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Article de presse: La loi et l'ordre à Lisbonne

Publié le 17/01/2022

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25 novembre 1975 - Hier encore " bateau ivre ", sans gouvernement ni vrai capitaine, le Portugal a donc redécouvert en quarante-huit heures l'ordre et la discipline. Un étonnant silence s'est appesanti sur Lisbonne. Les radios révolutionnaires se sont tues: les journaux gauchistes, toujours suspendus, vont être épurés; les militaires et les syndicalistes " rouges " retrouvent le chemin des prisons ou de la clandestinité. A Tancos, vendredi soir, les derniers " paras " vaincus et floués se sont rendus en pleurant. Brusquement la révolution portugaise échevelée et bavarde, ce singulier bouillonnement, semble s'être évanouie devant les commandos du colonel Jaime Neves. Le romantisme à la " Potemkine " qui, depuis près d'un an, inquiétait l'Europe et Washington s'est dissipé comme un brouillard. N'était-il donc que cela? Au soulagement d'avoir évité la guerre civile succède déjà une sourde inquiétude. Pour avoir triomphé trop facilement du long mai 68 portugais, les modérés, restaurateurs de la loi et de l'ordre, sauront-ils résister aux contre-offensives de la droite, qui sent désormais son heure venue. Les accents triomphants avec lesquels Francisco Sa Carneiro, leader du PPD, réclame des élections immédiates, l'agressivité nouvelle du Centre démocratique et social et la réapparition au sein de l'armée des officiers à poigne, tout cela fait penser à un retour du pendule qui risque de marquer la fin de la révolution portugaise. Alvaro Cunhal, qui n'avait pas soutenu l'insurrection militaire dénonce aujourd'hui le " danger fasciste " que peut, au demeurant, favoriser l'espèce d'épuisement nerveux d'une opinion qui se dépolitise aussi vite qu'elle s'était enflammée. Sans doute le sixième gouvernement, qui a " repris son travail ", compte-t-il dans ses rangs des hommes déterminés à se garder sur leur droite. Le commandant Melo Antunes, héritier de l' " esprit du 25 avril ", n'a pas renoncé à rassembler les partis et le MFA autour d'un programme pluraliste et socialiste. La sollicitude qu'il témoigne au Parti communiste montre assez de quel côté il cherche maintenant des appuis. Mais les trouvera-t-il? Rien n'est moins sûr. L'effondrement de l'extrême gauche bouleverse le rapport des forces. Au sein de l'armée, les unités révolutionnaires, comme le Ralis ou la police militaire, se sont trouvées minées par leur politisation accélérée et une indiscipline volontaire qui était une arme à double tranchant. Elles ne représentent plus aucune force politique. Les commissions populaires, de quartier ou d'entreprise, sur lesquelles s'appuyaient l'extrême gauche et parfois les communistes sont en pleine décomposition. Quant aux partis, ont-ils jamais été plus divisés? Les communistes ne recueillent pas les bénéfices de la prudence dont ils ont fait preuve lors des récents événements. Dénoncés comme " responsables moraux " de la crise par le PS, peu disposé à accepter un rapprochement avec eux, ils ont perdu la sympathie d'une partie de la jeunesse et des ouvriers, qui, désemparés, crient à la trahison. La responsabilité des socialistes sera, dans les jours à venir, considérable. En cédant trop vite à la victoire, ils risquent fort de faire le jeu d'une droite face à laquelle ils seront demain désarmés. Pour eux comme pour tous ceux qui ne peuvent plus désormais brandir, après l'avoir tant fait, l'épouvantail de l' " aventure ", il s'agit déjà de choisir. Le Monde du 30 novembre-12 janvier 1975

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