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Article de presse: Un libéralisme sans ligne directrice

Publié le 22/02/2012

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10 mai 1981 - En 1981, à la veille de l'élection présidentielle, Le Monde dresse le bilan de la politique économique d'un septennat de Valéry Giscard d'Estaing marqué par la crise économique mondiale. C'est notamment à cause de ses compétences supposées dans les domaines économique et social qu'une majorité d'électeurs avaient finalement donné leur préférence, au mois de mai 1974, à Valéry Giscard d'Estaing. Dans la mesure où ils ont été déçus, et ils l'ont été, faut-il en imputer la raison à la malchance (ce serait une bien curieuse explication), à la dureté des temps, ou bien au contraire à l'insuffisante aptitude à porter un diagnostic juste sur la situation et à appliquer une thérapeutique adéquate ? Ce n'est pas seulement entre les politiques suivies par les deux premiers ministres successifs que se manifeste un contraste frappant. Il est pour le moins difficile de trouver un fil conducteur dans la politique économique et monétaire menée au cours des vingt-sept premiers mois du septennat par l'Elysée et par Matignon, qu'occupait alors Jacques Chirac. Dès le mois de juin 1974, est lancé un plan de refroidissement qu'a rendu, d'une façon ou d'une autre, inévitable la formidable envolée de l'inflation (17 % en rythme annuel) provoquée par le laxisme des mois précédents qui avait atteint son comble pendant la campagne présidentielle. En repoussant le moment d'engager le fer contre l'inflation (la RFA avait, pour sa part, réagi dès juin 1973, après avoir, en vain, invité Paris à s'associer à son effort), la France courait un risque dont l'événement allait bientôt confirmer la réalité. Les mesures restrictives prises à la fin du printemps commençaient à peine à faire sentir leur effet que la conjoncture se retournait brusquement-en octobre-novembre-dans tous les pays industrialisés. Fait particulièrement significatif, le gouvernement se refusait à répercuter sur les prix intérieurs le renchérissement du brut intervenu en décembre 1973. De ce choix démagogique, Valéry Giscard d'Estaing se félicitait publiquement, déclarant aux téléspectateurs qu'il ne veut pas de " rationnement par l'argent ". Curieuse façon, pour un libéral, de présenter le fonctionnement du mécanisme des prix. Velléités social-démocrates A contretemps sera également lancé, le 5 septembre 1975, " le plan de soutien de l'économie ", qui est en réalité un plan de relance à tout-va. Les Etats-Unis ont commencé à sortir de " la plus sévère récession depuis les années 30 ", et la reprise est en train de gagner progressivement l'Europe, ce que, il est vrai, les statistiques ne révèlent pas encore. Fallait-il dans ces conditions voter d'importants crédits qui vont se traduire par un considérable déficit budgétaire ? Pratiquée de cette façon, la relance est incompatible avec la décision prise quelques mois plus tôt par Valéry Giscard d'Estaing de faire rentrer le franc dans le " serpent européen " à un taux de change inchangé. L'assaut de la spéculation obligera en mars 1976 le gouvernement de retirer en catastrophe le franc du serpent (comme cela avait déjà été le cas en janvier 1974). Le plan de refroidissement avait pénalisé les investissements le plan de soutien les favorisera. Il comporte un important programme d'équipements publics où la part du lion est réservée au développement du réseau routier. Aujourd'hui, Valéry Giscard d'Estaing prend bien soin de marquer la différence de nature existant entre, d'une part, la formule du " libéralisme avancé " et, d'autre part, la social-démocratie, dont l'idéologie du Parti démocrate américain est, à maints égards, très proche. C'est plutôt le souci contraire qui dominait pendant les premières années du septennat. Le président de la République s'engage personnellement pour faire voter une loi sur l'imposition généralisée des plus-values dont l'extrême complication empêchera qu'on puisse l'appliquer en l'état aux transactions boursières. Il est fait grand cas de la loi foncière (dite loi Galley) destinée à contrecarrer la spéculation dans le centre des villes et dont le résultat sera de renchérir le coût des terrains urbains. Valéry Giscard d'Estaing vante à plusieurs reprises les mérites de la " taxe conjoncturelle " (la " serisette " qui restera inappliquée parce qu'inapplicable). Une grande publicité sera faite autour des travaux du Centre d'études des revenus et des coûts (CERC) imitée d'une initiative travailliste. Indispensable instrument de connaissance des rémunérations préparant les voies à une plus grande justice. Au moment de son départ, Jacques Chirac dresse l'action qu'il a menée, ou essayé de mener, à Matignon en déclarant : " Les efforts du gouvernement ont tendu à limiter au maximum les effets de la crise de l'économie mondiale. " Outre la non-répercussion de la hausse du pétrole importé sur les prix du carburant et sur les tarifs publics (électricité, chemin de fer, etc.), cette politique avait consisté à dissuader les entreprises de procéder à des licenciements, à créer de nouveaux postes dans l'administration (le candidat Chirac veut aujourd'hui les réduire). Sept ans après, la France se retrouve en prise à l'inflation que le gouvernement Barre n'a pas pu vaincre ni même diminuer. Entre-temps, la vision des choses a changé du tout au tout. L'apport personnel de Raymond Barre aura été de rompre avec la politique du " refus de la crise ", surtout après la victoire électorale remportée en mars 1978 à l'occasion des législatives. Les licenciements sont non pas encouragés mais, sauf exceptions, acceptés dans la mesure où on y voit une condition regrettable mais inévitable de l'assainissement de l'appareil productif. La libération des prix enfin acquise a contribué, plus que beaucoup d'autres mesures, à faire entrer l'économie française dans l'âge adulte. Dans le même esprit, un effort a été entrepris pour stabiliser le déficit des sociétés nationales en consentant au relèvement de leurs tarifs. La logique de cette nouvelle approche plus authentiquement libérale n'a pas été poussée jusqu'au bout, tant s'en faut. A telle enseigne que, au gouvernement Barre, on peut reprocher d'avoir été plus austère en parole qu'en fait, rendant par là même très difficile la position de son successeur, qui aura du mal à faire comprendre à l'opinion publique la nécessité de nouveaux " sacrifices ". Cette relative modération de Raymond Barre s'explique par son parti pris de " gradualisme " qu'il partage avec le président de la République. Plutôt que d'accepter l'idée qu'il a échoué devant l'inflation, il sera tenté de répondre que la cure d'assainissement est encore plus longue qu'il ne l'avait prévu. L'idée qu'on gouverne un pays en multipliant les interventions dans tous les domaines, plutôt qu'en appliquant quelques grandes directives, tirées d'une analyse claire de la situation, explicable en termes simples, conduit à une sorte de démobilisation générale. Le Monde du 10 mars 1981

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