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Article de presse: Besançon à l'heure Lip

Publié le 17/01/2022

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29 septembre 1973 - Une manifestation bien calme, toute simple en vérité, n'eût été cette pluie. Ils sont venus... combien ? Trente mille selon la préfecture cent mille d'après les organisateurs mais plus probablement trente-cinq mille, à en croire trois pointages patients. Ils sont venus, ils ont marché, ils sont repartis. Une manifestation sans bavure, le contraire des fureurs et des aigreurs suscitées par sa préparation, l'inverse des odieuses affiches signées " la minorité silencieuse " et qui, partout, jusque sur les trottoirs, prédisaient le siège, le viol et le saccage de Besançon. La population de la ville ne s'y est point trompée : apeurée à la veille du rassemblement, elle apparut samedi à ses fenêtres d'abord, intéressée bientôt, favorable parfois. Qu'on ne s'y méprenne pas pour autant. Il y avait beaucoup de superbe, de force d'âme et de conviction dans ce calme des manifestants. Il n'avait vraiment rien d'un défilé de carabiniers italiens le cortège qui, sur 8 kilomètres de macadam détrempé, fit acclamer samedi ses banderoles et ses slogans. Les bourrasques incessantes de pluie avaient trempé les volontés. S'arrachant au cloaque de Château-Farine, le lieu de rassemblement, c'est une troupe décidée qui descendit vers Besançon. En tête les gros bras du service d'ordre. Hypernerveux ceux de la CGT, tellement tendus qu'ils annonceront un moment l'arrivée menaçante d'une contre-manifestation, laquelle n'était qu'une paisible délégation... cégétiste en retard. Suivait la guirlande des " Lip ", bras dessus, bras dessous, fiers et ravis, avec aux lèvres des sourires de premiers communiants. Puis la CGT et la CFDT et leurs délégations syndicales, qui formaient le gros du rassemblement et précédaient les organisations gauchistes, dont elles étaient séparées par les banderoles du PSU. A ce niveau, le cortège se poursuivait en couleur et en stéréophonie : drapeaux rouges et drapeaux noirs, charge cadencée des militants, grosses caisses et cymbales, pancartes humoristiques, longs slogans scandés par une ardente délégation italienne. Le défilé se terminait en s'effilochant peu à peu dans la luxuriance des délégations gauchistes. Au bout du compte, il reste qu'un grand nombre d'organisations diverses, de la CGT à " Révolution ", ont défilé samedi en bon voisinage, affirmant : " Lip se bat pour tous les travailleurs " et " Lip vaincra, sinon on reviendra ! " Telle est sûrement la première leçon à tirer de la marche. On avait redouté jusqu'au dernier moment les exclusives réciproques. Tout, en fait, a fort bien tourné. Aussi Besançon restera-t-il dans l'histoire des luttes sociales comme le second défilé (après la manifestation lycéenne contre la loi Debré) dans lequel la CGT a marché en compagnie officielle des organisations gauchistes comme le second rassemblement où son expéditif service d'ordre ouvrit la voie aux formes d'expression imaginatives des comités de soutien, des anarchistes et de bien d'autres. Une question se pose : Lip n'est-il que le second maillon d'une chaîne de manifestations nouvelles? Y aura-t-il périodiquement d'autres Lip, où se rassemblera ainsi la gauche ouvrière et paysanne, révolutionnaire et traditionnelle-cette dernière étant représentée dans la marche par quelques individualités du Parti socialiste ? A Besançon, le PSU et la CFDT-du moins, une partie de celle-ci-s'y sont, en tout cas, beaucoup employés. Mais aux pouvoirs publics la marche aura-t-elle appris quelque chose? La réponse pourrait être donnée dès ce lundi à Arc-et-Senans, où M. Giraud, le médiateur, rencontre pour la douzième fois les délégués de Lip. Peut-on croire désormais à un aboutissement plus rapide des négociations ? Une certitude du moins : le succès de la marche a donné " un coeur gros comme ça " aux grévistes de Palente. PIERRE-MARIE DOUTRELANT Le Monde du 30 septembre-10 janvier 1973

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