire naturelle tend à éclipser, en renommée, toutes les autres oeuvres de Buffon, ce dernier n'en est pas moins l'auteur de contributions importantes dans des domaines autres que la biologie. Il en va ainsi des Époques de la nature, ouvrage fondateur qui fait de Buffon le premier scientifique à avoir proposé une échelle des temps géologiques. Il y montre que la Terre a une histoire, observable à travers les fossiles, et qu'elle est, sous sa forme actuelle, le résultat de lentes et progressives transformations. Des époques de la nature de Buffon Comme, dans l'histoire civile, on consulte les titres, on recherche les médailles, on déchiffre les inscriptions antiques, pour déterminer les époques des révolutions humaines, et constater les dates des événements moraux ; de même, dans l'histoire naturelle, il faut fouiller les archives du monde, tirer des entrailles de la terre les vieux monuments, recueillir leurs débris, et rassembler en un corps de preuves tous les indices des changements physiques qui peuvent nous faire remonter aux différents âges de la nature. C'est le seul moyen de fixer quelques points dans l'immensité de l'espace, et de placer un certain nombre de pierres numéraires sur la route éternelle du temps. Le passé est comme la distance ; notre vue y décroît, et s'y perdrait de même, si l'histoire et la chronologie n'eussent placé des fanaux, des flambeaux, aux points les plus obscurs : mais, malgré ces lumières de la tradition écrite, si l'on remonte à quelques siècles, que d'incertitudes dans les faits ! que d'erreurs sur les causes des événements ! et quelle obscurité profonde n'environne pas les temps antérieurs à cette tradition ! D'ailleurs elle ne nous a transmis que les gestes de quelques nations, c'est-àdire les actes d'une très petite partie du genre humain ; tout le reste des hommes est demeuré nul pour nous, nul pour la postérité ; ils ne sont sortis de leur néant que pour passer comme des ombres qui ne laissent point de traces : et plût au ciel que le nombre de tous ces prétendus héros dont on a célébré les crimes ou la gloire sanguinaire fût également enseveli dans la nuit de l'oubli ! Ainsi l'histoire civile, bornée d'un côté par les ténèbres d'un temps assez voisin du nôtre, ne s'étend de l'autre qu'aux petites portions de terre qu'ont occupées successivement les peuples soigneux de leur mémoire ; au lieu que l'histoire naturelle embrasse également tous les espaces, tous les temps, et n'a d'autres limites que celles de l'univers. La nature étant contemporaine de la matière, de l'espace, et du temps, son histoire est celle de toutes les substances, de tous les lieux, de tous les âges ; et quoiqu'il paraisse à la première vue que ses grands ouvrages ne s'altèrent ni ne changent, et que dans ses productions, même les plus fragiles et les plus passagères, elle se montre toujours et constamment la même, puisqu'à chaque instant ses premiers modèles reparaissent à nos yeux sous de nouvelles représentations, cependant, en l'observant de près, on s'apercevra que son cours n'est pas absolument uniforme : on reconnaîtra qu'elle admet des variations sensibles, qu'elle reçoit des altérations successives, qu'elle se prête même à des combinaisons nouvelles, à des mutations de matière et de forme ; qu'enfin autant elle paraît fixe dans son tout, autant elle est variable dans chacune de ses parties ; et si nous l'embrassons dans toute son étendue, nous ne pourrons douter qu'elle ne soit aujourd'hui très différente de ce qu'elle était au commencement et de ce qu'elle est devenue dans la succession des temps : ce sont ces changements divers que nous appelons ses époques. La nature s'est trouvée dans différents états : la surface de la terre a pris successivement des formes différentes ; les cieux mêmes ont varié, et toutes les choses de l'univers physique sont, comme celles du monde moral, dans un mouvement continuel de variations successives. Par exemple, l'état dans lequel nous voyons aujourd'hui la nature est autant notre ouvrage que le sien ; nous avons su la tempérer, la modifier ; la plier à nos besoins, à nos désirs ; nous avons sondé, cultivé, fécondé la terre : l'aspect sous lequel elle se présente est donc bien différent de celui des temps antérieurs à l'invention des arts. L'âge d'or de la morale, ou plutôt de la fable, n'était que l'âge de fer de la physique et de la vérité. L'homme de ce temps, encore à demi-sauvage, dispersé, peu nombreux, ne sentait pas sa puissance, ne connaissait pas sa vraie richesse ; le trésor de ses lumières était enfoui ; il ignorait la force des volontés unies, et ne se doutait pas que, par la société et par des travaux suivis et concertés, il viendrait à bout d'imprimer ses idées sur la surface entière de l'univers. Aussi faut-il aller chercher et voir la nature dans ces régions nouvellement découvertes, dans ces contrées de tout temps inhabitées, pour se former une idée de son état ancien ; et cet ancien état est encore bien moderne en comparaison de celui où nos continents terrestres étaient couverts par les eaux, où les poissons habitaient sur nos plaines, où nos montagnes formaient les écueils des mers : combien de changements et de différents états ont dû se succéder depuis ces temps antiques (qui cependant n'étaient pas les premiers) jusqu'aux âges de l'histoire ! que de choses ensevelies ! combien d'événements entièrement oubliés ! que de révolutions antérieures à la mémoire des hommes ! Il a fallu une très longue suite d'observations, il a fallu trente siècles de culture à l'esprit humain, seulement pour reconnaître l'état présent des choses. La terre n'est pas encore entièrement découverte ; ce n'est que depuis peu qu'on a déterminé sa figure ; ce n'est que de nos jours qu'on s'est élevé à la théorie de sa forme intérieure, et qu'on a démontré l'ordre et la disposition des matières dont elle est composée : ce n'est donc que de cet instant où l'on peut commencer à comparer la nature avec elle-même, et remonter de son état actuel et connu à quelques époques d'un état plus ancien. Mais comme il s'agit ici de percer la nuit des temps, de reconnaître par l'inspection des choses actuelles l'ancienne existence des choses anéanties, et de remonter par la seule force des faits subsistants à la vérité historique des faits ensevelis ; comme il s'agit, en un mot, de juger non seulement le passé moderne, mais le passé le plus ancien, par le seul présent, et que, pour nous élever jusqu'à ce point de vue, nous avons besoin de toutes nos forces réunies, nous emploierons trois grands moyens : 1°°les faits qui peuvent nous rapprocher de l'origine de la nature ; 2° les monuments qu'on doit regarder comme les témoins de ses premiers âges ; 3° les traditions qui peuvent nous donner quelque idée des âges subséquents : après quoi nous tâcherons de lier le tout par des analogies, et de former une chaîne qui, du sommet de l'échelle du temps, descendra jusqu'à nous. Source : Buffon (Georges), Des époques de la nature, Paris, Éditions rationalistes, 1971. 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