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Article de presse: L'irréparable

Publié le 17/01/2022

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23 septembre 1977 - Après le nouvel échec du " sommet " de la gauche, l'heure est aux explications. Communistes et socialistes se sont lancés dans des campagnes de propagande à travers le pays afin de populariser et de justifier leurs positions et d'expliquer que l'impasse est le fait de leur partenaire. Dans ce type d'opération, les communistes ont le double avantage de l'habitude et d'une capacité militante supérieure à celle du PS. Dès ce samedi 24 septembre 1977, le PC a organisé treize assemblées d'explication, réservées à ses militants, dans les principales villes du pays. Il ne s'agit que du premier épisode d'une campagne qui devrait prendre une ampleur rarement atteinte. Sans parler des télégrammes qui affluent, 7 bis, place du Palais-Bourbon, des " délégations de travailleurs " se sont présentées dès vendredi après-midi au siège du Parti socialiste pour demander des explications et sommer le PS de " faire un pas ". La direction du PCF, comme celle de la CGT, affirment qu'elles ne sont pour rien dans ces démarches, mais les dirigeants socialistes y voient la main de leurs alliés. Cette pression directe est maladroite dans la mesure où elle ne peut que renforcer les soupçons des responsables socialistes. Que se serait-il passé, se demande-t-on aussitôt, si la crise s'était ouverte, François Mitterrand étant, par hypothèse, premier ministre? Au chapitre des maladresses communistes, pour ne pas dire plus, on peut également faire état des propos de Georges Marchais posant la question de savoir si les socialistes accepteraient de défendre leur pays en cas d'agression des Etats-Unis ou de l'Allemagne fédérale. En est-on vraiment déjà là? De tels procès d'intention peuvent-ils avoir un sens? Dans le processus de dégradation rapide où se trouve engagée l'union de la gauche, les éléments psychologiques ont, certes, joué et jouent encore un rôle non négligeable, mais on ne peut y voir la source profonde de l'échec. Cette source profonde semble bien se situer dans ces " positions de pouvoir " jugées indispensables pour le Parti communiste depuis qu'il est minoritaire au sein de la gauche. Les dirigeants communistes estiment qu'ils ne peuvent prendre le risque de participer à une entreprise gouvernementale s'ils ne sont pas en état de peser sur les décisions. A l'inverse, les dirigeants socialistes estiment ne pouvoir se risquer à laisser le PCF s'implanter dans des secteurs entiers de l'économie du pays, tant que l'expérience d'une gestion gouvernementale commune n'aura pas cimenté l'alliance en dissipant les soupçons. Pas de dialogue authentique Ces explications restent, elles aussi, nécessairement partielles. C'est une conjonction d'éléments qui a créé la situation d'échec. C'est aussi un engrenage. Depuis le début des négociations sur l'actualisation du programme commun, de nombreuses petites sources de friction étaient apparues. Sans doute ont-elles, plus ou moins consciemment, contribué à la détérioration des relations. Une détérioration qui a amené les négociateurs à ne plus pouvoir nouer, tout au long de la journée et de la nuit de jeudi, un dialogue authentique. C'est aussi sur des critères à la fois psychologiques et politiques qu'avait été prise la décision de fixer la négociation " au sommet " à la mi-septembre. Socialistes et radicaux de gauche voulaient laisser passer la fête de l'Humanité. Ils craignaient qu'un programme commun adopté début septembre ne sorte juste à cette occasion et ne permette au PCF d'en tirer l'essentiel du profit politique en donnant au nouveau texte un éclairage communiste. Enfin, dans les séances " au sommet ", le nombre élevé des négociateurs-trente-a fait qu'inévitablement se sont crées les conditions d'un spectacle. Il y avait les vedettes, il y avait un public. Cet état de fait rendait plus difficiles les échanges personnels, les conversations d'homme à homme. Les grands élans sentimentaux ont, curieusement, été réservés aux nombreuses interventions télévisées. Ce qui a encore contribué à dramatiser les enjeux en leur donnant une dimension affective. Plus exactement, c'est une chose de diffuser les documents et les dossiers qui servent de base à une négociation (il y a là un fort louable souci de participation démocratique et d'éducation des citoyens). Autre chose est d'en appeler à la sentimentalité des militants et des électeurs de gauche et de jouer ainsi sur l'irrationnel. Il y a là un risque de dérapage dangereux. D'autant que l'état d'esprit qui règne dans les états-majors de la gauche favorise le développement de tous les soupçons, de tous les faux procès. Les dirigeants du PS sont, par exemple, convaincus que le PCF avait décidé de " suspendre " les négociations avant la reprise " au sommet ", jeudi. Peut-être ces faits sont-ils exacts. Ils ne signifient pas nécessairement que le PCF voulait politiquement rompre. Depuis la reprise des négociations mercredi 21 septembre, tous les porte-parole des partis de gauche tenaient un langage ambivalent. Ils affirmaient leur volonté d'aboutir mais, en même temps, ils commençaient leur campagne d'explication pour le cas où la discussion achopperait. La gauche se retrouve dans une situation pour elle classique, d'affrontement entre les deux principaux courants qui la composent. La logique historique de chaque courant reste d'imposer sa vision politique et économique à l'autre. L'espoir d'une synthèse par dépassement de l'un et l'autre paraît toujours aussi illusoire. Autant dire que l'on s'installe dans la crise et que personne ne prévoit une reprise des conversations entre les trois partis de gauche. Communistes, socialistes et radicaux de gauche, s'ils ne renouent pas, vont devoir d'ici peu se poser le problème de la tactique électorale lors des futures élections législatives. Là encore, du côté socialiste, le scepticisme règne. Que faire d'une éventuelle majorité PC-PS, sans un programme de gouvernement? Si le Parti communiste pense ne pas être en mesure de pouvoir partager les responsabilités gouvernementales avec les socialistes, pourquoi assurerait-il au PS la possibilité d'enlever de nombreux sièges ? THIERRY PFISTER Le Monde du 25-26 septembre 1977

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