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Article de presse: Juan Carlos, homme-clé

Publié le 22/02/2012

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juan
20 novembre 1975 - Avant la mort de Franco, qui l'avait choisi et fait éduquer pour être un monarque continuateur du franquisme, on dépeignait volontiers Juan Carlos comme un prince timide, emprunté, sans personnalité et sans talent. Il s'est révélé un souverain éclairé, habile, compétent, conscient de ses devoirs et de l'ampleur de sa tâche. C'est vrai qu'il a eu le temps de se former à son métier de roi. Mais il le pratique avec élégance et décontraction. Il reste l'homme-clé de la jeune démocratie espagnole. Il a joué un rôle déterminant pendant la transition qui a permis le passage en douceur des institutions franquistes à une monarchie parlementaire. Son attitude résolue en faveur de la Constitution a permis de stopper la tentative de coup d'Etat de février 1981. Il a une connaissance parfaite, non seulement de la classe politique espagnole-ce qui est la moindre des choses,-mais aussi, ce qui est plus rare, des dossiers internationaux. Il a des amis personnels partout, en Europe, aux Etats-Unis, dans le monde arabe comme en Amérique latine. " Il peut, dit-on dans son entourage, donner un coup de fil au roi d'Arabie saoudite pour régler un problème pétrolier et dépanner le gouvernement... " Et il le fait, avec succès. Il a le tutoiement facile, celui des Bourbons. Mais sa cordialité et sa simplicité ne sont pas feintes. La même semaine, il reçoit à la Zarzuela Henry Kissinger pour lui recommander avec un sourire " de tenter d'avoir une vision moins américaine, plus ample des conflits d'Amérique centrale " et Maradona, le joueur argentin vedette du Football Club de Barcelone, avec lequel il s'entretient des méthodes d'entraînement et de la situation en Argentine. En fait, il se tient au courant de tous les problèmes, en contact permanent avec le chef du gouvernement, Felipe Gonzalez. Il avait désigné Adolfo Suarez-un choix judicieux-pour diriger la transition. Le jeune loup du sérail franquiste, ami du roi et converti aux vertus de la démocratie, a joué ce jeu délicat avec détermination. Il s'y est brûlé, provisoirement sans doute. Son appétit de pouvoir avait grandi pendant ses cinq années de présidence du gouvernement. Les relations de Juan Carlos avec le duc de Suarez (il a été anobli après son départ de la Moncloa) ne sont plus tout à fait ce qu'elles étaient. Elles sont bien meilleures, en tout cas, avec Felipe Gonzalez, non moins représentatif des nouvelles générations, mais qui sait rester à sa place et a un style de gouvernement moins " ondoyant " que celui de Suarez. Juan Carlos a quarante-six ans. Déjà ou seulement ? Dans son ombre, l'infant Felipe, son fils aîné, apprend patiemment le métier de souverain et fait bonne figure dans les manifestations officielles, en Espagne ou à l'étranger. Mais il est bien frêle. Juan Carlos le sait et a conscience des dangers et des menaces latentes. Mais s'il regarde derrière lui, il est plutôt satisfait. " Si on m'avait affirmé en novembre 1975 que je serais encore roi en 1984, dit-il, je n'aurais pas pris le pari... " Son atout maître-et l'on ajoute " heureusement, sans cela... " dans son entourage-c'est son titre de chef suprême des forces armées. Il a fait ses classes militaires dans les trois armes, et a conservé de cette époque des amitiés précieuses parmi des cadets devenus commandants. La nuit du 23 au 24 février Cela l'a aidé pendant cette nuit dramatique du 23 au 24 février 1981, où, accroché à son téléphone, il appelait les garnisons les unes après les autres pour imposer le respect de la loi et de l'ordre. L'armée, profondément conservatrice, l'a accepté, en 1975, comme héritier du système parce que Franco l'avait voulu. Mais des secteurs, importants, de cette même armée ont mal admis, et mal compris, que des officiers " patriotes " puissent être poursuivis en justice et lourdement condamnés. " Juan Carlos, traître " : cette inscription injurieuse a disparu des murs des casernes. Mais le désenchantement persiste sous certains képis et dans les têtes chaudes, qui n'ont pas tout à fait renoncé à obtenir la réhabilitation des condamnés du 23 février. Dans son immense majorité, l'armée a pardonné le comportement du roi pendant cette nuit où la démocratie a failli sombrer. Mais un homme qui connaît bien les militaires, Josep Taradellas, ancien président de la généralité de Catalogne, dit : " Soyons prudents, on ne sait jamais... " Et Juan Carlos, lui, s'accroche à ce bâton symbolique, mais essentiel, de chef suprême des forces armées. Il a demandé, avec énergie, " toute leur collaboration sans doutes ni réserves " aux généraux pour le plan de réorganisation du haut commandement décidé par le gouvernement. Mais, militaire, il comprend les inquiétudes des officiers. " Avant, les cadets calculaient la date à laquelle ils avaient une chance de devenir colonel. C'est fini. Il faut changer les mentalités. Ce n'est pas si simple. Et il est naturel que beaucoup de généraux ne soient pas très satisfaits. On ne réduit pas les effectifs des officiers de près d'un quart sans problème. " Le plan gouvernemental prévoit aussi une redistribution géographique des corps d'armée et des régions militaires pour tenter de casser le " caciquisme des centurions " et de limiter la toute-puissance locale des capitaines-généraux. Ce n'est pas simple non plus à faire admettre. Et la division Brunete, la division blindée d'élite, basée près de la capitale et qui avait commencé de faire mouvement vers Madrid la nuit du putsch, reste pour le moment dans ses cantonnements. Un épisode qui a laissé " un très mauvais souvenir " à la Zarzuela. Chacun sait, et Juan Carlos le premier bien sûr, que les militaires s'entendent mieux avec Felipe Gonzalez, qui gouverne, qui prend des décisions rapides, qui affronte le terrorisme basque et est loin de favoriser une accélération du processus des autonomies, qu'avec Adolfo Suarez, responsable de la légalisation du Parti communiste et d'une multiplication, jugée excessive et dangereuse par l'armée, des autonomies. On compte aujourd'hui en Espagne dix-sept régions autonomes. Chacune avec son petit gouvernement, son Parlement, ses revendications de transferts de souverainetés, comme les " grandes " : la basque et la catalane. C'est beaucoup en effet. Juan Carlos a récemment confié à François Mitterrand que " c'était le grand problème de l'Espagne ". Adolfo Suarez a tenté de noyer la question des autonomies, de réduire l'impact des autonomies catalane et basque, inéluctables, en offrant l'autonomie à tout le monde. " Une politique suicidaire. " Serein, attentif et présent, Juan Carlos est un roi constitutionnel qui dispose de peu de pouvoirs. Mais son rôle est important. C'est d'ailleurs à la Constitution qu'il se réfère volontiers lorsqu'il s'agit de tempérer ou de conseiller le chef du gouvernement. MARCEL NIEDERGANG Le Monde du 4 février 1984

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