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Article de presse: La Leçon du gendarme chinois

Publié le 17/01/2022

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16 mars 1979 - Les atmosphères qui prévalent aujourd'hui dans les capitales vietnamienne et chinoise offrent un contraste saisissant. Alors que Pékin annonce le début du retrait de ses forces, qui ont infligé une " leçon " à l'adversaire, Hanoï lance un appel à la " guerre de résistance ", mobilise les rares civils qui avaient échappé à la conscription et appelle à nouveau ses habitants à creuser des abris. On se croirait presque revenu à l'époque des bombardements américains. Jusqu'à présent Hanoi ne semble pas croire au " prétendu retrait " chinois. Qui plus est, les dirigeants vietnamiens ont voulu prendre de vitesse la déclaration chinoise en annonçant quelques heures à l'avance leurs nouvelles mesures, qui auraient sans doute été difficilement comprises si elles avaient été connues plus tard. Il s'agit sans doute d'une des péripéties de la guerre psychologique que se livrent les deux principales puissances communistes asiatiques. A moins que certains stratèges vietnamiens, pour effacer l'affront causé par l'entrée de troupes étrangères sur leur territoire et pour forcer Moscou à s'engager plus avant, n'aient l'intention d'attaquer les troupes chinoises au moment le plus délicat de leur campagne: le repli en bon ordre. Une telle attitude n'est pas sans précédents: Hanoï a dû à plusieurs reprises, pendant la guerre d'Indochine, forcer la main du Kremlin, plus soucieux de préserver la coexistence pacifique avec Washington que de soutenir la lutte de son allié. Mais elle risquerait de mettre à nouveau le feu aux poudres dans la région. Pékin a en effet clairement dit que ses forces riposteraient en cas de " provocations ". La situation demeurera donc délicate tant que le dernier soldat chinois n'aura pas quitté le territoire vietnamien, d'autant que des divergences sur le tracé de la frontière existent entre les deux pays. Pékin estime que la " punition " infligée à son turbulent voisin a porté. D'abord, bien que les divisions régulières de Hanoï n'aient pas été " cassées ", car elles ont évité le combat, la Chine considère que, selon les termes de Deng Xiaoping, " le mythe de l'invincibilité de l'armée vietnamienne a vécu ". Celle-ci n'a en effet pas été capable de protéger ses frontières et a dû dégarnir ses fronts cambodgien et laotien. Le Vietnam serait donc moins en mesure de jouer ce rôle redouté de " Cuba asiatique ". D'autre part, la Chine a rappelé au Vietnam qu'il ne pouvait compter sur un soutien effectif de l'Union soviétique. Cette dernière n'est guère désireuse d'intervenir, afin de ne pas mettre en danger les négociations SALT, et s'est contentée de bonnes paroles et d'envois de matériel de guerre. Hanoï devra en tenir compte quand s'ouvriront les négociations. Enfin, la Chine a montré que le dossier cambodgien était loin d'être clos. L'idée d'une nouvelle conférence sur l'Indochine ou sur le Cambodge, lancée par le prince Sihanouk, fait son chemin. Pékin, tout en soutenant la résistance khmère rouge, tente d'en infléchir la politique et d'en remplacer les chefs pour faire place à un véritable front uni antivietnamien; des contacts ont été pris avec certains mouvements nationalistes, voire anticommunistes. Quant au Laos, il risque de payer un jour le prix de son alignement sur le Vietnam. Par son " opération de police ", la Chine fait désormais figure de gendarme de la région-titre qu'elle contestait au Vietnam. Le coût de cette politique de grande puissance, qui renoue avec les grandes traditions de l'empire du Milieu, est sans doute lourd: retard de la modernisation du pays, inquiétude suscitée en Asie comme en Occident, abandon du mythe de la Chine pays pacifique. Mais, pour les dirigeants chinois, las des coups d'épingle vietnamiens, le jeu en valait bien la chandelle. Le Monde du 7 mars 1979

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