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Analysez le contenu et commentez les idées essentielles de cette page célèbre de Voltaire : PRIÈRE A DIEU

Publié le 17/02/2011

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« Ce n'est plus aux hommes que' je m'adresse; c'est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes, et de tous les temps : s'il est permis à de faibles créatures perdues dans l'immensité et imperceptibles au reste de l'Univers d'oser te demander quelque chose, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un coeur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d'une vie pénible et passagère; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil; que ceux dont l'habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d'un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d'un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu'ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu'il n'y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s'enorgueillir. « Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères!... Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l'instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu'à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant. «

Voilà un Voltaire que les admirateurs et les détracteurs de son scepticisme s'entendent curieusement à laisser le plus possible dans l'ombre, les premiers parce que cet appel à Dieu leur paraît excessif, les autres parce qu'ils le trouvent insuffisant, ou secrètement gênant. Et pourtant, malgré ces efforts conjugués des ennemis aussi bien que des faux amis du « Patriarche de Ferney «, le texte offert à nos réflexions est bien effectivement célèbre. Comment a-t-il, et malgré ces oppositions, mérité ce succès ?

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« l'étroitesse de sa vision et de sa compréhension sont des idées qui reviennent fréquemment dans le Dictionnaire oudans les Contes et qui offrent un contrepoids judicieux à l'optimisme du Progrès : le « point de vue de Sirius », quiest celui de Micromégas, et qui semble dérivé de celui de Spinoza (sub specie aeternitatis) nous montre les hommescomme perdus dans l'immensité de l'espace et des siècles; et il est traduit et développé, dans notre texte, par uneabondance significative d'expressions variées : atomes, faibles créatures, vie pénible et passagère, débiles corps,boue de ce monde...

et par toutes les épithètes comme : insuffisantes, ridicules, faibles, imparfaites, insensées...;tout cela explique pourquoi l'intrépide Voltaire se demande, dès le début, s'il est « permis » d'« oser » demanderquelque chose à Dieu; y a t-il là le vestige d'un sentiment chrétien du Dieu Créateur? Pourtant Celui-ci est « Père »,aussi, et il s'agit bien plutôt d'une transcendance philosophiquement conçue qui ne permet pas de trouver le pointd'application pour un contact avec les hommes.

De là un certain pessimisme, mi-amer et mi-résigné, qui est fréquentchez l'auteur de Candide et l' Ingénu, et qui aide à comprendre que lui, si orgueilleux d'ordinaire envers les hommes,n'hésité pas, vis-à-vis de Dieu, à implorer la pitié pour nos erreurs. 2.

C'est ainsi qu'apparaît un second trait du déisme voltairien : il ne reste pas uniquement spéculatif et théorique, ildevient très vite moral; puisque nos actes découlent des « erreurs attachées à notre nature », il faut à l'hommebeaucoup d'humilité individuelle : qu'il ne se livre pas à la vanité, qu'il ne songe pas à s'enorgueillir — et de quelsavantages très relatifs pourrait-il tirer orgueil? Ici aussi nous pouvons nous demander, et avec plus devraisemblance encore que tout à l'heure, si Voltaire ne se souvient pas du catéchisme de sa jeunesse, et de seséducateurs jésuites avec qui il a souvent gardé de cordiaux rapports personnels ; il est certain que le vocabulaire dece passage fait moins penser à la critique grecque de la démesure qu'à la dénonciation biblique et chrétienne dupéché — bien que le mot même de « péché » ne soit pas utilisé.

Mêmes remarques pour la reconnaissance de labonté de Dieu, et la « bénédiction » qu'elle provoque en nous, et la fraternité qu'elle entraîne comme conséquence :plus que du cosmopolitisme stoïcien, malgré l'allusion aux « mille langages divers », il s'agit ici de la notion deprochain, notion déterminée par notre sentiment de filiation envers Dieu, ainsi que l'exprime avec précision dans l'Évangile le Sommaire de la Loi.Mais pour avoir noté exactement tout cela nous n'avons cependant relevé qu'une idée essentielle de ce passage;certes, elle est capitale, et les expressions qui la traduisent suffiraient à elles seules à montrer l'erreur de ceux quisuspectent la sincérité de Voltaire sur le plan religieux.

Cependant l'auteur de Zadig, et de l' Homme aux quaranteécus, et de Babouc ou Le monde comme il va, demeure toujours le satiriste étincelant et le polémiste agressif quenous connaissons avant tout; et c'est cet autre aspect qu'il nous faut maintenant analyser. II - LA POLÉMIQUE VOLTAIRIENNE I.

Appel à la fraternité, sans doute, cette prière, et dénonciation des erreurs qui entraînent souvent des « calamités», qui nous conduisent à la haine et à l'extermination mutuelle, et en des termes très précis et énergiques, parfoistrès beaux même.

Mais comment ne pas y déceler assez vite un caractère très particulier? Il s'agit plutôt de haïr lahaine que d'aimer la miséricorde et la bonté; il s'agit de faire en sorte que l'orgueil des possédants ne provoque pasl'envie et la jalousie de ceux qui sont démunis; il s'agit non d'abolir la guerre et ses fléaux — Voltaire dit trèsclairement que tout cela est « inévitable » — mais de ne pas gâcher la bonne marche de la société en temps depaix.

Certes, tout cela est normal et il ne faudrait pas entreprendre une réfutation systématique des idées moraleset sociales de Voltaire d'après des indications si minces et si peu nombreuses! Elles sont symptomatiques, pourtant,et nous aident à comprendre que l'on ait pu dénoncer un certain « égoïsme de classe » dans l'attitude conservatricede l'écrivain qui sut si bien gérer sa fortune et si bien faire son chemin dans la société; il y a là des traces de cette« morale de la crainte du gendarme » qu'on lui a souvent reprochée et qui considère la religion comme un moyen detenir les inférieurs à leur place, sans envie économique ni ambition politique de leur part.2.

Ce qui peut renforcer cette impression, c'est que Voltaire n'abandonne rien, lui, des polémiques personnelles quilui sont chères ; il fait « patte de velours », c'est vrai, n'appuie pas, ne déchire pas; mais on sent la griffe touteprête, et le frémissement de joie du guetteur à l'affût, du duelliste impénitent.

Qu'est-ce qu'il dénonce dans cepassage? eh bien : les différences de vêtements, de langages, d'usages, de lois, d'opinions ! Cela est ou bien trèsbanal, ressassé, catalogué, et plat — ou bien gros de perfidies bien ajustées ; et, d'ailleurs, en effet, aussitôt aprèscette énumération peu compromettante, dont l'abstraction et le vague peuvent servir à la fois d'introduction et deparavent, voici des allusions infiniment plus précises : ceux qui allument des cierges pour louer Dieu, et ceux quisont habillés de rouge ou de violet, pêle-mêle avec les dirigeants et les possédants, qui sont-ils sinon lesreprésentants et les fidèles de l'Église que Voltaire voulait écraser ? On songe à toutes ces anecdotes brillantes etvengeresses des Contes — Candide et Cacambo en Eldorado et chez les Jésuites du Paraguay, Zadig devant sesjuges, Zadig voulant trancher entre les Mages qui discutent si l'on peut ou non manger de la chair du griffon,l'Ingénu en prison pour avoir dit la vérité...

— et l'on considère alors, retournant au texte d'aujourd'hui, que l'odieuxet le ridicule sont bien du côté des chrétiens : un sourire imperceptible, fugitif, nous en avertit : « Ceux qui allumentdes cierges » les allument « en plein midi », alors que les autres, plus normaux, plus rationnels et raisonnables,davantage conformes à la Nature (la sacro-sainte Nature du XVIIIe s., dérivée elle aussi de Spinoza, qui l'adivinisée!) « se contentent de la lumière » du soleil de Dieu : n'en doutons nullement, ce sont ces derniers qui sontdans la voie droite et dans la vérité! Et les habits rouges et violets sont du côté de l'orgueil et de la tyrannie...Voltaire étendrait-il sa fraternité jusqu'à eux? Nous sommes ici à l'époque de Locke qui réclamait : « Pas detolérance pour les intolérants », et nous précédons de peu la Révolution Française qui décréta : « Pas de libertépour les ennemis de la Liberté »!. »

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