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Anthologie voyage

Publié le 21/11/2011

Extrait du document

Dans cette anthologie de 20 poèmes, consacrée au voyage du XVIe au XXe siècle, toutes les sortes de voyages ont leur place, de celui à travers le monde au voyage spirituel.  En effet, grâce aux progrès technologiques, des moyens de transports diversifiés et des prix à tous budgets apparaissent à travers les siècles, et le voyage devient accessible même aux plus modestes et permet à chacun de connaître de nouveaux horizons.

A une certaine époque, le voyage fut considéré comme un caractère de pauvreté : il évoquait les bohémiens et leur vie nomade.

Le voyage forcé, l’exil, donne un sentiment de nostalgie et de regrets.

Les poètes, à travers leurs vers, donnent une voix à tous ces voyageurs et souhaitent  nous faire part de leur vision de liberté, d’évasion spirituelle et physique.

En fonction des auteurs et de leur but, certains ont pour idée de nous inspirer des sentiments ou sensations diverses, d’autres de dénoncer et de critiquer le voyage.

Cette anthologie a pour but de vous faire voyager à travers le monde et que vous vous forgiez une opinion sur le voyage, mais avant tout elle doit apporter un voyage intérieur à son lecteur.

 

 

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Ou comme celui-là qui conquit la Toison,
Et puis est retourné plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge!

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province et beaucoup davantage?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine.

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

 

Joachim du Bellay (1522-1560)

 

 

 

 

 

Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !

 

Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

 

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

 

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !

 

Arthur Rimbaud

 

 *

 

Iles

Iles où l’on ne prendra jamais terre

Iles où l’on ne descendra jamais

Iles couvertes de végétations

Iles tapies comme des jaguars

Iles muettes

Iles immobiles

Iles inoubliables et sans nom

 

Je lance mes chaussures par-dessus bord

car je voudrai bien aller jusqu’à vous

(Blaise Cendrars)

 

 

*

`````

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal

 

```````

*

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur angevine.

 

*

Charleroi

Dans l'herbe noire
Les Kobolds vont.
Le vent profond
Pleure, on veut croire.

Quoi donc se sent ?
L'avoine siffle.
Un buisson gifle
L'oeil au passant.

Plutôt des bouges
Que des maisons.
Quels horizons
De forges rouges !

On sent donc quoi ?
Des gares tonnent,
Les yeux s'étonnent,
Où Charleroi ?

Parfums sinistres !
Qu'est-ce que c'est?
Quoi bruissait
Comme des sistres?

Sites brutaux !
Oh ! votre haleine,
Sueur humaine,
Cris des métaux !

Dans l'herbe noire
Les Kobolds vont.
Le vent profond
Pleure, on veut croire.

(Verlaine)

 

*

 

Le voyage

Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte, 
Sans songer seulement à demander sa route ; 
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi, 
Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi ; 
Voir sur sa tête alors s'amasser les nuages, 
Dans un sable mouvant précipiter ses pas, 
Courir, en essuyant orages sur orages, 
Vers un but incertain où l'on n'arrive pas ; 
Détrempé vers le soir, chercher une retraite, 
Arriver haletant, se coucher, s'endormir : 
On appelle cela naître, vivre et mourir. 
La volonté de Dieu soit faite !

 

(jean pierre claris de florian)

 

*

 

 

Brise marine

La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres.
Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
O nuits! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts ni fertiles îlots...
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !

Stéphane MALLARMÉ, Vers et prose (1893)

*

L’ALBATROS

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

5 À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
10 Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
15 Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Charles Baudelaire (1821-1867), Les Fleurs du Mal (1857), II.

 

*

LES CONQUERANTS

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,

Fatigués de porter leurs misères hautaines,

De Palos de Moguer, routiers et capitaines

Partaient, ivres d'un rêve héroique et brutal.

 

Ils allaient conquérir le fabuleux métal

Que Cipango murit dans ses mines lointaines,

Et les vents alizés inclinaient leurs antennes

Aux bords mystérieux du monde occidental.

 

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,

L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques

Enchantait leur sommeil d'un mirage doré;

 

Où, penchés à l'avant de blanches caravelles,

Ils regardaient monter en un ciel ignoré

Du fond de l'Ocean des étoiles nouvelles.

 

                        Jose Maria de HEREDIA

 

*

 

 

Demain,dès l'aube. Victor Hugo

 

Demain, dès l'aube

 

 

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,

Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.

J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.

Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

 

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

Seul inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

 

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,

Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe

Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

 

*

 

Paul ÉLUARD

 

 

 

 

 

Recueil : \"L'Amour la poésie\"

Voyage du silence
De mes mains à tes yeux

Et dans tes cheveux
Où des filles d’osier
S’adossent au soleil
Remuent les lèvres
Et laissent l’ombre à quatre feuilles
Gagner leur cœur chaud de sommeil.

 

*

 

A Palma de MajorqueTout le monde est heureux.On mange dans la rueDes sorbets au citron.Des fiacres, plus jolisQue des violoncelles,Vous attendent au portPour vous mettre à l'hôtel.Racontez-moi encorePalma des Baléares;Je ne connais qu'une îleAu milieu de la Marne.Elle est petite, en tôle,Comme un tir de la foire;Mon coeur est l'oeuf qui danseSur le haut du jet d'eau.

(jean cocteau)

 

 

*

L'Hirondelle et les petits Oiseaux

 

Une hirondelle en ses voyages

Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu

Peut avoir beaucoup retenu.

Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages,

Et devant qu'ils fussent éclos,

Les annonçait aux matelots.

Il arriva qu'au temps que la chanvre se sème,

Elle vit un manant en couvrir maints sillons.

\" Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons :

Je vous plains ; car pour moi, dans ce péril extrême,

Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.

Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?

Un jour viendra, qui n'est pas loin,

Que ce qu'elle répand sera votre ruine.

De là naîtront engins à vous envelopper,

Et lacets pour vous attraper,

Enfin mainte et mainte machine

Qui causera dans la saison

Votre mort ou votre prison :

Gare la cage ou le chaudron !

C'est pourquoi, leur dit l'hirondelle,

Mangez ce grain ; et croyez-moi. \"

Les oiseaux se moquèrent d'elle :

Ils trouvaient aux champs trop de quoi.

Quand la chènevière fut verte,

L'hirondelle leur dit : \" Arrachez brin à brin

Ce qu'a produit ce maudit grain,

Ou soyez sûrs de votre perte.

- Prophète de malheur, babillarde, dit-on,

Le bel emploi que tu nous donnes !

Il nous faudrait mille personnes

Pour éplucher tout ce canton. \"

La chanvre étant tout à faire crue,

L'hirondelle ajouta : \" Ceci ne va pas bien ;

Mauvaise graine est tôt venue.

Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,

Dès que vous verrez que la terre

Sera couverte, et qu'à leurs blés

Les gens n'étant plus occupés

Feront aux oisillons la guerre ;

Quand reginglettes et réseaux

Attraperont petits oiseaux,

Ne volez plus de place en place,

Demeurez au logis, ou changez de climat :

Imitez le canard, la grue, et la bécasse.

Mais vous n'êtes pas en état

De passer, comme nous, les déserts et les ondes,

Ni d'aller chercher d'autres mondes ;

C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr,

C'est de vous renfermer aux trous de quelque mur. \"

Les oisillons, las de l'entendre,

Se mirent à jaser aussi confusément

Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre

Ouvrait la bouche seulement.

Il en prit aux uns comme aux autres :

Maint oisillon se vit esclave retenu.

 

Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres,

Et ne croyons le mal que quand il est venu.

 

Jean de La Fontaine

 

 

* Clair de Lune

 

On tangue on tangue sur le bateau

La lune la lune fait des cercles dans l’eau

Dans le ciel c’est le mât qui fait des cercles

Et désigne toutes les étoiles du doigt

Une jeune Argentine accoudée au bastingage

Rêve à Paris en contemplant les phares qui dessinent

la côte de France

Rêve à Paris qu’elle ne connaît qu’à peine et qu’elle

regrette déjà

Ces feux tournants fixes doubles colorés à éclipses lui

rappellent ceux qu’elle voyait de sa fenêtre d’hôtel sur

les Boulevards et lui promettent un prompt retour

Elle rêve de revenir bientôt en France et d’habiter Paris

Le bruit de ma machine à écrire l’empêche de mener son

rêve jusqu’au bout.

Ma belle machine à écrire qui sonne au bout de chaque

ligne et qui est aussi rapide qu’un jazz

Ma belle machine à écrire qui m’empêche de rêver à

bâbord comme à tribord

Et qui me fait suivre jusqu’au bout une idée

Mon idée

 

Blaise Cendrars

 

*

L'invitation au voyage

 

Mon enfant, ma sœur,

Songe à la douceur

D'aller là-bas vivre ensemble !

Aimer à loisir,

Aimer et mourir

Au pays qui te ressemble !

Les soleils mouillés

De ces ciels brouillés

Pour mon esprit ont les charmes

Si mystérieux

De tes traîtres yeux,

Brillant à travers leurs larmes.

 

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

 

Des meubles luisants,

Polis par les ans,

Décoreraient notre chambre ;

Les plus rares fleurs

Mêlant leurs odeurs

Aux vagues senteurs de l'ambre,

Les riches plafonds,

Les miroirs profonds,

La splendeur orientale,

Tout y parlerait

À l'âme en secret

Sa douce langue natale.

 

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

 

Vois sur ces canaux

Dormir ces vaisseaux

Dont l'humeur est vagabonde ;

C'est pour assouvir

Ton moindre désir

Qu'ils viennent du bout du monde.

- Les soleils couchants

Revêtent les champs,

Les canaux, la ville entière,

D'hyacinthe et d'or ;

Le monde s'endort

Dans une chaude lumière.

 

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

 

Charles Baudelaire

 

 

*

Parfum exotique

 

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,

Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,

Je vois se dérouler des rivages heureux

Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;

 

Une île paresseuse où la nature donne

Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;

Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,

Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

 

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,

Je vois un port rempli de voiles et de mâts

Encor tout fatigués par la vague marine,

 

Pendant que le parfum des verts tamariniers,

Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,

Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

 

Charles Baudelaire

 

 

*

Brise marine

 

La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.

Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres

D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !

Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux

Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe

Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe

Sur le vide papier que la blancheur défend

Et ni la jeune femme allaitant son enfant.

Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,

Lève l’ancre pour une exotique nature !

 

Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,

Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !

Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,

Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages

Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots …

Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !

 

Stéphane Mallarmé

 

 

*

Mosaïque au musée du Bardo à Tunis

 

J'ay voulu voyager, à la fin le voyage

 

          J'ay voulu voyager, à la fin le voyage

          M'a fait en ma maison mal content retirer.

          En mon estude seul j'ay voulu demeurer,

          En fin la solitude a causé mon dommage.

 

          J'ay volu naviguer, en fin le navigage

          Entre vie et trespas m'a fait desesperer.

          J'ay voulu pour plaisir la terre labourer,

          En fin j'ay mesprisé l'estat du labourage.

 

          J'ay voulu pratiquer la science et les ars,

          En fin je n'ay rien sceu ; j'ay couru le hasars

          Des combas carnaciers, la guerre ore m'offence :

 

          Ô imbecillité de l'esprit curieus

          Qui mescontent de tout de tout est desireus,

          Et douteus n'a de rien parfaite connoissance.

 

                      Jean-Baptiste Chassignet (1571-1635)

 

*

 

 

  LES DEUX PIGEONS

       Deux Pigeons s'aimaient d'amour tendre.

            L'un d'eux s'ennuyant au logis

            Fut assez fou pour entreprendre

            Un voyage en lointain pays.

            L'autre lui dit : Qu'allez-vous faire ?

            Voulez-vous quitter votre frère ?

            L'absence est le plus grand des maux :

Non pas pour vous, cruel.  Au moins que les travaux,

            Les dangers, les soins  du voyage,

            Changent un peu votre courage. (1)

Encore si la saison s'avançait davantage !

Attendez les zéphyrs : qui(2) vous presse? Un Corbeau

Tout à l'heure annonçait malheur à quelque Oiseau.

Je ne songerai(3) plus que rencontre funeste,

Que Faucons, que réseaux (4). Hélas, dirai-je, il pleut :

            Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,

            Bon soupé, bon gîte, et le reste ? 

            Ce discours ébranla le coeur

            De notre imprudent voyageur ;

Mais le désir de voir et l'humeur inquiète

L'emportèrent enfin. Il dit : Ne pleurez point :

Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;

Je reviendrai dans peu conter de point en point

            Mes aventures à mon frère.

Je le désennuierai :quiconque ne voit guère

N'a guère à dire aussi(5). Mon voyage dépeint (6)

            Vous sera d'un plaisir extrême.

Je dirai : J'étais là ; telle chose m'avint(7)  ;

            Vous y croirez être vous-même.

A ces mots en pleurant ils se dirent adieu.

Le voyageur s'éloigne ; et voilà qu'un nuage

L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.

Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage

Maltraita le Pigeon en dépit du feuillage.

L'air devenu serein, il part tout morfondu,

Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie,

Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,

Voit un Pigeon auprès : cela lui donne envie :

Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d'un las (8 ) 

            Les menteurs et traîtres appas.

Le las était usé : si bien que de son aile,

De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin.

Quelque plume y périt : et le pis du destin

Fut qu'un certain vautour à la serre cruelle,

Vit notre malheureux qui, traînant la ficelle

Et les morceaux du las qui l'avaient attrapé,

            Semblait un forçat échappé.

Le Vautour s'en allait le lier(9), quand des nues

Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.

Le Pigeon profita du conflit des voleurs,

S'envola, s'abattit auprès d'une masure,

            Crut, pour ce coup, que ses malheurs

            Finiraient par cette aventure ;

Mais un fripon d'enfant, cet âge est sans pitié

Prit sa fronde, et, du coup, tua plus d'à moitié

            La Volatile (10) malheureuse,

       Qui, maudissant sa curiosité,

            Traînant l'aile et tirant le pié,

            Demi-morte et demi-boiteuse,

            Droit au logis s'en retourna :

            Que bien, que mal  elle arriva

            Sans autre aventure fâcheuse.

Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger

De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.

Amants, heureux amants , voulez-vous voyager?

            Que ce soit aux rives prochaines ;

Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,

            Toujours divers, toujours nouveau ;

Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.

J'ai quelquefois(11) aimé : je n'aurais pas alors

            Contre le Louvre et ses trésors,

Contre le firmament et sa voûte céleste,

            Changé les bois, changé les lieux

Honorés par les pas, éclairés par les yeux

            De l'aimable et jeune bergère

            Pour qui, sous le fils de Cythère (12),

Je servis, engagé par mes premiers serments.

Hélas! Quand reviendront de semblables moments?

Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants

Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète?

Ah! si mon coeur osait encor se renflammer!

Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête?

            Ai-je passé le temps d'aimer?(13) 

 

(jean de la fontaine)

 

*

 

Saltimbanques

                                   à Louis Dumur

 

Dans la plaine les baladins

S'éloignent au long des jardins

Devant l'huis des auberges grises

Par les villages sans églises

 

Et les enfants s'en vont devant

Les autres suivent en rêvant

Chaque arbre fruitier se résigne

Quand de très loin ils lui font signe

 

Ils ont des poids ronds ou carrés

Des tambours des cerceaux dorés

L'ours et le singe animaux sages

Quêtent des sous sur leur passage

 

 

*

 

Voyage asymétrique

 

La mer est arrivée au pied de ma maison
tout était d’un calme absolu
plus de rivages, plus de rocs d’acier, plus d’horizon
on dirait que le navire a chaviré trop de fois

Je me rappelais de ces marins qui fixent le soleil avant de mourir

Bénédicte disait toujours “qu’un voyage long est un sacrifice”

Alors je me suis rappelé que j’étais immortel
Et perché sur ce nuage
je regardais pour la dernière fois
le soleil s’éloigner

Edgar Georges, 2001

 

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