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Article de presse: Jeux olympiques et politique

Publié le 22/02/2012

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8 mai 1984 - De la manière dont les nazis s'y étaient pris à Berlin allait découler l'histoire contemporaine de l'olympisme. Le gigantisme d'abord. Après les derniers Jeux à " taille humaine " de la période du plan Marshall, en 1948 et 1952, chaque pays organisateur voulut faire de cette manifestation une démonstration, non seulement de sa valeur sportive, mais aussi de sa puissance économique et technique. La politisation ensuite. Les Jeux olympiques allaient devenir un prétexte pour tel ou tel Etat à revendication ou à pression. A Melbourne, en 1956, ce fut le cas, d'une part, de l'Egypte et de l'Irak qui s'abstinrent pour protester contre le débarquement franco-britannique à Suez, et, d'autre part, des Pays-Bas, de l'Espagne et de la Suisse, qui s'insurgeaient contre l'intervention soviétique à Budapest. A Tokyo, en 1964, le Comité international olympique (CIO) exclut l'Afrique du Sud en raison de l'apartheid. A Mexico, pour les Jeux suivants, les athlètes noirs américains manifestent sur le podium pour attirer l'attention sur la situation raciale aux Etats-Unis. Puis ce fut l'escalade : massacre des otages israéliens par un commando de Septembre noir à Munich; départs des pays africains de Montréal pour protester contre la présence de la Nouvelle-Zélande ayant eu des relations sportives avec l'Afrique du Sud; boycottage des Jeux de Moscou à l'appel du président Carter après l'intervention militaire en Afghanistan; et maintenant, " non-participation " de l'URSS et des pays de l'Est aux Jeux de Los Angeles en raison de l'anti-soviétisme américain. Est-on arrivé au point de rupture de l'olympisme, au moment où les contradictions entre les mythes et la pratique enrayeront définitivement la mécanique des Jeux? " A chaque olympiade, j'ai lu que ce serait la dernière... ", écrivait Pierre de Coubertin dans ses Mémoires après avoir assisté aux Jeux de Berlin. En dépit de tous les scandales politiques, financiers et sportifs qui auraient pu les abattre, les Jeux ont, au contraire, pris une place de plus en plus importante sur la scène mondiale. Seuls les deux conflits mondiaux ont véritablement empêché leur déroulement. Le ruisseau olympique (13 nations représentées à Athènes en 1896) allait devenir une grande rivière (40 nations à Los Angeles en 1932), puis un fleuve (122 nations à Munich en 1972) dont le débit allait être ralenti par les barrages des boycottages (88 nations à Montréal en 1976 et 81 à Moscou en 1980). A la veille de 1980, le CIO comptait plus de membres que l'ONU. Bien que le pire se soit produit dans les stades et les coulisses des stades, l' " idéal olympique ", cette confraternité universelle du muscle, n'a pas été remis en cause. L'URSS était venue participer à la messe quadriennale où " l'on célèbre la mystique de l'effort humain " en 1952, en pleine guerre froide. Toutefois, les derniers développements permettent de se demander si la résurgence de la politique des blocs ne va pas entraîner la décadence de l'institution olympique au moment où elle était vraiment devenue planétaire. A Montréal, où a eu lieu la dernière grande confrontation Est-Ouest, sur les dix pays qui ont gagné le plus de médailles, sept étaient communistes. Les centaines de millions de téléspectateurs qui ont suivi ces Jeux ont donc assisté au triomphe du muscle rouge. Le muscle capitaliste masculin n'a plus l'avantage que dans de rares spécialités. Quant au muscle capitaliste féminin, il est inexistant. De là à dire que les autorités sportives américaines avaient délibérément accepté le boycottage pour ne pas subir une comparaison plus défavorable encore à Moscou, il n'y avait qu'un pas. Aujourd'hui, la même réflexion peut être faite à propos de l'attitude de l'URSS : ne craignait-elle pas de subir à Los Angeles la même déconvenue que ses hockeyeurs à Lake-Placid en 1980? Excepté en Angleterre et en Scandinavie, on ne trouve pas dans le reste de l'Europe et en Amérique une véritable dévotion pour les disciplines athlétiques, qui sont le fondement des sports olympiques. Ce sont les sports-spectacles professionnels-football, basket-ball, hockey sur glace, cyclisme depuis longtemps, et désormais tennis, voile et automobilisme-qui font office auprès des foules de liturgie du corps. Dans l'hypothèse où la tension des rapports internationaux devrait entraîner une diminution des échanges sportifs, il serait alors possible, sans risquer de provoquer un état de " manque " chez le public, de remplacer la drogue olympique par la drogue du sport-spectacle, dont les formes les plus caricaturales sont Holliday On Ice et les Harlem Globe Trotters. L'athlétisme s'est d'ailleurs engagé sur cette voie avec la création d'un circuit de meetings en Europe, où les concurrents seront rétribués. De plus, certains coureurs de fond sont désormais officiellement commandités et participent aux grandes épreuves de masse comme le Marathon de New-York. Il est vrai que Pierre de Coubertin a lui-même écrit : " L'amateurisme n'a jamais existé. " Cela fait de l'olympisme la doctrine la plus floue, donc la plus malléable aux contraintes de ce siècle. ALAIN GIRAUDO Le Monde du 13-14 mai 1984

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